Publié le 2 mars 2021 par : Mme Batho, M. Villani, M. Julien-Laferrière, M. Orphelin.
Le chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’urbanisme est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Zone de protection naturelle, agricole et forestière des Terres de Gonesse
« Art. L. 123‑36. – Il est créé une zone de protection naturelle, agricole et forestière dans le périmètre du territoire concerné par le projet d’aménagement du Triangle de Gonesse dans la commune de Gonesse.
« Art. L. 123‑37. – La zone de protection comprend au moins 670 hectares de terres consacrées à l’activité agricole situées sur la commune de Gonesse.
« Art. L. 123‑38. – La zone de protection, ne pouvant être urbanisée, est délimitée par décret en Conseil d’État. Une carte précisant le mode d’occupation du sol est annexée au décret en Conseil d’État prévu au premier alinéa.
« Art. L. 123‑39. – L’interdiction d’urbaniser la zone de protection vaut servitude d’utilité publique et est annexée aux plans locaux d’urbanisme ou aux cartes communales des communes intéressées.
« Art. L. 123‑40. – Les communes intéressées disposent d’un délai de six mois à compter de la publication du décret en Conseil d’État visé à l’article L. 123‑38 pour mettre en compatibilité leur plan local d’urbanisme.
« Art. L. 123‑41. – Au sein de la zone de protection, l’établissement public foncier d’Ile-de-France élabore, en concertation avec la communes ou l’établissement public de coopération intercommunale situés dans la zone de protection et les associations agrées de protection de l’environnement, un programme d’action qui précise les orientations de gestion destinés à favoriser l’exploitation agricole, la préservation et la valorisation des espaces naturels. »
« Art. L. 123‑42. – Pour ce qui concerne la gestion agricole, le programme d’action est établi après consultation de la chambre interdépartementale d’agriculture d’Ile-de-France.
« Art. L. 123‑43. – Les terres sont mises en culture selon le mode de production biologique au sens du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2092/91, ou de la conversion vers ce mode de culture au sens de l’article 62 du règlement n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l’étiquetage et les contrôles. »
En France, il en est des grands projets d’aménagement comme des poulets à qui l’on vient de couper la tête : bien après leur mort, ils courent encore. Le Triangle de Gonesse, depuis l’annulation du méga-centre commercial EuropaCity, est un cas d’école. Sur ces champs d’une exceptionnelle fertilité, la Société du Grand Paris s’apprête à démarrer les travaux d’une gare du métro automatique, sans que quiconque ne sache exactement ni ce qu’elle desservira, ni comment elle sera financée, ni même si elle parviendra un jour à atteindre une quelconque forme de rentabilité.
Initialement promise par le Gouvernement français au groupe Auchan, qui en avait fait la condition sine qua non de l’implantation d’EuropaCity dans l’est du Val d’Oise, la gare « Triangle de Gonesse » aurait logiquement dû tomber aux oubliettes en même temps que ses 500 boutiques, ses 2700 chambres d’hôtel et sa piste de ski artificielle.
Las, début janvier, les agriculteurs du Triangle ont été priés de quitter les champs pour laisser la place aux bulldozers et aux tunneliers du Grand Paris Express. L’emplacement de la gare n’a pas bougé : toujours prévue à presque deux kilomètres des premières habitations, elle est à l’évidence le cheval de Troie d’une urbanisation future. Comment justifier autrement la dépense, entièrement sur deniers publics, d’une telle infrastructure ? On évoque 350 millions d’euros au bas mot.
Lors de l’annonce de l’abandon d’EuropaCity, l’on pouvait pourtant croire que les champs de Gonesse étaient enfin sauvés de la destruction. Le président de la République n’avait-il pas déclaré que ce projet d’artificialisation des terres était « daté » et « dépassé » ? En décembre dernier, n’a-t-il pas fièrement porté cette décision au crédit de son mandat, laissant augurer d’autres décisions, plus courageuses encore ?
