Publié le 29 juin 2018 par : M. Lénaïck Adam, M. Brotherson, M. Kokouendo.
I. – L’article 72‑3 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les collectivités mentionnées au deuxième alinéa peuvent accéder au statut de pays d’Outre-mer au sein de la République, dans les conditions prévues par le statut-cadre des pays d’Outre-mer, partie intégrante de la présente Constitution. »
II. – Le statut-cadre des pays d’Outre-mer est ainsi rédigé :
« Statut cadre des pays d’Outre-mer
« Art. 1er. – Les pays d’Outre-mer font partie intégrante de la République française et sont soumis à la Constitution.
« Dans les pays d’Outre-mer, les citoyens français ont tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils y jouissent des droits et libertés garantis à chacun par la Constitution et par les engagements internationaux de la France.
« Les électeurs des pays d’Outre-mer participent à l’élection du Président de la République et aux référendums. Ils élisent des députés à l’Assemblée nationale.
« Les pays d’Outre-mer sont représentés au Sénat.
« Art. 2. – Les pays d’Outre-mer se gouvernent librement et gèrent démocratiquement leurs propres affaires, dans le respect des libertés et droits fondamentaux garantis par la Constitution et les engagements internationaux de la France. Ils peuvent exercer leur propre pouvoir législatif et réglementaire.
« Art. 3. – Dans les conditions prévues par une loi organique, le statut de chaque pays d’Outre-mer est adopté conjointement par le Parlement et par l’assemblée délibérante du pays, puis soumis au Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur sa conformité à la Constitution.
« Il ne peut entrer en vigueur qu’après son approbation, par la voie du référendum, par les électeurs du pays.
« Ses modifications ultérieures, adoptées dans les conditions prévues au premier alinéa ne peuvent entrer en vigueur sans le consentement des électeurs du pays, le cas échéant selon la procédure du référendum d’initiative populaire. Une modification du statut que l’assemblée délibérante n’a pas adoptée peut néanmoins être soumise à ces électeurs par le Président de la République sur la proposition du Gouvernement, de l’Assemblée nationale, du Sénat ou d’une fraction des électeurs.
« Art. 4. – Le statut de chaque pays d’Outre-mer, qui a la valeur d’une loi organique, détermine :
« 1° La répartition des compétences respectives de l’État et du pays, conformément à l’article 5 ;
« 2° Les conditions dans lesquelles les dispositions législatives et règlementaires intervenant dans le domaine de compétence de l’État y sont applicables, et les procédures selon lesquelles elles sont adoptées ou y sont étendues, le cas échéant avec l’accord des institutions du pays ;
« 3° Les conditions dans lesquelles les engagements internationaux de la France y sont applicables, et les modalités selon lesquelles les institutions du pays sont, selon le cas, informées, consultées ou associées quant à leur négociation, puis appelées à approuver l’entrée en vigueur sur son territoire de ceux d’entre eux qui interviennent dans le domaine de ses compétences ;
« 4° Les conditions dans lesquelles ses institutions sont consultées, avant leur adoption, sur les dispositions législatives et règlementaires adoptées par les autorités compétentes de l’État et comportant des dispositions particulières au pays ;
« 5° Les conditions dans lesquelles le pays est consulté, informé ou associé, selon le cas, aux décisions de politique étrangère le concernant, peut être membre d’une organisation internationale, disposer d’une représentation auprès d’États ou d’organisations internationales, négocier des accords avec ceux-ci, dans son domaine de compétence et, sans préjudice de l’accord des autorités compétentes de la République, conclure ces accords ;
« 6° Les conditions dans lesquelles certaines des compétences de l’État peuvent être déléguées au pays pour être exercées sous son contrôle, ainsi que les conditions dans lesquelles l’État et le pays peuvent exercer en commun certaines compétences ;
« 7° Les règles et principes généraux gouvernant la composition, l’organisation et le fonctionnement de ses institutions du pays, qui comportent une assemblée délibérante et un organe exécutif élus, ainsi que les modalités de mise en œuvre du droit de pétition et du référendum local ;
« 8° Les conditions dans lesquelles le pays peut prendre des mesures justifiées par les nécessités locales en faveur de sa population, en matière d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ;
« 9° Les conditions dans lesquelles le délégué du Gouvernement de la République dans le pays a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois ;
« 10° Les modalités de l’exercice du contrôle juridictionnel sur les actes des institutions du pays, et notamment les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité des actes de son assemblée délibérante intervenant dans le domaine de la loi ;
