Projet de loi de finances pour 2021 — Texte n° 3360

Amendement N° 3124C (Non soutenu)

Publié le 11 novembre 2020 par : Mme Peyrol.

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I. – La section III du chapitre II du titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts est ainsi modifiée :

1° Au premier alinéa du I de l’article 209, après la première occurrence du mot : « France », sont insérés les mots : « , le cas échéant selon les modalités prévues à l’article 209 A, » ;

2° L’article 209 A est ainsi rétabli :

« Art. 209 A. – I. – Une entreprise est réputée être exploitée en France au sens du premier alinéa du I de l’article 209 si, dans le cadre d’une activité de fourniture de services numériques par l’intermédiaire d’une interface numérique, elle y dispose d’une présence numérique significative par l’intermédiaire de laquelle elle exerce tout ou partie de son activité en France, y compris lorsque l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux des modalités d’exercice de cette activité consiste à bénéficier d’une application littérale des stipulations pertinentes d’une convention internationale relative aux doubles impositions de façon non conforme à l’objet et au but de ces stipulations.
« II. – Pour l’application du présent article, les services numériques fournis par l’intermédiaire d’une interface numérique sont :
« 1° Les services dans le champ de la taxe sur les services numériques définie à l’article 299 ;
« 2° Les services exclus du champ de la taxe sur les services numériques et mentionnés aux a à c du 1° du II du même article 299 ;
« 3° Les services mentionnés aux 2° et 3° du I de l’article 1609 sexdecies B ;
« 4° Les activités de vente directe de biens ou services commandés à partir d’une interface numérique.
« III. – Une entreprise dispose en France d’une présence numérique significative au sens du I du présent article si une ou plusieurs des conditions suivantes sont réunies :
« 1° Le montant des sommes encaissées en contrepartie des services mentionnés au II fournis au cours de l’exercice ou de la période d’imposition à des utilisateurs localisés en France est supérieur à 10 millions d’euros ;
« 2° Le nombre d’utilisateurs de l’interface numérique, par l’intermédiaire de laquelle sont fournis des services mentionnés au II, localisés en France est supérieur à 100 000 ;
« 3° Le nombre d’utilisateurs actifs de l’interface numérique, par l’intermédiaire de laquelle sont fournis des services mentionnés au II, est supérieur à 50 000 ;
« 4° Le nombre de contrats conclus par l’entreprise avec des utilisateurs localisés en France pour la fourniture des services mentionnés au II est supérieur à 3 000 ;
« 5° Les dépenses de commercialisation, y compris les remises commerciales, engagées en France aux fins de cibler les utilisateurs qui y sont localisés, sont supérieures à un million d’euros ;
« 6° Une ou plusieurs personnes, agissant en France pour le compte de l’entreprise, concluent à titre habituel des contrats, ou jouent habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats qui ne font pas l’objet de modifications substantielles par l’entreprise, dès lors que ces contrats :
« a) Soit sont conclus au nom de l’entreprise ;
« b) Soit portent sur la cession ou la concession d’actifs appartenant à l’entreprise ;
« c) Soit portent sur la fourniture par l’entreprise d’un ou plusieurs services mentionnés au II du présent article ;
« 6° La valeur d’origine totale des actifs immobilisés situés en France et utilisés par l’entreprise pour la fourniture de services numériques à des utilisateurs localisés en France est supérieure à 5 millions d’euros.
« IV. – Pour l’application du présent article :
« 1° La France s’entend du territoire national, à l’exception des collectivités régies par l’article 74 de la Constitution, de la Nouvelle-Calédonie, des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton ;
« 2° L’utilisateur est localisé en France :
« a) Pour l’application du 2° du III, s’il consulte cette interface au moyen d’un terminal situé en France ; cette localisation est déterminée par tout moyen, dans le respect des règles relatives au traitement des données à caractère personnel ;
« b) Pour l’application du 3° du III, s’il dispose en France de son siège ou de son domicile fiscal, s’il exploite en France une entreprise au sens du premier alinéa du I de l’article 209 ou du présent article ou s’il dispose en France d’un établissement stable au sens des conventions internationales relatives aux doubles impositions ;
« 3° Pour l’application du 3° du III, l’utilisateur est actif s’il apporte une contribution effective dans le champ des activités mentionnées au II ;
« 4° Le montant des sommes encaissées en contrepartie de la fourniture des services mentionnés au II à des utilisateurs en France est égal au produit entre la totalité des sommes encaissées en contrepartie de la fourniture de ces services et le rapport entre, d’une part, le nombre d’utilisateurs localisés en France et, d’autre part, le nombre total d’utilisateurs ;
« 5° Les dépenses de commercialisation mentionnées au 4° du III sont engagées en France si elles consistent en le développement et la mise à disposition d’interfaces numériques en langue française et la possibilité de payer en euros, ou en l’octroi de remises et offres commerciales particulières pour les utilisateurs localisés en France au sens du 2° du présent IV ;
« 6° La personne mentionnée au 5° du III agit en France si elle y dispose de son domicile ou de son siège, si elle y exploite une entreprise au sens du premier alinéa du I de l’article 209 ou du présent article ou si elle y dispose d’un établissement stable au sens des conventions internationales relatives aux doubles impositions, et si son activité porte sur des services numériques fournis à des utilisateurs localisés en France ou sur des contrats conclus avec des utilisateurs localisés en France au sens des 2° et 3° du présent IV.
« V. – Les services numériques mentionnés au II sont fournis en France :
« 1° Pour les services mentionnés au 1° du II, lorsque les conditions prévues aux 1° et 2° du II de l’article 299bis sont réunies ;
« 2° Pour les services mentionnés au 2° du II du présent article, si l’utilisateur est localisé en France au sens du 2° du IV du présent article ;
« 3° Pour les services mentionnés au 3° du même II, si l’acheteur est localisé en France au sens du même 2° . »

