Merci, monsieur le président, de me donner la possibilité de vous présenter, avec Jean-Christophe Chouvet, rapporteur de cette enquête, Catherine Perin, contre-rapporteure, et Christian Charpy, qui préside la deuxième section de la première chambre de la Cour des comptes et supervisait ces travaux, ce rapport demandé en application du 2° de l'article 58 de la LOLF.
Le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) a été mis en place sur le fondement d'une circulaire du ministre du budget prise au mois de juin 2013. Sa clôture à la fin de l'année a été annoncée le 15 septembre dernier par le ministre de l'action et des comptes publics. Il aura donc fonctionné pendant près de quatre ans et demi. À l'été, 51 000 demandes de régularisation avaient été déposées, correspondant à la révélation ou la déclaration de 32 milliards d'euros d'avoirs. Les recettes qui auront été encaissées par l'administration fiscale à la fin de l'année 2017 sont estimées à environ 8 milliards d'euros.
Je rappellerai tout d'abord le contexte de la mise en place de ce dispositif exceptionnel. Puis je tirerai du rapport les éléments d'appréciation d'ensemble qu'on peut porter sur ce dispositif dans son principe, dans son économie générale. Enfin, je vous livrerai quelques éléments qui retracent le jugement que la Cour porte non pas sur le principe, mais sur la manière dont les services de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ont mis en oeuvre ce dispositif.
Le STDR a été mis en place dans un contexte caractérisé par les quatre éléments suivants.
Premier élément, à la suite de la crise financière et des initiatives visant à améliorer la coopération fiscale entre États, est apparue, au début des années 2010, la perspective crédible de la mise en oeuvre d'échanges de données, sous forme informatisée, entre les établissements bancaires et les administrations fiscales sur les comptes détenus par des non-résidents. Cette idée s'est concrétisée juridiquement, et la date butoir du mois de septembre 2017 a été fixée pour la première mise en oeuvre de ces échanges de données à partir des informations détenues par les banques au 31 décembre de l'année précédente. Cette date fixe et certaine, à partir de laquelle les fraudeurs dissimulateurs pouvaient légitimement redouter que leurs avoirs bancaires non déclarés soient connus de leur administration fiscale, était une nouveauté radicale.
Deuxième élément, une cellule temporaire – M. le président de la commission des finances le sait mieux que personne – avait oeuvré entre le mois d'avril 2009 et la fin de cette même année 2009 à la régularisation des avoirs non déclarés, à la suite de l'affaire dite de la « liste HSBC ». Une annexe du rapport présente une comparaison terme à terme des deux dispositifs de 2009 et de 2013. Celui de 2013 est un peu moins généreux, ou un peu moins incitatif, que celui de 2009, mais, je l'ai dit, il se situe dans un contexte différent. Cette cellule de 2009 avait enregistré, en huit mois, la déclaration de 7 milliards d'euros d'avoirs jusqu'alors non déclarés et encaissé 1 milliard d'euros de recettes. Lorsque le dispositif du STDR s'est mis en place, l'administration a souhaité capitaliser sur l'expérience de 2009, avec deux différences significatives. D'une part, il n'y a plus d'anonymat dans la première phase de rapprochement entre l'administration fiscale et le contribuable. D'autre part, les remises de pénalités sont l'objet d'une barémisation générale. Selon la DGFiP, l'absence d'une telle barémisation générale en 2009 avait donné lieu à des difficultés de gestion, certains avocats-conseils s'essayant à un peu de surenchère pour obtenir les meilleures remises de pénalités pour leurs clients.
Troisième élément de contexte, cette opération de régularisation n'est pas propre à la France. L'annexe n° 13 du rapport présente des exemples de dispositifs de régularisation volontaire adoptés par d'autres pays. Les modalités sont diverses mais les dispositifs existent, sous une forme ou sous une autre, dans de nombreux pays étrangers, sous la forme d'une amnistie compensée par le versement, au moment de la déclaration, d'un pourcentage des avoirs déclarés ou sous celle d'un dispositif de régularisation fiscale classique, avec une atténuation variable des conséquences pénales et financières de cette régularisation. L'expérience française de 2013, comme celle de 2009, appartient à la famille des régularisations avec atténuation de pénalités, non à celle des amnisties. Ce qu'il faut noter, c'est que les pratiques de régularisation sont plus fréquentes dans un certain nombre de pays et plus exceptionnelles chez nous. Par rapport à l'Allemagne notamment, l'opération commencée en 2013 se caractérise par une plus grande « générosité » : en Allemagne, les remises de pénalités étaient plafonnées jusqu'à un certain niveau de revenus omis ou de revenus déclarés. Le caractère plus exceptionnel et plus généreux du dispositif français a conduit, plus peut-être que la fréquence des rapports entre les banquiers suisses et les contribuables français, à une opération de régularisation aux effets massifs.