« 11° Les conditions dans lesquelles les autorités de la République peuvent, en cas d’urgence et après mise en demeure restée sans résultat, se substituer aux institutions du pays afin de prendre les mesures qui s’imposent pour assurer la sécurité de la population et le fonctionnement normal des services publics ou mettre fin à une violation grave et manifeste des dispositions de la loi fondamentale relatives au fonctionnement des institutions, lorsque ces dernières n’ont pas pris les décisions qui leur incombent ; ces mesures peuvent être soumises à l’autorisation ou à la ratification du Parlement ;
« 12° Les modalités selon lesquelles la solidarité nationale s’exerce à l’égard du pays notamment pour la mise en œuvre des dixième à treizième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 ;
« 13° La garantie des ressources du pays, dans le respect des dispositions de l’article 72‑2 de la Constitution, et les conditions de leur emploi dans le respect des principes de transparence et de responsabilité prévus par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
« Art. 5. – Dans chacun des pays d’Outre-mer, les compétences de l’État comprennent notamment :
« 1° La nationalité ; les droits civiques ; la sauvegarde des droits fondamentaux et des libertés publiques et individuelles ; le contrôle des élections et des référendums ; « 2° La défense ;
« 3° La politique étrangère, sans préjudice des compétences du pays en matière de relations extérieures liées à l’exercice de ses compétences propres ;
« 4° Le contrôle de la justice ; le droit pénal général ;
« 5°La sécurité intérieure et le maintien de l’ordre, les prohibitions à l’importation et à l’exportation qui relèvent de l’ordre public ;
« 6° Le respect des obligations résultant des engagements internationaux et de l’appartenance à l’Union européenne ;
« 7° La monnaie, le Trésor, crédit et les changes.
« Art. 6. – Les autorités compétentes de l’État peuvent adopter des dispositions législatives ou réglementaires particulières à chaque pays d’Outre-mer.
« Elles veillent, dans la négociation des engagements internationaux de la France, à préserver les compétences du pays et à prendre en compte sa situation particulière.
« Art. 7. – Le Conseil constitutionnel règle les litiges survenus entre l’État et les pays d’Outre-mer dans l’application du présent statut-cadre ; à cette fin, il peut notamment se prononcer, par voie d’action ou par voie d’exception, sur la conformité des lois promulguées aux dispositions du statut de chaque pays ; les questions de répartition des compétences entre l’État et les pays d’Outre-mer peuvent lui être renvoyées à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction.
« Art. 8. – Une loi organique détermine les conditions dans lesquelles les collectivités mentionnées au dernier alinéa de l’article 72‑4 peuvent, sur décision de leur assemblée délibérante et, le cas échéant, de leurs électeurs, opter pour leur transformation en pays d’Outre-mer, ainsi que la procédure selon laquelle est adopté et modifié le statut de chacun des pays d’Outre-mer dans le respect des règles et principes énoncés aux articles 3 et 4 du présent statut-cadre. »
Le présent article additionnel entend ouvrir de nouvelles perspectives d’évolution à l’ensemble des collectivités d’Outre-mer, qu’elles soient régies par l’article 73 comme par l’article 74.
Il est proposé, à cette fin, de créer la catégorie des pays d’Outre-mer, régie par un statut-cadre, annexé à la Constitution et donc doté de la même valeur. Ce statut-cadre serait ensuite décliné, le cas échéant, dans chacun des pays d’Outre-mer, par un statut particulier qui, ayant valeur de loi organique, serait adopté conjointement par le Parlement et par son assemblée délibérante sous le contrôle du Conseil constitutionnel, puis soumis à l’approbation des électeurs concernés.
À la différence de l’état actuel du droit, fixé par les articles 72‑4, 73 et 74, chaque statut particulier, dans son intégralité ne pourra entrer en vigueur qu’avec l’accord exprès des électeurs ; il ne pourra ensuite être modifié qu’avec cet accord, qu’il soit explicite ou tacite (une procédure de référendum d’initiative populaire est prévue à cet effet, de sorte que toute modification, même mineure, du statut d’un pays d’Outre-mer, déjà adopté par l’assemblée délibérante et par le Parlement, puisse toujours être soumis aux électeurs intéressés si une fraction d’entre eux le demande).
Ce nouveau statut vise à répondre aux difficultés résultant de l’excessive rigidité des actuels articles 73 et 74 : en donnant toujours le dernier mot aux électeurs, notamment sur le régime
législatif de chacun des territoires et sur le transferts des compétences de l’État, il empêche toute« dérive » qu’ils ne souhaiteraient pas. Par ailleurs, la nécessité de l’adoption conjointe du statut par le Parlement et par l’assemblée délibérante locale interdit toute évolution non souhaitée, soit par l’État, soit localement.
