Aux Antilles, nous avons connu, avant la lettre, et avant d'autres manifestations du même type, un crime d'écocide. À partir de 1972, les terres martiniquaises et guadeloupéennes ont été polluées, conduisant à une catastrophe sanitaire, puisque 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens sont aujourd'hui touchés dans leur sang par la chlordécone.
Comment après un tel drame, qui n'est toujours pas terminé, peut-on refuser d'envisager la création du crime d'écocide ? Cet exemple montre bien qu'il n'y a pas de transition écologique sans justice sociale, comme cela a été répété par de nombreux orateurs. J'irai même plus loin, en vous mettant en garde : il n'y a pas de justice sociale sans justice environnementale. Si nous ne nous donnons pas les moyens de lutter, nous risquons de tomber dans la négation de l'environnement et de l'humain que causent les excès du productivisme. C'est parce que les plantations de bananes étaient gérées selon la recherche du profit maximal que la dignité humaine a été piétinée – cet exemple devrait nous faire réfléchir.
Même si ce texte est important, parmi toutes ses défaillances, une m'a profondément touché, jusque dans ma chair. Comment le Gouvernement et les parlementaires ici présents peuvent-ils accepter un texte qui n'aborde absolument pas la question des outre-mer – à part les mesures relatives aux mines qu'évoquait tout à l'heure le rapporteur Damien Adam ?
Dans les textes précédents, vous recourriez pour l'outre-mer à ce que j'appelle une « politique des ordonnances », traitant les questions relatives à ces territoires à part, dans des textes rédigés par l'exécutif. Or dans le présent texte, on ne trouve rien qui concerne ceux-ci de manière patente, claire.
Je connais déjà votre réponse : « Mais écoutez, puisque l'article 73 de la Constitution consacre le principe d'identité législative pour ces territoires, les soixante-quinze et quelques articles du projet de loi s'y appliqueront ! » Madame la ministre, je pense toutefois que vos services ont ignoré les alinéas de l'article 73 de la Constitution qui autorisent le Parlement et le Gouvernement à prévoir des dérogations et des adaptations pour les outre-mer, mais aussi à habiliter les collectivités concernées à le faire elles-mêmes, sur place, pour régler des problèmes spécifiques. C'est important.
Une erreur grave – je ne sais comment vous la corrigerez, j'espère que vous accepterez tous nos amendements – a été commise : les outre-mer ont en droit européen le statut de région ultrapériphérique. Je demande que vos services analysent l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 23 février 1983, dit arrêt Wagner, qui dispose que la discrimination consiste non seulement « à traiter de manière différente des situations qui sont identiques », mais aussi à traiter « de manière identique des situations qui sont différentes ».
Cette considération trouve à s'appliquer en matière d'écologie et de nature : le climat de Martinique et de Guadeloupe, leurs écosystèmes et leur biodiversité ne peuvent être comparés avec ceux d'ici – le dire n'est pas faire injure à ces derniers, et la différence est une richesse. Or vous les traitez de manière identique !
Je vous en donnerai quelques exemples : c'est outre-mer que se trouvent 80 % de la biodiversité française et 97 % des surfaces maritimes et océaniques. Ces richesses écosystémiques et biologiques, dont la France peut s'enorgueillir et qui lui permettent d'occuper des places importantes à l'ONU, à l'OCDE, dans l'Union Européenne et à l'OTAN ne sont pourtant jamais évaluées en tant que telles, y compris par l'Office français de la biodiversité (OFB). Cette absence de reconnaissance vous conduit à plaquer là-bas, au nom du principe d'identité, les mécanismes juridiques que vous voulez instaurer en France métropolitaine.
Pour ces territoires, le risque est énorme. Entre 1993 et 2014, par exemple, le niveau moyen des océans a augmenté de près de 3,2 millimètres par an. D'ici à 2060, la seule Martinique, qui mesure 1 100 kilomètres carrés, perdra soixante-dix kilomètres de côtes, conduisant au déplacement d'une population nombreuse. Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature, 15 % à 35 % des espèces indigènes pourraient y disparaître. Avec les perturbations climatiques, les tempêtes, cyclones et ouragans sont deux fois plus puissants qu'il y a vingt ou trente ans. Les cycles de sécheresse, marqués par l'absence d'eau ou la raréfaction de la ressource en eau, se multiplient ; l'expansion des maladies endémiques en constitue une des manifestations les plus significatives. La surexposition climatique de ces îles, liée à leur situation insulaire même et à la proximité de l'océan, n'est pas prise en considération dans votre texte.
Je suis à la fois touché et déçu par ces oublis. Mais le Gouvernement peut encore trouver le temps de préparer un chapitre important relatif à l'outre-mer. Au-delà des risques que nous encourrons, nous voulons surtout éviter la disparition de nos valeurs, si précieuses, de notre identité, l'effondrement de nos pratiques culturelles et l'affaiblissement de notre résilience ancestrale – de tout cela, le texte ne parle pas du tout.
Ce qui importe pour nous, c'est de réglementer et de légiférer en s'adaptant aux réalités locales, en matière de réglementation thermique, de transport maritime, de traitement des passoires énergétique, de politique d'énergie renouvelable, d'équivalence des normes, de certificats en matière d'énergie et de diagnostics de performance énergétique, de production de proximité, de coût carbone des importations, massives en outre-mer – mais de tout cela, le texte ne parle pas.
Pour répondre à tous ces défis, il nous faut absolument construire ensemble des dispositifs adaptés à la réalité locale. Oui, nous devons éviter un désastre écologique mondial, mais nous devons aussi inventer un nouveau modèle de croissance et de développement, vidé du spectre de l'ultralibéralisme, pour harmoniser les rapports entre l'homme et la nature. Un homme très important, Frantz Fanon, a tenu ces propos si actuels : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir ». Tâchons de ne pas trahir notre devoir collectif.