Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du mardi 30 mars 2021 à 15h00
Droit au respect de la dignité en détention — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

En introduction de mon propos, je souhaite à nouveau, comme je l'ai déjà fait lors de mes précédentes interventions, exprimer ma reconnaissance au personnel de l'administration pénitentiaire, qui remplit une mission majeure et attendue de la société, et ce dans des conditions de travail difficiles.

Sur le sujet qui nous retient aujourd'hui, précisons qu'il a fallu attendre la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme en janvier 2020, portant injonction d'un tel recours, puis l'arrêt de principe de la Cour de cassation en juillet 2020 et enfin celui du Conseil constitutionnel, en octobre dernier, pour que l'organisation d'un recours effectif fasse l'objet d'un texte de loi. Ce texte ne porte donc pas la caractéristique de l'anticipation et de la célérité, dans sa réaction à une situation pour laquelle la France est en réalité condamnée depuis de nombreuses années.

Début mars, 849 détenus dormaient sur un matelas à même le sol, comme vous l'avez-vous-même indiqué, monsieur le garde des sceaux. Ces situations sont une honte pour nous tous et un calvaire indigne pour les détenus.

L'introduction dans le droit positif de ce nouveau recours permettant à un détenu de faire valoir des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine ne peut évidemment qu'emporter notre adhésion. Nous exprimerons toutefois plusieurs réserves, à la suite d'ailleurs d'autres orateurs. Ces réserves ne sont pas de nature à obérer notre vote en faveur de ce texte.

Tout d'abord, le transfert, s'il a lieu, n'est pas précédé d'un avis du juge, formalisé dans la loi, pour le détenu comme c'est le cas pour le prévenu. Un amendement de nos homologues socialistes au Sénat, confortant notre propre demande, visait à soumettre à la décision du juge tout transfert de détenu envisagé par l'administration pénitentiaire. Le sénateur Jean-Pierre Sueur a proposé à nouveau cet amendement en CMP ; il a reçu mon soutien et la présidente de la commission des lois s'est abstenue, mais cela n'a pas suffi. Le caractère effectif du recours doit ainsi être interrogé, du fait même de la menace d'un transfert pesant sur le condamné. Nous savons que l'éloignement géographique peut entraîner de multiples conséquences sur les droits du détenu, au risque de le dissuader de faire valoir son droit de recours.

Une telle décision doit être prise en considération de différents paramètres – la vie privée et familiale, mais aussi l'engagement dans un travail ou la réinsertion dans le lieu présent. Nous en parlons beaucoup, notamment dans le prochain texte sur la justice, mais le présent texte ne le précise pas explicitement.

Au demeurant, il ressort des échanges récents que j'ai pu avoir avec des chefs de centre que tout transfert de détenu est en réalité soumis par leurs soins à l'avis du juge. C'est une bonne pratique, qui s'applique semble-t-il très largement, à l'exception des mesures d'ordre évidemment. Cela nous rassure pour l'avenir, mais nous conforte aussi dans l'idée que nous aurions dû inscrire ce dispositif dans la loi.

Ensuite, placer le juge au second plan dans une procédure de recours dirigée contre un manquement à un principe fondamental ne peut être envisagé. S'il est cohérent et pertinent que l'administration pénitentiaire soit associée à ce processus de remédiation, celui-ci ne peut tendre à effacer le rôle du juge, qui doit être au coeur du litige et le trancher. Il est important de le rappeler.

Par ailleurs, le cumul des étapes obligatoires de remédiation ne doit pas allonger la durée de la procédure, qui doit être effective et rapide, s'agissant d'une situation attentatoire à une liberté fondamentale.

Enfin, la forme sous-entendue écrite que doit prendre la requête ferme la porte à des circonstances moins formelles dans lesquelles ces allégations pourraient être évoquées auprès d'un juge.

En conclusion, cette proposition de loi ne peut constituer une fin en soi. Elle est une mesure de réparation tardive, commandée même, dans un contexte très dégradé. Elle appelle des mesures de prévention et un engagement de la puissance publique à faire en sorte que lorsque le juge condamne ou place en détention provisoire, il soit assuré que l'exécution de sa décision est exempte de tout traitement inhumain et dégradant.

Or ce n'est pas le cas actuellement. Certes, les mauvais traitements ne se limitent pas aux effets de la surpopulation carcérale, mais ils lui sont très majoritairement liés, et la surpopulation carcérale est actuellement en progression. Pourtant, la crise sanitaire nous a appris que cette surpopulation n'était pas une fatalité. Nous devons pérenniser les mesures législatives qui ont permis de réguler les flux et projeter d'autres dispositifs complémentaires. Je sais que vous y travaillez, monsieur le garde des sceaux. L'encellulement individuel doit devenir la règle générale incontournable pour que la prévention l'emporte sur la réparation. La menace de ce recours effectif en soi doit, au-delà de la réparation, nous aider à franchir ce pas.

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