Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par une citation : « Pensez donc, un budget aussi formidable, de 200 milliards, qui va être géré par les travailleurs eux-mêmes. Pensez donc que là-dedans, il ne sera plus possible au paternalisme patronal de s'exercer comme dans les anciennes oeuvres sociales créées et dirigées par des patrons. Pensez donc aussi à l'utilisation des caisses confessionnelles qui ont constitué une des armes essentielles de pénétration du haut clergé dans les milieux ouvriers, et vous comprendrez alors pourquoi tous ces milieux ne voient pas d'un bon oeil les travailleurs avoir en main la sécurité sociale. Là est la source des réactions très fortes et des velléités de destruction d'un pareil régime démocratique et laïc, que la classe ouvrière doit défendre de toutes ses forces. »
Ces mots ont été prononcés le 14 janvier 1947 par Henri Raynaud, alors secrétaire général de la CGT, alors qu'il présentait un rapport en défense de la Sécurité sociale. Deux ans après son émergence, celle-ci subissait en effet déjà de nombreuses attaques. En 1945, c'est-à-dire à une époque où les ordonnances pouvaient encore être synonymes de progrès social, celles publiées en octobre ont unifié l'ensemble des régimes – de retraite, de maladie, de maternité, de vieillesse et d'invalidité – , alors épars et inégaux, au sein d'un même régime général.
Ce grand système d'assurance sociale partait d'un principe simple, mille fois répété lors de l'examen de ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale : toutes les travailleuses et tous les travailleurs cotisent selon leurs moyens et tout le monde en bénéficie selon ses besoins. Cette idée révolutionnaire, que le monde entier nous envie, s'appelle la Sécurité sociale.
Initiée par le politique, la Sécurité sociale a été concrètement mise en place par les organisations de salariés. Les syndicats ont ouvert des locaux et pris en charge l'unification administrative. Ce tournant majeur de notre histoire dépossédait les compagnies d'assurance privées de la manne qui leur était jusqu'alors réservée.
L'avantage fondamental de ce système est qu'en rendant les dépenses sociales autonomes du reste des dépenses publiques, il empêchait qu'un gouvernement, une idéologie ou une entité supranationale ne vienne les mettre à mal. Il empêchait par exemple qu'en cas de guerre, on prenne à la santé pour donner aux armées. Bref, il protégeait la santé et la retraite de tout élément extérieur susceptible de réduire à néant ces besoins fondamentaux de l'humanité.
Cette entité collective et autonome qu'est la Sécurité sociale reste, pour l'individu comme pour la collectivité, la garantie d'un accès aux soins à moindre coût. Là où la santé est privée, sa part dans le PIB est bien plus grande qu'en France. C'est par exemple, vous le savez, le cas aux États-Unis, où non seulement l'égalité face aux soins est inexistante mais où, en outre, les dépenses de santé sont de plus en plus importantes.
Dans notre pays, les choses ont changé à la fin du siècle dernier : inspirés par une idéologie néolibérale qui mène une guerre contre ce régime jugé archaïque et influencés par un secteur des assurances qui a grande hâte de s'emparer de ses beaux restes, les gouvernements successifs – dans les pas desquels vous marchez aujourd'hui – ont déconstruit, petit à petit, lentement mais sûrement, assez méthodiquement, la Sécurité sociale. Voici, en résumé, la recette appliquée pour casser ce modèle français.
D'abord organiser l'austérité salariale et multiplier les exonérations de cotisations sociales et patronales, que vous renommez charges sociales ou encore gain de pouvoir d'achat. Pour les Français, cela revient à se faire détrousser du contenu d'une poche et à voir l'autre se remplir un peu moins, discipline dans laquelle les six premiers mois de cette mandature nous ont montré combien vous excellez. Ainsi, la Sécurité sociale devient sous-financée. Qu'importe que l'opposition, notamment La France insoumise, s'évertue à vous faire la démonstration implacable que la mise en place de l'égalité salariale et l'augmentation du SMIC permettraient un retour à l'équilibre. Le « trou de la sécu » est devenu un classique, à peine remis en question, du débat public, qui vous permet de justifier des politiques dites impératives pour préserver, comme vous dîtes, notre modèle social. Or vous êtes justement en train de faire le contraire. Finalement, c'est comme pour les ordonnances qui viennent d'être ratifiées : il y a souvent besoin d'un traducteur pour comprendre ce qui se cache derrière les intitulés de vos propositions ; on est généralement plutôt dans le vrai quand on pense que vos intentions se situent à l'inverse de ce que vous prétendez faire.