Impropres à l’habitat en raison du bruit des avions du Bourget et de Roissy, les quelque 700 hectares du Triangle de Gonesse sont parmi les derniers vestiges de la ceinture nourricière qui pendant des siècles alimenta Paris et sa région. Ces terres limoneuses, aux rendements élevés, absorbent l’eau et rafraîchissent l’air, de plus en plus caniculaire, de la région parisienne. C’est un patrimoine inestimable.
« Make the Planet Great Again », nous dit le chef de l’État. Certes …Mais si l’on veut réparer notre Terre, ne devrait-on pas commencer par les territoires les plus abîmés, ces zones périurbaines où les habitants, exposés à la pollution et au bruit subissent l’injustice environnementale la plus criante ? Ne devrait-on pas donner la priorité aux territoires où le chômage et la précarité frappent le plus fort ?
Depuis 2017, c’est cette conviction qui anime CARMA « Coopérative pour une ambition agricole, rurale et métropolitaine d’avenir », projet de transition écologique et sociale pour le pays de France. Il fédère les acteurs franciliens prêts, dès maintenant, à se lancer. Il fait la part belle aux métiers de l’agriculture locale, mais parie aussi, pour les communes sur le pourtour du Triangle, sur l’investissement dans les secteurs d’avenir de la mobilité non polluante, de l’éco-construction et de la rénovation thermique des bâtiments.
Il n’y a rien de fantaisiste à proposer cela. On le sait, les métiers de la transition écologique sont denses en emplois utiles et non délocalisables. Quant au Triangle agricole lui-même, sur les 110 hectares expropriés par l’État pour faire EuropaCity, et qui sont désormais propriété de l’établissement foncier régional, il est possible dès maintenant d’y installer des fermes maraîchères, des exploitations horticoles et de petites unités d’élevage permettant de requalifier le paysage et de fertiliser le sol. La pertinence économique de tels choix n’est plus à démontrer : les fruits et légumes en circuit court pourront approvisionner les cantines scolaires et les EHPAD franciliens, tenus d’appliquer la loi qui exige que 50 % des produits soient bio ou sous label de qualité dès 2022. Quant à la filière horticole, entièrement dépendante des importations par avion avec des conséquences sociales et environnementales désastreuses, elle pourra être relocalisée sur ce territoire, où il y a quarante ans encore poussaient des tulipes à perte de vue.
Aveuglés par les promesses mensongères de créations d’emploi, prisonniers de visions dépassées, certains élus locaux s’entêtent hélas à soutenir un étalement urbain mortifère. L’Ile-de-France, et particulièrement cette zone du Val d’Oise, est pourtant saturée de centres commerciaux, de zones de logistique et de bureaux vides.
Les collectifs citoyens, de plus en plus nombreux et mobilisés, tentent d’empêcher l’irréversible. Ils multiplient les recours, jusqu’au Conseil d’État. Depuis le 17 janvier, des milliers de signataires du « Serment du Triangle » se sont déclarés « co-propriétaires » de ces terres, expropriées au nom d’un intérêt général qui de l’avis de tous doit aujourd’hui prendre en compte une nouvelle réalité, celle du dérèglement climatique, et d’une pandémie qui exige que l’on relocalise des pans entiers de notre économie. Certains ont même choisi d’occuper le Triangle, le déclarant « zone à défendre », afin d’empêcher la reprise des travaux de la gare.
Les terres fertiles sont notre patrimoine commun. Les scientifiques clament l’absolue nécessité de ne plus y porter atteinte : toute nouvelle bétonisation accroît la menace sur notre avenir. Au début des années 80, il y avait 32 millions d’hectares de terres agricoles en France. Selon les SAFER, qui gèrent le foncier rural, il n’y en a aujourd’hui plus que 27 millions. A Gonesse, il est encore possible de sauver des centaines d’hectares de terres nourricières. Il est encore possible de stopper la course à l’abîme.
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