Quatrième élément, l'opération ne peut se comprendre sans la motivation budgétaire forte qui a animé ceux qui l'ont décidée, sans cette volonté manifeste d'accélérer la consolidation des finances publiques à partir de 2013. Le rapport montre que l'ampleur de cette régularisation avait été initialement sous-estimée puisque, pendant un temps, les chiffres de recettes ont régulièrement été revus à la hausse. En 2017 au contraire, l'audit des finances publiques mené par la Cour a montré le phénomène inverse : alors que des recettes d'un montant de 2 milliards d'euros étaient anticipées, les estimations dont nous disposons suggèrent qu'elles seront, cette année, d'un montant voisin de 1 ou 1,2 milliard d'euros.
Voilà pour le contexte. J'en viens à quelques éléments d'appréciation juridique et budgétaire.
Sur le plan juridique, le dispositif mis en place s'est fondé sur le droit fiscal en vigueur. Le Parlement n'a d'ailleurs pas eu à modifier un seul article ni un seul alinéa du code général des impôts. Les contribuables ayant déclaré des avoirs doivent ainsi s'acquitter du paiement intégral des impositions éludées, en application du droit fiscal en vigueur au moment de l'exigibilité. Ils doivent également s'acquitter des intérêts de retard.
Le dispositif ne comporte aucune mention d'éventuelles poursuites pénales. La lecture a contrario de l'instruction de 2013 est intéressante : si des avoirs que vous ne déclarez pas sont découverts, vous risquez des poursuites pénales. C'est une autre manière de dire que vous échapperez aux poursuites pénales pour fraude fiscale si vous déclarez spontanément vos avoirs. Cette clause tacite est rendue possible par le monopole d'engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale dévolu à l'administration fiscale – je ne m'étendrai pas plus sur ce sujet, bien connu de votre commission. Il est vraisemblable que l'assurance ainsi donnée a joué un rôle important, même s'il n'est pas possible de caractériser ou de pondérer les facteurs ayant pu conduire les fraudeurs à résipiscence.
Les droits sont dus, il n'y a pas de poursuites pénales et les pénalités fiscales et majorations appliquées aux impôts dus sont atténuées. Cette modulation des pénalités n'est pas dérogatoire au droit fiscal : elle s'inscrit dans le cadre de la procédure de transactions dont le contribuable peut bénéficier, indépendamment de toute procédure de régularisation. Cette atténuation a donc été pratiquée comme il est courant en matière fiscale, avec une petite particularité néanmoins, qui tient au fait que la logique de la transaction est individuelle et prend en compte les circonstances de l'espèce, les caractéristiques de la fraude du contribuable. Dans le cadre du STDR, il a été décidé de procéder à un traitement de masse, global et indifférencié, par l'application d'un barème homogène à tous les contribuables concernés. Cette pratique a été avalisée par le comité du contentieux fiscal, douanier et des changes. La seule distinction faite par le STDR a en fait été introduite dans le cadre du dispositif de 2009 ; c'est la distinction entre fraudeurs « actifs » et fraudeurs « passifs ». Selon cette terminologie traditionnelle de l'administration fiscale, un fraudeur passif n'a pas pris une part active à l'organisation de la dissimulation : il a bénéficié d'une donation ou hérité de l'avoir non déclaré. Les pénalités qui lui sont appliquées sont donc moindres que celles appliquées au fraudeur actif.
Le dispositif est donc fondé sur le droit fiscal en vigueur, et ce qui n'est pas écrit dans la circulaire a vraisemblablement une importance certaine : la fraude ne donne pas lieu à des poursuites. Par ailleurs, il vise à un traitement rapide, pour des raisons budgétaires, et largement indifférencié des dossiers transmis.
