Intervention de Franck Riester

Séance en hémicycle du 8 mars 2016 à 15h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFranck Riester :

Les journaux, les sites d’information et les chaînes de télévision permettent d’informer les citoyens, d’alimenter le débat public et de relayer les grands événements qui fédèrent la nation.

Les médias, auxquels les Français ont rappelé en 2015 leur profond attachement, sont porteurs d’un enjeu démocratique : c’est pourquoi le droit à l’information doit faire l’objet d’une attention et d’une protection toutes particulières.

Protéger les journalistes et le droit d’informer, tel est justement l’objectif affiché de cette proposition de loi déposée par le groupe socialiste, républicain et citoyen. Et nous savons, monsieur le président de la commission des affaires culturelles – vous qui en êtes le rapporteur – qu’il s’agit là d’un engagement personnel très sincère, et de longue date, de votre part.

Dans le détail, ce texte dit vouloir renforcer le droit d’opposition des journalistes, tous médias confondus, et consacrer les principes d’honnêteté, d’indépendance, et de pluralisme dans l’audiovisuel, ainsi que la transparence financière du secteur de la presse.

L’objectif de cette proposition de loi semble être d’éviter l’écueil que vous décrivez, monsieur le rapporteur, dans l’introduction de votre rapport : celui de « l’asservissement des discours à des intérêts particuliers, notamment économiques ».

Il s’agit, évidemment, d’une ambition à laquelle nous ne pouvons que souscrire et nous associer. Dans le secteur audiovisuel, cette ambition louable passe, d’après vous, par un renforcement notable des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel dans le champ de la déontologie. Nous nous demandons, néanmoins, si cette nouvelle extension des pouvoirs du CSA est nécessaire ou même souhaitable.

Le texte traduit, en effet, les enjeux auquel le CSA est confronté : alors même que le secteur audiovisuel a considérablement évolué, les compétences du Conseil se sont étendues et complexifiées, au point qu’elles ont perdu en cohérence et que les frontières avec les autres organes de régulation du secteur sont devenues illisibles.

Je souhaite vraiment insister sur un point : si nous partageons avec le groupe socialiste, républicain et citoyen la volonté de protéger au mieux les journalistes, ainsi que le droit de l’information et le secret des sources, ce texte nous semble, malheureusement, passer pour partie à côté de cet objectif.

Il nous semble donc réellement nécessaire de le retravailler en commission afin de mieux définir ce que doivent être les pouvoirs du CSA en matière de pluralisme, d’indépendance et d’honnêteté de l’information dans la communication audiovisuelle, ce qui constitue son objet même.

Nous nous proposons, également, de saisir l’occasion qui nous est donnée pour ouvrir un débat plus général sur les missions du CSA ainsi que sur la régulation du secteur audiovisuel.

Mes chers collègues, je rappelle, tout d’abord, que la mission du CSA n’a pas changé depuis sa création en 1989. Il lui revient toujours de veiller à une allocation de la ressource hertzienne qui permette de concilier la poursuite des objectifs d’intérêt général et les contraintes de la vie des entreprises de médias.

Lors de la naissance du CSA, la notion de communication audiovisuelle était simple, mais les évolutions technologiques des années 1990 et 2000 – la révolution numérique – ont brouillé cette notion. Pour répondre à l’apparition progressive de nouveaux modes de diffusion, de nouveaux services non linéaires, et de nouveaux métiers, le législateur a, progressivement, étendu et adapté ses compétences.

Sa méthode a été d’adopter un texte nouveau, pratiquement pour chaque innovation technologique : en moyenne, la loi de 1986 a été modifiée plus de deux fois par an depuis sa promulgation !

La loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, dont vous vous avez parlé, madame la ministre, a encore élargi les pouvoirs de régulation économique du CSA. Elle lui a également redonné le pouvoir de nommer les présidents des sociétés nationales de programmes.

Ainsi, l’autorité de régulation désigne elle-même les dirigeants d’opérateurs qu’elle doit contrôler : il s’agit d’une situation qui serait inimaginable dans n’importe quel autre secteur régulé, et, s’agissant du secteur audiovisuel, dans n’importe quel autre pays démocratique. Nous dénonçons sans relâche, depuis 2013, ce conflit d’intérêts.

Imaginerait-on, par exemple, que le président de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, nomme le président d’EDF ? Non, bien sûr, parce qu’il s’agirait d’un mélange des genres contraire aux principes même de notre Constitution. Ce pouvoir n’a, d’ailleurs, servi ni le CSA – car il est régulièrement accusé de ne pas être, dans ce domaine, à la hauteur des attentes – ni les sociétés nationales de programmes : il a en effet, notamment, encore obscurci leur gouvernance et aggravé les effets de la crise de Radio France, comme nous l’avons vu au printemps dernier.

