Publié le 2 avril 2018 par : M. Trompille.
Substituer à l'alinéa 8 l'alinéa suivant :
« Art. L. 741‑2-1. – Lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, l'étranger est informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprenne, des langues dans lesquelles il peut être entendu lors de l'entretien personnel mené par l'office prévu à l'article L. 723‑6. Il indique celle dans laquelle il préfère être entendu. Tout au long de la procédure, il pourra être entendu dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprenne. »
Le projet de loi 2018 prévoit de figer le choix de la langue dans laquelle le demandeur d'asile sera entendu dès l'enregistrement de la demande.
On comprend à la lecture de l'avis du Conseil d'Etat rendu le 15 février 2018 que cette modification de l'article L. 741-2 du CESEDA est mue par la volonté de « remédier aux changements imprévus de langue de procédure en cours d'instruction de la demande, souvent effectués à titre dilatoire par des demandeurs d'asile de mauvaise foi » (point 27 page 7).
Il est regrettable que le Conseil d'Etat dans cet avis ne précise pas les sources qui le conduisent à affirmer un tel postulat et ce, d'autant plus que la pratique et l'exercice du métier d'avocat au quotidien devant la Cour nationale du droit d'asile ne peuvent que donner lieu à constater que ce postulat est erroné.
Il est très rare que les demandeurs d'asile décident de manière imprévue d'être entendus dans une langue différente en arrivant à l'OFPRA et/ou devant le Juge de la Cour nationale du droit d'asile et ce, à des fins dilatoires.
Si des problématiques de choix de langue peuvent se présenter dans le cadre de la procédure de demande d'asile, elles apparaissent plutôt au stade de la procédure de transfert vers l'Etat membre responsable de la demande d'asile, et ce, en application du règlement Dublin III. Or force est de constater qu'elles sont essentiellement dues au défaut de formation des agents en préfecture.
A l'occasion de cette procédure de transfert, des brochures d'information rédigées dans une langue que le demandeur d'asile comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprenne doivent être remises.
Or, un contentieux s'est développé devant le Tribunal administratif révélant les nombreuses erreurs commises par les agents en préfecture dans le choix de langue de la brochure d'information, ayant pour conséquence l'annulation des arrêtés de transfert.
Ainsi, les motivations de ce nouvel article trouvent leur source dans une analyse erronée de l'état des lieux de la procédure de demande d'asile, laquelle nourrit une présomption de mauvaise foi attribuée à tort au demandeur d'asile.
Par ailleurs, la proposition de modification telle qu'issue de la rédaction actuelle du projet de loi est, d'une part moins protectrice au regard des exigences fixées par le droit européen (directive « procédures » du 26 juin 2013), et d'autre part se présente comme une volonté de faire obstacle au droit d'être entendu.
I / Une formulation nouvelle de l'accès à la langue qui se situe en deçà des garanties procédurales prévues par la directive « procédures » :
Les bases juridiques européennes applicables au droit d'asile prévoient un droit à l'information du demandeur d'asile «dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprenne » (Article 12 a) de la directive « procédures ».
L'article 12 de la directive « procédures » 2013/32/UE entrée en vigueur en 2015 prévoit :
a) Ils sont informés, dans une languequ'ils comprennent ou dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent, de la procédure à suivre et de leurs droits et obligations au cours de la procédure ainsi que des conséquences que pourrait avoir le non-respect de leurs obligations ou le refus de coopérer avec les autorités. (…)
f) ils sont informés du résultat de la décision prise par l'autorité responsable de la déterminationdans une langue qu'ils comprennent ou dont il est raisonnable de supposer qu'ils la comprennent (…) ».
En outre la directive « retour » 2008/115 relative aux procédures d'éloignement du demandeur d'asile débouté garantit aussi ce droit d'être informé dans une langue qu'il comprend, au titre des garanties procédurales.
