Démocratie plus représentative responsable et efficace — Texte n° 911

Amendement N° CL1412 (Rejeté)

Publié le 25 juin 2018 par : M. Colombani.

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Le premier alinéa du préambule de la Constitution est ainsi rédigé :

« Le peuple français, composante des peuples de l'Europe participant à l'Union, proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté du Peuple tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, complétés par le préambule de la Constitution de 1946 et confirmés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il se conforme aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. »

Exposé sommaire :

1°) Cet amendement vise à affirmer la dimension européenne de la République française en inscrivant, avec un volontarisme assumé, la notion decomposante des peuples de l'Europe au frontispice de l'édifice constitutionnel. La notion de « peuples de l'Europe » existe déjà en droit français puisqu'elle est inscrite dans le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui, ayant acquis force juridique contraignante avec le Traité de Lisbonne, s'applique en France dans le cadre du droit de l'Union.

Cette inscription dans le préambule permet d'intégrer la dimension européenne dans le bloc de constitutionnalité et de confirmer la dimension fédéraliste du projet européen dans la partie la plus éminente de la Loi fondamentale. Par ailleurs cette inscription introduit un effet cliquet afin de sécuriser l'édifice européen au moment où une forte europhobie menace de détricoter une Union qui a apporté des décennies de paix et de stabilité sur le continent.

La construction européenne est certes mentionnée à l'article 88-1 qui dispose que la France participe à l'Union européenne. Mais cette formulation est aujourd'hui indigente eu égard à la nécessité impérieuse de relancer le projet européen. L'article 88-1 assimile l'Union européenne à une simple organisation internationale et la notion de « participation » reste faible et peu ambitieuse. la France participe au même titre à l'OTAN, au Conseil de l'Europe et à l'Organisation des Nations-unies, sans pour autant que ces organisations aient la même importance et le même niveau d'intégration que l'Union européenne qui constitue un ordre juridique intégré quasi confédéral. En outre le positionnement à l'article 88-1 est symboliquement beaucoup plus faible qu'une inscription au sein du préambule. Enfin parler depeuples de l'Europe permet de conférer une dimension plus démocratique au projet européen alors que les discours europhobes tendent à opposer une Europe des technocrates à une Europe des Peuples.

En outre il ne serait pas conforme à des convictions europhiles de reléguer l'Union européenne au titre XV de la Loi fondamentale et de ne pas affirmer d'emblée que la République française est devenue indissociable de la construction européenne dans un monde où les Etats nationaux isolés ne sont plus capables de relever les défis qu'ils affrontaient seuls au XXème siècle. On le voit bien dans le domaine climatique, militaire, économique ... le peuple français ne peut plus se concevoir politiquement de façon isolée au moment où de grandes puissances émergent.

La question de savoir si la notion depeuples de l'Europe participant à l'Union est trop floue ou non n'a absolument aucune importance dans la mesure où cette inscription est volontariste et qu'elle englobe manifestement l'ensemble des nations de l'Union européenne et celles qui ont vocation à y adhérer.

Elle affirme la formation d'une nation européenne ayant émergé des conflits qui ont ensanglanté les États-nations d'Europe et fait perdre à cette dernière sa puissance dans le concert des grandes puissances qui se sont formées au cours du XXème siècle. Au moment où de grands ensembles civilisationnels émergent dans le monde et où l'isolationnisme américain démontre un basculement inédit dans l'équilibre des puissances, l'Europe ne peut faire l'économie d'une constitution en un grand ensemble civilisationnel. En outre les nations européennes forment de fait un ensemble civilisationnel cohérent et uni depuis des siècles autour des même fondamentaux philosophiques, juridiques, politiques, culturels, spirituels, artistiques etc.

Cette histoire commune et cette unité civilisationnelle suffit à affirmer que le peuple français est indéniablement consubstantiel à une idée de l'Europe qui a plusieurs fois affirmé une volonté de retrouver une forme d'unité politique dans la droite ligne de laRenovatio Imperii (Renaissance carolingienne, restauration ottonienne, dessein de Charles Quint, Empire napoléonien).

2°) Cet amendement propose en outre d'intégrer au sein du bloc de constitutionnalité un texte fondamental supplémentaire qu'est laCharte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette intégration vise à faciliter l'approfondissement du dialogue des juges. Depuis plusieurs années, l'intégration juridique entre nations européennes a entraîné une évolution forte de la conception traditionnelle de la hiérarchie des normes, dans laquelle la primauté de la Constitution est largement interrogée. Le débat en est devenu plus symbolique que pratique tant la primauté du droit de l'Union européenne est affirmée dans les faits par les évolutions prétoriennes : absence de contrôle par le Conseil constitutionnel des lois de transposition de directives européennes (CC., 10 juin 2004,Loi pour la confiance dans l'économie numérique, n° 2004-496 DC), neutralisation de la priorité de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) vis-à-vis du mécanisme communautaire de question préjudicielle (CJUE, 22 juin 2010,A. Melki et S. Abdeli), utilisation de ce mécanisme de question préjudicielle par le Conseil constitutionnel lui-même dans le cadre du contrôle QPC (CC., 14 juin 2013,Jérémy F. n° 2013-314 QPC) ainsi que par le Conseil d'État pour déterminer si une QPC est sérieuse (CE Ass., 31 mai 2016,Jacob, n° 393881), mise en œuvre d'un système d'équivalence des protections entre le droit interne et le droit de l'Union pour le contrôle de légalité des décrets-miroirs (CE, Ass., 8 février 2007,Arcelor, n°287110).