Après l'appréciation juridique, j'en viens à l'appréciation budgétaire.
Arrêtons-nous aux chiffres connus à la fin de l'exécution 2016. Le montant total des atténuations de pénalités depuis l'origine du dispositif est de 1,865 milliard d'euros. D'une certaine manière, ces quelque 2 milliards d'euros sont le montant d'une renonciation aux impôts théoriquement dus. Est-elle anormale ou excessive ?
Le rapport retient deux éléments. Premier élément, les transactions conclues avec les déclarants venus au STDR conduisent en moyenne à une remise de pénalités de 50 %. Or le taux moyen de remise dans le cadre d'une transaction consécutive à un contrôle fiscal classique est également très proche de 50 %. Autrement dit, le taux moyen constaté dans le cadre du STDR diffère peu de celui constaté au dénouement des opérations de contrôle fiscal externe. Second élément, quel est le scénario contrefactuel ? Qu'en aurait-il été si, renonçant à mettre en place ce dispositif exceptionnel de régularisation, nous avions laissé le jeu normal s'opérer, avec une transmission, au mois de septembre 2017, des données venant de l'étranger, si l'administration fiscale avait « mouliné », en quelque sorte, ces données et conçu une politique de contrôle fiscal externe, puis lancé ces contrôles fiscaux externes, qui auraient pris le temps qu'ils prennent habituellement ? Naturellement, le contrefactuel, comme très souvent, n'existe pas. On ne peut pas, par construction, savoir ce qu'aurait rapporté à l'État le jeu des procédures de droit commun. Prenons néanmoins en considération le fait que nul ne peut, aujourd'hui, être assuré de la qualité des données reçues des banques par l'administration fiscale depuis le mois de septembre. Quant aux opérations de contrôle fiscal externe, nous savons, par expérience, qu'il faut les lancer, les mobiliser, qu'elles sont longues, que leur dénouement est généralement aléatoire et qu'elles se terminent par une transaction sur les pénalités. Autrement dit, nous considérons que le choix d'un traitement ad hoc, dérogatoire, rapide et de série, avec une visée budgétaire immédiate, est un choix dicté par le pragmatisme qui peut tout à fait, selon nous, se justifier, compte tenu du caractère assez théorique de cette renonciation à quelque 2 milliards d'impôts de pénalités engendrée par ce système de régularisation exceptionnelle.
Qu'en est-il de la mise en oeuvre du dispositif ?
Nous décernons une forme de satisfecit à la DGFiP. Il n'est pas très courant que la Cour des comptes décerne des satisfecit, mais je suis de ceux qui pensent que ce sont les satisfecit décernés de temps en temps qui donnent leur force aux critiques formulées par ailleurs – à vrai dire, plus fréquemment.
L'examen auquel nous avons procédé – examen dans les services et examen sur pièces des dossiers – permet de penser que l'égalité de traitement ou, en tout cas, l'homogénéité du traitement des situations a été globalement bien assurée par les services de l'administration fiscale et que le pilotage a été ferme, serré. Un cadre, un barème avait été fixé ex ante, qui conduisait à des prises de position homogènes ; à l'examen de la conduite du processus, nous n'avons donc pas découvert d'aléa ou de différence de traitement choquante ou anormale entre contribuables. Bien sûr, les délais de traitement ont été très variables. Pour des raisons de rendement budgétaire, l'administration fiscale a choisi de privilégier très clairement les « gros » dossiers, les dossiers dans lesquels les avoirs étaient d'un montant élevé. Les délais de traitement des « petits » dossiers sont donc quasiment doubles de ceux constatés pour les gros, mais, dès lors que le contribuable était entré dans le processus de régularisation, cela ne le pénalisait en aucune manière.