Ainsi, l'article 10 dispose : «Sur demande, les États membres fournissent une traduction écrite ou orale des principaux éléments des décisions liées au retour visées au paragraphe 1, y compris des informations concernant les voies de recours disponibles,dans une langue que le ressortissant d'un pays tiers comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend. »
Contre toute attente, le projet de loi se contente d'une formule qui se situe en deçà des garanties procédurales européennes puisque désormais, le demandeur d'asile pourrait être entendu «dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante ».
De la même manière, la recommandation du Commissariat aux Droits de l'Homme CommRDH / Rec (2001) du 19 septembre 2001 relative aux droits des étrangers souhaitant entrer sur le territoire des Etats membres du Conseil de l'Europe et à l'exécution des décisions d'expulsion dispose à l'égard des personnes arrivant sur le territoire d'un Etat partie et souhaitant demander l'asile, qu'elles doivent être entenduesdans une langue qu'elles comprennent.
«Dès l'arrivée, toute personne, dont le droit d'entrée est remis en cause, doit être entendue, s'il le faut à l'aide d'un interprète à charge de l'Etat d'arrivée, pour être en mesure, le cas échéant, de formuler une demande d'asile, ce qui doit impliquer pour elle le droit de remplir un dossier après avoir été dûment renseignée, dans une langue qu'elle comprenne, sur la procédure à suivre. Dès lors tout refoulement au pied de l'avion est inadmissible ».
Force est de constater que le législateur prévoit d'inscrire dans la loi un nouvel article moins protecteur que la législation européenne en la matière et que le juge de l'asile sera obligé de l'écarter en raison du principe de l'effet direct de la directive européenne.
La directive « procédures » de 2013 édicte des obligations précises, claires, inconditionnelles directement invocables.
Par ailleurs, cette nouvelle formulation proposée par le projet de loi à savoir «dans une langue dont il a une connaissance suffisante » pose une difficulté relative à la question de savoir qui aura la compétence pour apprécier la connaissance suffisante de cette langue.
En effet, les agents des préfectures qui sont les premiers représentants de l'Etat à recevoir les demandeurs d'asile en France ne sont pas compétents pour se prononcer sur les compétences linguistiques des demandeurs d'asile dans les langues parlées dans leurs pays d'origine.
Si l'article 4 de la Directive procédure du 26 juin 2013 prévoit que «Les Etats membres veillent à ce que le personnel de l'autorité responsable de la détermination visée au paragraphe 1 soit dûment formé », force est de constater à ce jour qu'aucune formation relative ne serait-ce qu'aux différentes langues utilisées dans les pays dont les demandeurs d'asile n'est dispensée.
Le nouvel article proposé n'est pas envisageable :
On peut relever que les services de police ont accès en permanence par téléphone aux services d'interprétariat et regretter que l'équivalent ne soit pas mis en place dans les préfectures responsables de l'accueil des demandeurs d'asile.
A l'heure actuelle à la Préfecture de police sise boulevard Ney dans le 18ème arrondissement la plupart des demandeurs d'asile ne sont pas accompagnés et sont souvent dans l'incapacité de remplir seuls leur formulaire en français.
A défaut de recours à l'interprétariat, l'agent au guichet finit par remplir le formulaire et la pratique donne à constater qu'à ce stade, il est très fréquent que des erreurs sur l'état civil du demandeur et de sa famille apparaissent.
L'on peut dès lors douter de la capacité à comprendre la liste des langues qui leur est proposée si l'Etat ne prévoit pas que cette information se fasse dans une langue comprise par le demandeur d'asile.
A titre d'exemple, il n'est pas rare que l'agent de la préfecture attribue directement la langue ourdoue à un ressortissant originaire du Pakistan uniquement parce que l'agent n'est pas renseigné sur l'existence et la pratique de la langue pachto dans ce pays.
