Publié le 2 avril 2018 par : M. Trompille.
Substituer à l'alinéa 6 les cinq alinéas suivants :
« 2° Le deuxième alinéa de l'article L. 733‑1 est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
« « À titre exceptionnel, le président de la juridiction, après avoir informé le requérant et recueilli son consentement écrit, peut prévoir que la salle d'audience de la cour est reliée, en direct, par un moyen de communication audiovisuelle qui garantit la confidentialité de la transmission avec une salle d'audience spécialement aménagée à cet effet ouverte au public et située dans des locaux relevant du ministère de la justice plus aisément accessibles par le demandeur, dans des conditions respectant les droits de l'intéressé.
« « Une copie de l'intégralité du dossier est mise à sa disposition.
« « Le requérant et son avocat disposent du libre choix de la place de l'avocat et de l'interprète, au sein de la juridiction ou aux côtés du requérant.
« « Ces opérations donnent lieu à l'établissement d'un procès-verbal dans chacune des salles d'audience ou à un enregistrement audiovisuel ou sonore. » »
La visioconférence a été introduite en 2001 en procédure pénale.
Mais une personne ne peut être jugée devant un tribunal correctionnel par visioconférence que si elle est détenue et avec l'accord de l'ensemble des parties au procès.
Ainsi, le jugement d'un prévenu par visioconférence n'est envisagé que pour pallier au coût et à la complexité des extractions de détenus et uniquement avec le consentement de la personne concernée.
En 2003, la visioconférence a été instaurée concernant les audiences aux fins de prolongation de la rétention, pour lesquelles se pose également la problématique de transfert de personnes privées de liberté. Le consentement de l'intéressé est également imposé par la loi.
L'article L.733-1 du CESEDA prévoit la possibilité du recours à la visioconférence devant la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA).
Le texte actuel dispose toutefois que le requérant, résidant en France métropolitaine, peut s'opposer à la visioconférence et demander à être convoqué dans les locaux de la Cour.
La visioconférence est donc facultative et subordonnée au consentement du justiciable.
Le projet de loi supprime le caractère facultatif de la visioconférence en l'imposant au justiciable.
Cette généralisation de la visioconférence, sans le consentement du justiciable, est non seulement contraire à la jurisprudence du conseil constitutionnel, mais aussi critiquée par les acteurs du contentieux, à commencer par les juges. En outre, elle ne peut se justifier par une question de bonne administration de la justice ou bonne utilisation des deniers publics, s'agissant de justiciables qui ne sont pas privés de liberté.
Saisi notamment de la question du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention administrative, le Conseil constitutionnel a jugé dans une décision du 20 novembre 2003 (n°2003-484-DC) que cela était conforme à la constitution à condition qu'il soitsubordonné au consentement de l'étranger.
Ainsi, le projet de loi ne saurait prévoir le recours obligatoire à la visioconférence sans méconnaitre la constitution.
Les juges qui ont fait l'expérience de la visioconférence s'opposent à sa généralisation.
C'est la mise à distance et la déshumanisation outre de nombreux problèmes pratiques qui sont mis en avant.
Dans son avis en date du 2 février 2018, le syndicat de la juridiction administrative indique :
« Le projet vise à développer massivement le recours aux vidéo-audiences.Le SJA s'oppose avec force à ce projet. Si les apparences en termes de neutralité et d'impartialité de la justice sont sauves (contrairement à ce qui est le cas pour les audiences délocalisées) ce dispositif a pour effet de mettre à distance le juge et les parties qui ne se côtoient plus physiquement.Le principe pluriséculaire d'unité de temps et de lieu propre à tout procès se trouve mis à mal (…).
La retransmission faussera la perception qu'a le juge des personnes, de leurs récits et des plaidoiries de leur conseil. Sans parler des nombreux dysfonctionnements qui ont déjà cours dans les juridictions judiciaires qui pratiquent la télé-audience,cette pratique fera du juge non plus un acteur à part entière du procès mais un simple spectateur. Rendre un verdict en présence du requérant, qu'il soit d'ailleurs favorable ou défavorable, fait partie pleine et entière de la responsabilité et de la mission du juge. Pour bon nombre de nos collègues, l'absence du requérant dans la salle dans laquelle le procès se déroule sera vécue comme un biais susceptible d'affecter leur appréciation du litige qui leur est soumis, et donc le sens même de leur décision ».
En pratique, pour tenir des audiences en visioconférence, la CNDA doit collaborer avec le tribunal administratif pour équiper les salles et les occuper durant plusieurs demi-journées par semaine.
Le tribunal doit donc suspendre ses activités et mettre à la disposition de la CNDA ses locaux et personnels, ce qui a pour conséquence de désorganiser l'activité du tribunal.
En 2004, une étude a été réalisée au Canada concernant la position de différents professionnels sur le dispositif de la visioconférence : des avocats, juges, interprètes (http://www.irb-cisr.gc.ca/Fra/transp/ReviewEval/Pages/Video.aspx#data). Il ressort des différents échanges plusieurs inconvénients à ce dispositif, permettant de douter de son efficacité :
Ainsi, la visioconférence déshumanise la relation judiciaire : un entretien par caméra et micro interposés ne peut remplacer un contact direct avec un justiciable permettant une écoute réciproque et une prise de décision pleinement assumée.
L'introduction de la visioconférence pose également le problème de la position de l'avocat.
S'il se place aux côtés de son client, les juges n'ont plus aucun contact humain avec le dossier.
De même, si l'avocat n'est pas face aux juges, comment peut-il montrer en audience les orignaux des pièces produites ?
Pour l'ensemble de ces raisons, la généralisation de la visioconférence ne saurait être retenue.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cet amendement.