Publié le 2 avril 2018 par : M. Trompille.
Après l'alinéa 6, insérer l'alinéa suivant :
« 3° Après la dernière occurrence du mot : « les », la fin de la seconde phrase du dernier alinéa de l'article L. 733‑2 est ainsi rédigée : « recours, qui dans le cadre d'une première demande d'asile, n'entrent manifestement pas dans le champ d'application des articles L. 711‑1 et L. 712‑1 ou, dans le cadre d'une demande de réexamen, sont manifestement irrecevables conformément à l'article L. 723‑16. » »
Le projet de loi maintient la possibilité pour le président et les présidents de formation de jugement de la CNDA de rejeter par voie d'ordonnances dites « nouvelles », sans audience, «les demandes qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision d'irrecevabilité ou de rejet du directeur général de l'office ».
Or, les avocats, comme les rapporteurs de la CNDA, constatent une utilisation exponentielle et abusive des ordonnances « nouvelles », qui représentaient en 2017 25, 9 % du contentieux devant la CNDA.
Plus d'un quart des demandeurs d'asile voient donc leurs dossiers rejetés sans avoir été entendus par un juge.
Loin d'être une exception, le rejet par ordonnance est aujourd'hui devant la CNDA un moyen de « gestion des flux des dossiers ».
Les ordonnances concernent ainsi un grand nombre de premières demandes d'asile, tout à fait « sérieuses » puisqu'elles entrent dans le champ d'application de la convention de Genève ou de la protection subsidiaire (ex : femme mère isolée victime de violences graves dans son pays, homosexuels victimes de persécutions dans le pays d'origine, famille victime de vendetta, etc...).
Pourtant, cette procédure qui permet à la CNDA de rejeter sans audience un recours selon des critèressubjectifs et aléatoires, est contraire à la spécificité du contentieux de l'asile et au droit européen.
M. Jean-Marie DELARUE, Conseiller d'Etat honoraire, estimait dans son rapport du 29 novembre 2012 :
«On doit admettre que la notion d'absence « d'élément sérieux » de l'article R. 733-16 est délicate à caractériser (…). Elle paraît presque antinomique de l'idée selon laquelle l'oralité est un élément important de la procédure conduisant à la décision de la Cour. »
De même, le rapport du Président Vigouroux sur la procédure devant la CNDA a rappelé l'importance de l'oralité des débats en matière d'asile.
Le rapport indique ainsi que «l'audition du demandeur d'asile pendant l'audience et les réponses qu'il apporte aux questions qui lui sont alors posées par les membres de la formation de jugement constituent de fait, une incontestable prolongation de l'instruction du dossier. Et cette phase s'avère, du reste, dans la quasi-totalité des cas, tout à fait décisive sur l'issue qui est donnée au recours. Une part essentielle de la recherche de la vérité propre au contentieux de l'asile repose, en effet, sur le recueil de la parole du demandeur d'asile et celle-ci apparaît le plus souvent déterminante pour asseoir au contraire ou mettre en doute la crédibilité de son récit » (Rapport définitif, p. 10). Le groupe de travail «estime que le demandeur d'asile comme, le cas échéant, le représentant de l'office lorsqu'il vient à l'audience, doivent être en mesure d'apporter tout complément par rapport aux éléments qui figurent au dossier qu'il s'agisse du dossier de l'Office ou de celui de la cour ».
L'audience vient compléter nécessairement la partie écrite de la procédure et apparaît décisive.
En effet, en raison notamment des conditions précaires dans lesquelles les recours sont rédigés (demandeurs souvent non francophones, rédaction de recours en urgence au vu du délai restreint, absence d'hébergement et de suivi social…), les seuls éléments écrits du dossier sont souvent insuffisants pour appréhender le besoin de protection.
Surtout, ce droit d'être entendu par la CNDA est consacré par le droit européen.
Le droit à un recours effectif en matière d'asile est garanti tant par la directive européenne du 26 juin 2013 relative aux procédures communes en matière de protection internationale (article 25 du préambule et article 46) que par la Charte des droits fondamentaux (articles 41 et 47).
«Afin de pouvoir déterminer correctement les personnes qui ont besoin d'une protection en tant que réfugiés au sens de l'article 1 er de la convention de Genève ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, chaque demandeur devrait avoir un accès effectif aux procédures, pouvoir coopérer et communiquer de façon appropriée avec les autorités compétentes afin de présenter les faits pertinents le concernant, et disposer de garanties de procédure suffisantes pour faire valoir sa demande à tous les stades de la procédure. Par ailleurs, la procédure d'examen de sa demande de protection internationale devrait, en principe, donner au demandeur au moins: le droit de rester sur le territoire dans l'attente de la décision de l'autorité responsable de la détermination, l'accès aux services d'un interprète pour présenter ses arguments s'il est interrogé par les autorités, la possibilité de communiquer avec un représentant du Haut- Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et avec les organisations qui fournissent aux demandeurs d'une protection internationale des conseils ou des orientations, le droit à une notification correcte d'une décision et à une motivation de cette décision en fait et en droit, la possibilité de consulter un conseil juridique ou tout autre conseiller, le droit d'être informé de sa situation juridique aux stades décisifs de la procédure, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, et, en cas de décision négative, le droit à un recours effectif devant une juridiction. »
Le droit plus spécifique d'être entendu devant une juridiction en matière d'asile est protégé par la Charte des droits fondamentaux et fait partie intégrante des droits de la défense (articles 18, 41 et 47 de la Charte des droits fondamentaux). Ce principe est rappelé par la Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE, n° C-277/11 du 22 novembre 2012, M.M c/ Minister for Justice, Equality and law reform).
Il en va de même pour la Cour EDH qui a condamné la France à plusieurs reprises sur le fondement des article 13 et 3 combinés de la CESDH, en cas de reconduite de demandeurs d'asile n'ayant pas eu la possibilité d'accéder à une audience pour faire valoir leurs droits (I.M c France Cour EDH 5ème section, 14 décembre 2011 requête n°9152/09).
Il est donc inconcevable de maintenir la procédure d'ordonnances dites « nouvelles » sans méconnaître le droit européen et nier la spécificité du contentieux qui nécessite l'oralité.
Ce d'autant plus que les ordonnances interviennent généralement à un stade précoce de la procédure et sans délai de prévenance. Cela prive donc les demandeurs d'asile de toute possibilité concrète d'étayer utilement leurs recours.
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