Deuxième étape de la recette : fiscaliser la sécurité sociale en remplaçant progressivement les cotisations par un impôt injuste car non progressif. C'est ce qui s'est passé dès 1991 avec la création de la fameuse CSG. En substituant aux cotisations une augmentation de la CSG, qui va atteindre un niveau très élevé, vous parachevez le mouvement avec ce PLFSS. Retraités et fonctionnaires seront, bien sûr, les plus durement impactés.
Troisième étape de la recette : arguant du fait que c'est le contribuable qui finance pour une grande part la Sécurité sociale, donner au Parlement, sous les auspices de Bruxelles, le pouvoir de mettre sous pression les finances sociales, en lui donnant à atteindre des objectifs de dépenses déshumanisés et pour tout dire déshumanisants.
Votre PLFSS suit à la lettre cette recette tout droit issue du vieux monde et de sa vieille politique. En diminuant les cotisations sociales et patronales, et presque en les éliminant au niveau des bas salaires, vous mettez la Sécurité sociale sous pression financière. En outre, en augmentant la CSG, vous la fiscalisez – pour vous, qu'importe si ce sont en définitive les retraités qui seront les plus imposés, alors qu'ils ont pourtant, en cotisant toute leur vie professionnelle, déjà rempli leur part du contrat. Enfin, votre plan d'austérité est le plus important mis en place depuis au moins une décennie, et le secteur hospitalier, déjà à l'os, sera bien sûr le premier touché.
Vous avez eu le cran d'appeler un chapitre du texte « Mesures pour la hausse du pouvoir d'achat des actifs », alors que ce que ceux-ci ne paieront plus en cotisations sociales, ils le paieront en restes à charge, avec l'augmentation du forfait hospitalier, en cotisations auprès de complémentaires santé onéreuses, sans lesquelles il n'est plus possible de se soigner correctement, par un service public hospitalier dégradé et par une future retraite de plus en plus improbable.
Votre programme n'est viable ni sur le plan humain ni sur le plan financier. Plus vous contraindrez le secteur public, plus la santé lucrative et les assurances privées se développeront. Or elles coûtent considérablement plus cher au pays et sont soumises aux appétits sans borne d'une économie hyper-financiarisée.
Mais surtout, et plus grave sans doute, vous mettez en place une santé à deux vitesses : bonne et coûteuse pour ceux qui ont les moyens ; mauvaise et coûteuse aussi pour ceux qui ne les ont pas. Ce sera traumatisant pour les personnels de santé, contraints de travailler dans des conditions considérablement dégradées. Plusieurs députés, y compris de la majorité, ont pu constater comme nous que des services entiers de notre système de santé craquent littéralement et ne tiennent plus que grâce à l'extrême dévouement des personnels qui s'en occupent. Derrière cette réalité est bien évidemment en jeu la santé des gens.
Pourtant, d'autres solutions existent. Nous ne cesserons jamais de formuler ici des propositions raisonnées, crédibles et sérieuses, caractéristiques du type d'opposition que nous incarnons.
Contrairement à ce que l'on nous a fait croire pendant tant d'années, notre système n'est pas dispendieux, trop gourmand ou structurellement déficitaire. Il constitue l'héritage de la volonté implacable de ses pères fondateurs, qui savaient, eux, miser sur l'intelligence collective et la solidarité.
On nous dit que ce système ne correspond plus à notre économie contemporaine, soumise bien sûr à la course à la fameuse compétitivité ainsi qu'au jeu de la concurrence libre et non faussée. Or c'est bien là tout le problème. Chers collègues, la concurrence libre et non faussée, la compétition qui se joue en toutes circonstances et que vous organisez – entre les chômeurs et les salariés, entre les salariés eux-mêmes, entre les entreprises, entre les États membres de l'Union européenne et même au-delà – est perdue d'avance. Observez comme elle fait partout le jeu des moins-disants sociaux et environnementaux.
Il convient de ne pas adhérer avec enthousiasme à cette compétition absurde et de lui opposer le modèle de la coopération, seul capable d'organiser la réponse aux défis qui se présentent et nous mettent au pied du mur. C'est la raison pour laquelle nous ne jouerons pas à ce jeu-là : poursuivre la Pologne ou la Roumanie…