M. Xavier Breton attire l'attention de M. le ministre de l'action et des comptes publics sur la publication d'un décret prévoyant la mise en place de la gratuité des péages pour les véhicules d'intérêt général prioritaires en opération. Lors de la dernière loi de finances, cette mesure avait été adoptée à l'unanimité par les parlementaires. L'article 171 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a créé l'article L. 122-4-3 du code de la voirie routière. Il avait pour objectif d'instaurer la gratuité pour l'ensemble des déplacements opérationnels des véhicules d'urgence prioritaires et sur l'intégralité du réseau autoroutier sur le territoire national, que ces déplacements soient directement liés à une opération de secours (déplacement sur le lieu d'une intervention, évacuation de victimes...) ou indirecte (exemple : colonnes de renforts feux de forêts, inondations...). Il s'agit d'une mesure de justice pour les véhicules d'urgence et notamment les services départementaux d'incendie et de secours qui fonctionnent à flux tendu. Au regard de l'échéancier de la parution des décrets, il devait être publié en avril 2018, avant le départ des feux de forêts. Interrogé en septembre 2018 sur les raisons de ce retard, le ministère des transports déclarait que sa publication avait pris du retard en raison des contrats des sociétés concessionnaires prévoyant leur indemnisation à hauteur du manque à gagner. Pourtant, une telle clause semble n'être dans aucun de ces contrats. De même, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), affirmait à son tour qu'il n'existait « aucun principe de compensation des charges supplémentaires supportées par les concessionnaires autoroutiers ». Aussi, il lui demande s'il prévoit une parution prochaine de ce décret afin que la France ne demeure pas un des seuls pays d'Europe où les véhicules d'urgence payent les péages.
L'article 171 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a inséré dans le code de la voirie routière un article L. 122-4-3 prévoyant que les véhicules d'intérêt général prioritaires en opération sont exonérés de péage lorsqu'ils empruntent l'autoroute, indépendamment de leur lieu d'intervention. L'exposé des motifs vise spécifiquement les « véhicules de secours », c'est-à-dire les véhicules de la police, de la gendarmerie, des pompiers (services départementaux d'incendie et de secours) et du SAMU (SMUR). La définition des conditions d'application de cette mesure est renvoyée à un décret en Conseil d'État. Il convient de rappeler que la règlementation en vigueur, à savoir l'instruction 3-2 du 30 décembre 1980 relative au droit de circulation en franchise sur autoroutes à péage (dite « circulaire Hoeffel ») citée par les articles 25 des cahiers des charges annexés aux conventions de concession d'autoroute, prévoit que les services de secours ne sont pas assujettis au péage lorsqu'ils effectuent une intervention sur autoroute, notamment suite à un accident. Cette différence de traitement vis-à-vis des autres usagers est justifiée par le fait que les services de secours contribuent à la bonne exploitation de l'infrastructure et donc au service rendu à l'usager. L'article L. 122-4-3 précité rompt avec cette logique en exonérant de péage l'ensemble des véhicules d'intérêt général prioritaires, même lorsqu'ils ne sont pas en intervention sur l'autoroute. Désormais, la seule condition pour bénéficier de la franchise de péage est que le déplacement revête un caractère opérationnel. Or pour les sociétés concessionnaires, qui devront appliquer cette exonération, s'assurer du caractère opérationnel du déplacement est techniquement difficile, notamment lorsque les interventions se situent hors du réseau autoroutier concédé. La vérification ne pourra vraisemblablement être effectuée qu'a posteriori, ce qui imposera une charge nouvelle de travail aux services publics de secours et posera la question du recouvrement en cas d'abus. Outre que sa mise en œuvre présente des difficultés pratiques importantes, la définition juridique de l'objectif que le législateur a assigné à cette mesure s'avère d'une grande complexité, plusieurs principes généraux du droit se trouvant en contradiction. En effet, l'exonération de péage pour les véhicules d'intérêt général prioritaires en opération constitue une rupture d'égalité des usagers devant le péage. Le législateur a justifié cette rupture d'égalité par une baisse des charges de fonctionnement des services de secours concernés. La mesure permettrait ainsi de soulager les budgets respectifs des services centraux et déconcentrés de la police et de la gendarmerie nationale, des établissements hospitaliers disposant d'un SAMU, ainsi que des départements, qui contribuent au budget des services départementaux d'incendie et de secours. Toutefois, il s'agit, pour les sociétés concessionnaires, d'une charge nouvelle qui leur est imposée et pour laquelle elles ne pourraient être compensées par une hausse des tarifs de péage. Une telle répercussion dans le péage serait, en effet, doublement inconstitutionnelle : d'une part, parce qu'elle créerait une rupture d'égalité des usagers devant le péage ; d'autre part, parce qu'elle mettrait à la charge des usagers de l'autoroute des dépenses liées à l'exercice de missions régaliennes, lesquelles ont vocation à être financées par l'impôt. Les sociétés concessionnaires pourraient demander réparation au juge sur le fondement des principes généraux du droit. La jurisprudence administrative admet, en effet, que la responsabilité sans faute de l'État puisse être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi. De même, lorsqu'un événement imprévisible et étranger à la volonté des parties bouleverse l'équilibre économique d'un contrat administratif, le juge du contrat fait, en l'absence de clause de renégociation, application de la théorie de l'imprévision. Dans le cas où le juge accorderait réparation aux sociétés concessionnaires, le concédant – à savoir l'État – serait tenu de les indemniser sur fonds publics pour le manque à gagner représenté par cette mesure dans les conditions fixées par le juge. Cette indemnisation annulerait donc les effets attendus de l'exonération, qui visait à réduire les dépenses de fonctionnement des services publics ayant recours aux véhicules d'intérêt général prioritaires. Une première estimation des pertes de recettes pour les sociétés concessionnaires qui seraient à indemniser sur fonds publics s'élèverait à plusieurs dizaines de millions d'euros par an. Ces considérations expliquent les grandes difficultés rencontrées dans la définition des mesures réglementaires adaptées à la nature de l'habilitation législative.
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