II/ Un risque d'atteinte au droit d'être entendu :
En outre, en souhaitant fixer le choix de la langue utilisée par le demandeur d'asile dès l'enregistrement de sa demande en préfecture tout en ne prévoyant qu'une seule possibilité de changement de langue dont les conditions seront en pratique irréalisables, le projet de loi se présente comme une atteinte au droit d'être entendu puisqu'il risque de créer de nouveaux cas de demandeurs d'asile qui seront entendus dans une langue qu'ils ne comprennent pas et qui s'exprimeront dans une langue dans laquelle ils ne pourront pas être compris.
Ce droit est pourtant la clé de voûte de la procédure en matière d'asile.
Le droit d'être entendu est rappelé par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
La Cour de Justice de l'Union Européenne a reconnu dans de nombreuses décisions ce droit comme un principe fondamental de l'Union Européenne puis comme un principe général du droit de l'union des droits de la défense.
Dans sa décision M.M. c/Ireland de 2012 (CJUE, Minister for Justice, Equality and Law Reform, Ireland, en date du 22 novembre 2012, aff. C-277/11) , la CJUE l'a étendu à la possibilité d'être de nouveau entendu dans le cadre d'une demande de protection subsidiaire, à la suite d'un premier rejet d'une demande de protection conventionnelle en relevant que ces procédures diffèrent.
L'arrêt retient ainsi que ce principe fondamental vaut en l'absence de fondement textuel.
De même, le rapport du Président Vigouroux sur la procédure devant la CNDA a rappelé l'importance de l'oralité des débats en matière d'asile.99 l'arrêt Krombach en 2000 et plus récemment sur le fondement des articles 41, 47 et 48 de la Charte fondamentale de l'Union Européenne, l'arrêt M.M. c/Ireland de 20129 confirment le caractère fondamental de ce principe du droit d'être entendu.
En 2014, l'arrêt Makarubega précise que la garantie du droit d'être entendu est désormais fondée sur le principe général du droit de l'Union du respect des droits de la défense.
L'arrêt M. de 2017 précise que le droit d'être entendu induit d'organiser un entretien oral si les circonstances spécifiques, telles que des éléments dont disposent les autorités compétentes ou la situation personnelle.
Le rapport indique ainsi que « l'audition du demandeur d'asile pendant l'audience et les réponses qu'il apporte aux questions qui lui sont alors posées par les membres de la formation de jugement constituent de fait, une incontestable prolongation de l'instruction du dossier.
Et cette phase s'avère, du reste, dans la quasi-totalité des cas, tout à fait décisive sur l'issue qui est donnée au recours. Une part essentielle de la recherche de la vérité propre au contentieux de l'asile repose, en effet, sur le recueil de la parole du demandeur d'asile et celle-ci apparaît le plus souvent déterminante pour asseoir au contraire ou mettre en doute la crédibilité de son récit (Rapport définitif, p. 10). Le groupe de travail «estime que le demandeur d'asile comme, le cas échéant, le représentant de l'office lorsqu'il vient à l'audience, doivent être en mesure d'apporter tout complément par rapport aux éléments qui figurent au dossier qu'il s'agisse du dossier de l'Office ou de celui de la cour ».
Ainsi, il est primordial que le demandeur d'asile puisse, d'une part s'exprimer aisément dans une langue qu'il maîtrise de sorte qu'il soit intelligible, et d'autre part qu'il puisse comprendre par le truchement d'un interprète intervenant dans cette même langue les attentes des personnes chargées de l'examen de sa demande de protection. Il est également impératif que le demandeur d'asile parle en confiance dans une langue qui n'est pas toujours la langue officielle de son pays mais qui est plus proche de sa culture et de ses origines et qui est prévue par la liste des langues dont l'interprétariat est garanti.
A l'heure actuelle le choix de la langue est souvent imposé en préfecture et/ou à l'OFPRA et parfois n'ayant pas été informé de la possibilité d'être entendu dans une langue plus proche de sa culture et de ses origines, le demandeur d'asile accepte la langue officielle, nationale de son pays d'origine. (Afghanistan = Pachto ou Dari mais il existe des requérants d'origine ouzbèke, Pakistan (l'ourdou est imposé quand le requérant originaire de Swat ou des zones tribales parlent plutôt le pachto – Soudan : l'Arabe alors que des requérants auraient préféré le zagawa).