Nous assistons donc, mes chers collègues, à un renforcement continu des prérogatives du CSA. Si, à première vue, ce renforcement peut se comprendre, en raison de l’évolution des technologies que je viens d’évoquer ainsi que des modes de diffusion des contenus, on peut néanmoins se demander aujourd’hui où et quand s’arrêtera ce mouvement, car il finit par n’être ni cohérent ni pertinent.

Le plus bel exemple, que je viens de rappeler, en est, évidemment, l’aberration qui consiste à confier au régulateur la nomination des personnalités qu’il régule ! Chers collègues socialistes, même le rapporteur de la loi de 2013, votre collègue Marcel Rogemont, en est venu, dans son rapport d’information sur l’application de cette loi par le CSA, rapport qu’il nous a présenté en commission le 20 janvier dernier, à porter un regard très sévère sur cette évolution. On ne peut que tomber d’accord avec lui.

Par ailleurs, si le champ des compétence du CSA s’est étendu, il ne comprend ni la presse papier ni la presse en ligne, qui relèvent des lois de 1881, ni la communication en ligne au public, qui relève de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite loi LCEN. Or, en pratique, les limites entre ces différents champs de la communication sont très difficiles à tracer.

L’évolution législative donne donc le sentiment d’une complexité croissante de la régulation, alors que la vraie question que nous devrions, tout comme le ministère, nous poser est celle de la cohérence et de la complémentarité des régimes de régulation entre les différents médias.

C’est dans ce contexte d’élargissement continu, depuis plus de vingt-cinq ans, des compétences du CSA que s’inscrit cette nouvelle proposition de loi, qui vise à renforcer ses pouvoirs en matière de déontologie de l’audiovisuel.

Je tiens ici à rappeler que le CSA dispose déjà, en matière de déontologie, de certains pouvoirs : vous l’avez d’ailleurs, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, indiqué. L’objectif de ce texte semble donc être, simplement, de les renforcer.

Cette proposition de loi dit consacrer, au même titre que le pluralisme, l’indépendance et l’honnêteté de l’information au rang des principes dont la protection doit être assurée tant par les recommandations du CSA que par les conventions conclues avec les chaînes.

Ainsi, le CSA sera également garant, à travers ces conventions, de « l’intime conviction professionnelle » des journalistes, notion introduite à l’article 1er de la proposition de loi. Ces conventions permettront de fixer la composition et le fonctionnement des fameux comités d’éthique chargés de veiller, au sein de chaque groupe audiovisuel, au respect de la déontologie.

Mes chers collègues, nous nous interrogeons sur l’opportunité de cette extension des pouvoirs du CSA en matière de déontologie. Ainsi que vous le décrivez parfaitement dans votre rapport, monsieur le rapporteur, le respect des principes de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance de l’information figure déjà dans toutes les conventions, celui du respect de l’indépendance dans toutes les conventions, hormis celle de Canal Plus.

Le CSA a-t-il réellement besoin d’une loi pour que le critère d’indépendance figure dans la convention de Canal Plus ? En outre, est-ce vraiment à la représentation nationale de passer autant de temps sur cette question et de s’immiscer dans les relations contractuelles entre le régulateur de l’audiovisuel et les chaînes, alors que tant d’autres sujets, plus urgents et cruciaux pour l’avenir de notre pays, pourraient être abordés en séance aujourd’hui ? Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé, dans la presse ainsi qu’en commission, que ce texte n’était pas « qu’une loi anti-Bolloré » : vous devrez, dans les discussion à venir, nous en convaincre.

En outre, même si le CSA dispose actuellement de pouvoirs en matière de déontologie, nous nous demandons s’il est le mieux placé pour intervenir dans ce domaine.

En effet, le texte aggrave une rupture d’égalité flagrante entre journalistes, qui sont traités différemment selon leur support de publication. En effet, si l’article 1er étend à l’ensemble des journalistes la protection spécifique dont bénéficiaient jusqu’alors les journalistes de l’audiovisuel public – c’est-à-dire le droit de ne pouvoir être contraint à accepter un acte contraire à leur « intime conviction professionnelle » – le texte introduit, dès l’article 2, une différenciation entre journalistes puisqu’il fait du CSA le garant, mais dans le secteur audiovisuel uniquement, de ce droit d’opposition.

Avec les députés du groupe Les Républicains, nous avons, en commission, dénoncé cette notion d’intime conviction professionnelle car elle nous semble faire obstacle au fonctionnement des entreprises de médias et de presse.

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