Autre élément positif, la DGFiP a su faire preuve de réactivité. Comme je l'ai indiqué, l'administration ignorait quelle serait l'ampleur des demandes de régularisation. Surprise par leur volume significatif et croissant, elle a su pragmatiquement ajuster le dispositif administratif, créant assez vite des pôles de régulation déconcentrés de manière à éviter un goulot d'étranglement au niveau des services rattachés à la direction nationale des vérifications des situations fiscales. Elle a triplé les effectifs affectés à cette tâche, passés de 66 en 2014 à 172 en 2016. Elle aurait vraisemblablement pu aller plus loin dans la mobilisation de ses ressources, mais au détriment des activités de contrôle fiscal classiques. Les inspecteurs affectés à ce service faisaient effectivement partie des plus aguerris à ce type de traitement de dossiers. Traiter plus vite les dossiers de régularisation aurait donc signifié, pour le contrôle fiscal externe classique qu'il ne fallait pas négliger, laisser les délais de prescription courir. Le choix fait nous paraît raisonnable, de même qu'a été bienvenue la mise en place d'un pôle de recouvrement spécialisé unique pour ces créances, sachant que ce n'est pas là la règle générale à la DGFiP ; il a permis une concentration des recouvrements.
Nous portons donc une appréciation d'ensemble positive sur la mise en oeuvre de ce dispositif exceptionnel et sensible.
Avant même que le rapport ne soit totalement achevé, nous considérions que le dispositif devait naturellement conserver un caractère exceptionnel et qu'il fallait donc qu'il prenne fin à court terme. C'est ce que le ministre de l'action et des comptes publics a décidé en septembre. Un délai de plus de quatre ans est substantiel, et le nombre de nouveaux dossiers a commencé à chuter à partir de l'année 2016. En outre, l'échange automatique de données à partir de cette année allait donner de nouveaux instruments à l'administration. Il n'y avait donc aucune raison de prolonger ce dispositif exceptionnel.
Cette clôture doit, nous y insistons, être ferme et définitive. Compte tenu du délai, il faudra éviter de rouvrir en quelque sorte sans trop le dire cette possibilité exceptionnelle de régulariser ces situations. Il nous paraît nécessaire, à compter du 1er janvier prochain, d'appliquer clairement et strictement le droit commun en matière de poursuites pénales et de pénalités, notamment la pénalité de 40 % pour mauvaise foi, faute de quoi le dispositif exceptionnel perdrait de sa justification. Il reste au moins 15 000 dossiers à traiter. Pratiquement, entre les dossiers déposés et les dossiers traités, il reste vraisemblablement encore une bonne année de travail au STDR. Une petite incertitude existe : à la suite de l'annonce de la fermeture du STDR, verrons-nous affluer des contribuables venant en quelque sorte à de meilleurs sentiments très tardivement ? Si tel était le cas, cela pourrait alourdir un tout petit peu la charge liée à la fermeture de service.
Je termine par quelques statistiques tirées du rapport, qui reposent sur les dossiers déposés jusqu'à la fin du mois d'avril dernier.
Deux tiers des dossiers sont d'un montant inférieur à 600 000 euros. Ce sont donc des dossiers d'un montant modeste ou moyen, selon l'idée que l'on se fait d'un dossier important. Cependant, en masse, ils ne représentent que 15 % des sommes régularisées ; 41 % des sommes régularisées correspondent à des dossiers de régularisation d'avoirs dont le montant est compris entre 1 et 5 millions d'euros.
Plus de neuf dossiers sur dix concernent un avoir unique. Dans 77 % des cas, ce sont des « mono-avoirs », selon la terminologie en usage, de comptes bancaires suisses. Au fil du temps, le nombre de dossiers d'un montant supérieur à 5 millions d'euros a eu tendance à augmenter progressivement. Le STDR a donc reçu en fin de période des dossiers d'avoirs de montant élevé.
Initialement, les dossiers de taille moyenne, avec des avoirs bancaires en Suisse, étaient nettement prépondérants. Cette prépondérance s'est estompée au fil du temps et l'on a vu apparaître, notamment en 2016, des dossiers multi-avoirs, avec des avoirs déposés auprès d'autres banques ou intermédiaires financiers que les banques suisses. Très logiquement, le montant moyen des dossiers multi-avoirs augmente au fil du temps.
L'ensemble du matériau et des dossiers déposés est très vraisemblablement très riche d'enseignements sur l'histoire économique, politique et sociale de la France depuis l'entre-deux-guerres, mais ce n'était pas l'objet du rapport...