II. – Les articles 209 et 209 A du code général des impôts, dans leur rédaction résultant du I du présent article, s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022.

Exposé sommaire :

Le 12 octobre dernier, les 137 pays négociant sous l’égide de l’OCDE ont échoué à trouver un accord pour que les grandes entreprises du numérique paient leur juste part d’impôt.

Si le gouvernement avait jusqu’à présent choisi de suspendre la « taxe Gafa[1]» (taxation des revenus des géants du numérique), le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, constatant l’échec des négociations, a confirmé qu’une taxation sera bien mise en place par la France dès le mois de décembre.

Ces nouvelles règles fiscales et, partant, les recettes qu’elles sont amenées à générer, sont à mettre en face des lourds déficits publics dus à la pandémie en cours et à venir, Bruno Le Maire rappelant à cet effet que « [les géants du digital] sont les seuls vainqueurs de cette crise. »

Dans cet élan, le présent amendement propose, pour aller plus loin, d’apporter une définition de l’établissement stable virtuel en droit français.

En effet, avec l’accélération du passage de l’économie au numérique, il devient de plus en plus pressant de trouver des solutions adaptées pour garantir un impôt juste et efficace. Les règles fiscales internationales existantes en matière d’imposition sur les sociétés du numérique sont rendues obsolètes et inadaptées au contexte d’aujourd’hui qui transcende les notions de présence physique, d’actifs tangibles et de création de valeur. Le premier critère d’assujettissement à la fiscalité d’un pays recoure au concept d’établissement stable comme règle fondamentale impliquant des paramètres de nature géographique et physique (présence physique sur le territoire de juridiction) et temporelle (la durée de l’activité doit être suffisamment longue). L’économie numérique s’exerce au-delà des frontières, sans présence physique, s’appuie sur des actifs intangibles et dont les activités reposent en partie sur l’utilisateur.

Si la définition d’établissement stable valait pour l’économie d’hier, elle n’est plus adaptée à l’économie d’aujourd’hui.