En figeant le choix de la langue dès le début de la procédure et en n'assortissant cette règle que d'une seule et unique exception dont les conditions d'application seront impossibles à réunir, ce nouvel article pourra conduire à des situations manifestement attentatoires au droit d'asile.
Ainsi, la seule brèche ouverte par le projet de loi permettant au demandeur d'asile de solliciter un changement de langue pendant la procédure consiste à lui imposer d'en faire la demande par écrit à l'appui de son recours devant la CNDA.
Cette seule exception n'est pas suffisante et ce, d'autant plus lorsque la pratique de la procédure d'asile au quotidien devant la CNDA révèle qu'au stade de la rédaction du recours devant la CNDA, les demandeurs d'asile qui sollicitent le bénéfice de l'aide juridictionnelle, soit la grande majorité selon les statistiques, ne rencontrent pas leurs avocats.
Ce défaut de rencontre est principalement dû aux conditions précaires des demandeurs d'asile souvent dépourvu d'un hébergement et non francophones, au délai restreint, à la distance qui sépare l'avocat du CADA lorsque le demandeur d'asile est hébergé en CADA, à l'absence de suivi social, à l' absence de prise de contact dans le délai d'un mois.
La rédaction du recours se fait la plupart du temps uniquement par l'intermédiaire d'un intervenant social travaillant dans un CADA lorsque le demandeur bénéficie d'un hébergement dans cette structure.
Ces intervenants transmettent les éléments utiles permettant la rédaction du recours.
Ils considèrent d'ailleurs assez souvent que certains requérants «parlent suffisamment bien le français où l'anglais » pour organiser ultérieurement un rdv avec l'avocat sans interprète.
Force est de constater que dans la plupart des cas, l'avocat ne peut que regretter que le demandeur d'asile ne bénéficie pas du bagage linguistique suffisant pour mener un entretien rendant possible l'évocation des persécutions subies et/ou à craindre en cas de retour dans le pays d'origine, ainsi que le ressenti de ces événements.
Si le bagage linguistique en français ou en anglais est perçu comme suffisant par les intervenants sociaux dans leur rapport avec les demandeurs d'asile, lesquels sont liés à des problématiques d'organisation de la vie au quotidien, il se révèle être très en deçà de ce que l'on peut attendre comme bagage pour réaliser un examen sérieux de la demande d'asile. A ce titre, l'on ne peut que s'étonner de la volonté du projet du loi de retenir la formulation selon laquelle «Ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'à tout instant l'étranger puisse à sa demande être entendu en français ».
A défaut d'hébergement en CADA, le recours est établi sur la base des seuls éléments écrits du dossier transmis par le Bureau d'aide juridictionnelle lorsque le demandeur ne parvient pas, notamment en raison du barrage de la langue et de ses conditions de vie précaires, à prendre contact avec l'avocat qui a été désigné pour l'assister.
L'on ne peut que regretter à ce stade que la loi ne prévoit toujours pas l'accès à un interprète au titre de l'aide juridictionnelle à l'occasion des rendez-vous avec l'avocat désigné, et être consterné devant cette atteinte au droit de la défense des plus vulnérables que cela engendre.
En outre, le projet de loi prévoyant un nouveau délai raccourci à 15 jours pour exercer le recours empêchera l'avocat de solliciter à ce stade et à l'appui de son recours établi en urgence, la nécessité de changer de langue dès lors que la rencontre avec son client sera rendue d'autant plus irréalisable dans un délai si court.
Comment considérer que dans de telles conditions d'intervention, l'avocat serait en mesure de solliciter un changement de langue dans l'intérêt de son requérant à l'appui de son recours alors qu'il n'est même pas en mesure de le rencontrer ni de s'entretenir avec lui dans une langue qu'il comprend.
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