Il résulte de tout ceci que l'articulation entre la souveraineté affichée de la Constitution dans l'ordre interne et la primauté effective du droit de l'Union aboutit à une complexification byzantine du débat qui, à part sauver les apparences dans le champ doctrinal, s'avère inutile voire stérile. Le modèle de la « pyramide à plusieurs pointes », utilisé pour décrire les rapports entre la Constitution, le droit de l'Union et le droit conventionnel de la CEDH semble ici atteindre le stade de la quadrature du cercle. Il convient donc de rendre son effectivité à la Constitution, texte juridique servant à décrire l'armature réelle des pouvoirs publics et leurs rapports, et ne pas la laisser glisser vers une dimension déclarative et incantatoire qui affaiblirait la force positive du texte.

Intégrer la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne permet donc de mieux aménager la primauté de la Constitution, puisque cela hisse au niveau constitutionnel un texte qui a formellement une valeur conventionnelle mais qui dans les faits a une valeur quasi constitutionnelle, notamment en raison de l'identité des droits fondamentaux qu'il proclame avec ceux de la Déclaration de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. De fait, les juridictions françaises organisent une équivalence des protections constitutionnelles et communautaires en matière de droits fondamentaux. Intégrer clairement la Charte dans le bloc de constitutionnalité permet ainsi de mieux transcrire l'état des choses, affirme la construction européenne à une place éminente de la Constitution et facilite le dialogue des juges puisque cette inscription permettra au Conseil constitutionnel d'irriguer davantage sa jurisprudence avec celle de la Cour de justice qui est l'interprète autorisé de la Charte.

3°) Cet amendement propose enfin d'intégrer dans le bloc de constitutionnalité laConvention européenne des droits de l'homme (CEDH). A l'instar du droit de l'Union, le droit conventionnel européen des droits de l'homme est particulièrement intégré dans l'ordre interne. Le Conseil d'État, sur le modèle de la jurisprudenceArcelor précitée, a ainsi mis en place une équivalence des protections communautaires et conventionnelles issues de la CEDH (CE, 10 mars 2008,Conseil national des barreaux, n° 296845).

Pourtant le Conseil constitutionnel n'effectue pas de contrôle de conventionnalité (CC., 15 janvier 1975,loi relative à l'interruption volontaire de grossesse n° 74-54 DC) : il ne censure pas la loi au regard de la Convention européenne des droits de l'homme. La difficulté vient de ce que cet ordre conventionnel est doté d'une juridiction, la Cour de Strasbourg : si le Conseil constitutionnel appliquait la CEDH, le Conseil s'exposait à voir son interprétation de ce texte, et donc indirectement ses décisions, invalidées par la Cour de Strasbourg qui est le dernier interprète autorisé de ce texte. Cela aurait pu selon certaines vues remettre en cause sa suprématie et une certaine conception de la souveraineté française. Le même problème se pose pour le droit de l'Union.

Néanmoins les mentalités ont évolué et on pourrait admettre qu'il n'y a aucune gravité, même symbolique, à ce que la Cour de Luxembourg et la Cour de Strasbourg contredisent une interprétation que le Conseil constitutionnel aurait fait respectivement du droit de l'Union et de la Convention : la même chose arrive désormais régulièrement au Conseil d'État et à la Cour de cassation sans que cela remette en cause leur autorité. En outre les arrêts de la Cour de Luxembourg et de celle de Strasbourg n'ont pas pour effet d'abroger directement une norme législative de droit interne, seul le Conseil constitutionnel a ce pouvoir. Le Conseil constitutionnel, en cas de jurisprudence européenne remettant en cause son interprétation du droit de l'Union et de la Convention, n'aurait qu'à adapter sa jurisprudence, d'autant qu'il peut désormais poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne et éviter ainsi des conflits entre juges. En tout état de cause les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité européenne gagneraient à être décloisonnés.

En outre cela permettrait de faire du Conseil constitutionnel, saisi par la voie de la QPC, un goulet d'étranglement pour le contentieux numériquement très important porté devant la Cour de Strasbourg : le contentieux conventionnel des droits de l'homme serait en quelque sorte dévolu implicitement par la Cour de Strasbourg à une cour constitutionnelle nationale, la Cour de Strasbourg ne tranchant en dernier recours que les litiges portant sur des questions nouvelles et se limitant à veiller à ce que la cour constitutionnelle nationale applique correctement sa jurisprudence. Ce mécanisme de désengorgement irait dans le sens de la procédure des arrêts-pilotes visant à limiter l'inflation des contentieux devant la CEDH.

Enfin cela permettrait de « superposer » davantage les pyramides des ordres constitutionnel, communautaire et conventionnel des droits de l'homme et de prendre acte de l'éventuelle adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, renforçant ainsi le dialogue entre le Conseil constitutionnel, la Cour de Luxembourg et la Cour de Strasbourg. Le préambule sera ainsi d'ores et déjà préparé afin de prendre acte de l'unification progressive des blocs de protection des droits fondamentaux en Europe.

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