Cette nouvelle économie numérique doit nous conduire à bâtir une nouvelle fiscalité, la fiscalité du XXIème siècle, plus juste et plus efficace.

A la question Pourquoi développer un outil fiscal national qui serait neutralisé dans le cadre des conventions fiscales ? , la réponse est double : d’une part, parce qu’il s’agit d’une question de justice pour nos entreprises - en ce contexte particulier où elles sont durement touchées par la crise économique- quand l’écart évalué avec les entreprises du numérique dans l’assujettissement à l’impôt est conséquent ; d’autre part, parce qu’il s’agit d’affirmer sinon de réaffirmer la volonté de la France à voir émerger un consensus européen sur cette question et faire figure de proue en la matière.

C’est dans ce contexte et pour les raisons tout juste évoquées qu’il apparaît opportun sinon essentiel d’avoir une consécration nationale d’un établissement stable virtuel (ESV) en droit français. Partant de ce principe, une définition fine s’impose. Plusieurs tentatives dans ce sens ont déjà échoué, prenant pour seul modèle les critères de la directive européenne de mars 2018 à savoir le nombre d’utilisateurs, le nombre de contrats et le montant des revenus tirés des services concernés. D’autres aspects apparaissent nécessaires pour refléter le lien économique entre une entreprise et le territoire. C’est pourquoi le présent amendement s’attache, conformément aux propositions émises dans le rapport d’information[2] de 2018, à proposer de nouveaux éléments de définition de l’ESV qui traduisent le plus justement et finement possible la présence économique et l’implication d’une entreprise en France.

Il s’agit donc de définir ce que recouvre la notion de « présence numérique significative » étendant ainsi la notion d’établissement stable.

La nouvelle définition ainsi proposée reprend les critères de la directive européenne de mars 2018 en l’élargissant à de nouveaux critères :

- Le nombre d’utilisateurs ;

- Le nombre d’utilisateurs actifs c’est à-dire contribuant de manière effective au champ d’activités numériques économiquement significatives et impliquant la création de valeur ;

- Le nombre de contrats ;

- Le montant des revenus tirés des services concernés ;

- Les dépenses de marketing et de communication ;

- Les fonctions exercées par les salariés de l’entreprise étrangère sur le territoire national ;

- Les actifs présents en France ;

Le présent amendement s’appuie sur la Convention multilatérale de l’OCDE du 7 juin 2017, et articule avec le dispositif national proposé sa clause anti-abus générale.

Pour mémoire, cette clause prive un contribuable de l’octroi d’un avantage conventionnel si l’opération ou la transaction de ce contribuable a pour objectif principal ou comme l’un de ses principaux objectifs l’octroi dudit avantage. Sont ainsi sanctionnés les montages détournant la convention de son objet.

Or, un choix d’organisation arrêté pour bénéficier de la définition stricte de l’établissement stable qui figure dans la convention paraît bien constituer un tel détournement.

En étoffant la notion d’établissement stable en droit national, le présent amendement permet d’améliorer l’efficacité et l’effectivité de la clause anti-abus conventionnelle, en augmentant les hypothèses dans lesquelles une opération cherchera l’application stricte d’une convention pour en détourner l’objet.

Ces nouvelles dispositions seront applicables à compter de 2022, afin de tenir compte des travaux européens et internationaux en cours.

Ainsi, cet amendement répond bien à ce qu’avait émis la mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée dans son rapport de septembre 2018 stipulant que le recours à la consécration nationale de l’ESV ne devait avoir lieu « qu’en cas d’échec ou d’enlisement des négociations ». Avec cette nouvelle étape, il s’agit là d’aller plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale internationale et de réaffirmer la volonté de la France à être un acteur de premier plan et à jouer un rôle moteur vers la consécration à terme d’un ESV européen qui reste la ligne d’horizon.

[1] Google, Apple, Facebook, Amazon [2] Rapport d’information relatif à l’évasion fiscale internationale des entreprises, 2018, PEYROL (rapporteure) et PARIGI (président)

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