Cette « double-clef » représente une garantie démocratique fondamentale, de nature à lever les éventuelles objections vers une évolution différenciée de chaque territoire, en amplifiant les garanties démocratiques inscrites dans la Constitution avec la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Elle s’inspire des procédures prévues par les constitutions espagnole et portugaise pour l’édiction des dispositions statutaires respectives des communautés autonomes et des régions autonomes.
Dans le cadre constitutionnel en vigueur, en effet, les électeurs ne sont, le cas échéant, consultés que sur un principe : celui du passage d’une catégorie statutaire vers une autre, autrement dit du statut régi par l’article 73 vers celui régi par l’article 74, ou vice-versa.
Toutefois, une fois qu’une collectivité est régie par l’article 74, ses électeurs et son assemblée ne disposent plus d’aucun moyen de s’opposer à une évolution vers une plus grande autonomie, même s’ils en rejettent les modalités. Il n’existe en effet aucune procédure qui leur permette d’empêcher qu’entre en vigueur sur leur territoire une modification statutaire décidée par le législateur organique.
De même, dans le cas d’une collectivité qui passerait du régime de l’article 74 vers celui de l’article 73, de profondes évolutions du droit commun peuvent modifier la substance même du nouveau statut dans des conditions telles que la volonté des électeurs exprimée à l’occasion du changement de catégorie de la collectivité pourrait être regardée comme méconnue.
En proposant que toute modification statutaire soit susceptible d’être soumise aux électeurs, on rend impossible que leur volonté soit méconnue. On oblige aussi les partisans d’une évolution à présenter un projet complet et détaillé, et donc à cesser de manier comme des slogans des concepts abstraits.
Le dispositif ici proposé est purement facultatif ; il n’oblige nulle collectivité à y adhérer ni même à se prononcer sur le principe d’une évolution ; il n’oblige pas non plus les autorités compétentes de l’État à faire droit à des demandes statutaires qui apparaîtraient déraisonnables ; il repose au contraire sur la responsabilité de chacun des acteurs, tant nationaux que locaux, dont l’œuvre commune sera toujours soumise aux électeurs.
Dans ce cadre, toutes les formes d’évolution sont possibles, dès lors que les dispositions du statut- cadre sont respectées : ce dernier fixe un « plafond » à l’autonomie et ouvre néanmoins de larges opportunités d’évolution aux collectivités qui le souhaiteraient ; il n’impose aucun « plancher » :
- ainsi, un pays d’Outre-mer pourrait-il être doté d’une autonomie normative très développée – comme c’est le cas aujourd’hui pour la Polynésie française, assortie d’un régime de spécialité législative étendue ;
- à l’inverse, un autre pourrait choisir un statut dans lequel les lois et règlements nationaux continueraient de s’appliquer dans une large mesure, selon que le curseur de l’identité ou de la spécialité législative varierait en intensité : ainsi, les collectivités actuellement régies par l’article 73 pourraient continuer de bénéficier des garanties dont elles disposent dans le cadre de leur actuel statut, par exemple en ce qui concerne le maintien de l’application de la législation en matière de protection sociale.
En revanche, chacun des statuts serait doté des garanties démocratiques que l’on a décrites plus haut, qui le préserverait de modifications non souhaitées ; en tout état de cause, l’organisation institutionnelle propre à chaque pays, et l’étendue de l’association de ses institutions aux décisions nationales ne serait pas directement liée à la substance même du droit qui y est applicable.
De manière générale, les articles du statut-cadre des pays d’Outre-mer sont rédigées de manière à poser des principes et à ouvrir des perspectives ; leur rédaction évite toute précision excessive, et se limite à poser des bornes maximales à l’autonomie. S’il ne pourra pas dépasser ces bornes, fixées par la Constitution, le législateur organique demeure libre de ne pas les atteindre ; ainsi, s’agissant en particulier de la délimitation des compétences minimales de l’État, l’énumération du V du statut cadre, volontairement réduite aux seuls compétences les plus fondamentales, ne peut avoir pour effet de contraindre le législateur organique
La présente proposition contribuera à une rénovation profonde et démocratique du cadre constitutionnel de l’Outre-mer français : elle entend régler, pour les prochaines décennies, les conditions d’une évolution statutaire différenciée, adoptée aux spécificités de chaque territoire, en espérant mettre fin à des débats qui deviendront sans objet dès lors que la décision appartiendra, en toute circonstance, aux électeurs eux-mêmes.
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