Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, chers collègues, dans son livre intitulé Servir, l'abbé Pierre a écrit cette phrase qui semble prendre tout son sens aujourd'hui : « Le pouvoir est fait, non pour servir le pouvoir des heureux mais pour la délivrance de ceux qui souffrent injustement. » Loin de moi l'idée de vouloir m'approprier l'oeuvre de l'abbé Pierre, qui est à mon sens universelle. Si je le cite aujourd'hui, c'est parce qu'en matière de lutte pour les plus démunis et pour l'accès aux soins, il était – et est toujours – une référence incontournable.
Compte tenu de son parcours et de ses prises de position, la nomination de Mme la ministre de la santé et de la solidarité aux fonctions qu'elle occupe avait suscité un espoir considérable chez les gens de gauche de ce pays. Cet espoir a été brisé. Nous pensions naïvement qu'elle aurait à coeur, dans ce texte, d'appliquer les promesses présidentielles du président Macron. Je pense par exemple à son engagement de garantir le remboursement du reste à charge pour les soins dentaires, les prothèses auditives et les lunettes. Peut-être ces mesures seront-elles un jour mises en oeuvre, ne désespérons pas, mais, en l'état actuel, il n'en est rien. Cette promesse phare du programme présidentiel est la grande absente de ce PLFSS et, compte tenu des déclarations de Mme la ministre au sujet des montures Chanel, nous craignons maintenant qu'elle enterre définitivement cette promesse de campagne.
Autre exemple. Dans une interview accordée à Libération le 10 juillet 2017, Mme la ministre se disait favorable au tiers payant, qu'elle qualifiait de « mesure de justice et d'accès aux soins ». Quelques semaines plus tard, elle supprimait pourtant le tiers payant, cédant ainsi à la pression de syndicats de médecins, pour la plupart libéraux.
À cette liste de reniements vient s'ajouter le rétropédalage du Gouvernement en matière de lutte contre le tabagisme. Nous avions voté à l'Assemblée nationale une augmentation de la fiscalité sur le tabac, de façon à lutter contre le tabagisme, principale cause de décès prématurés en France – 73 000 chaque année. Or on apprend qu'au Sénat vous avez introduit une distinction entre la fiscalité applicable aux cigarettes et celle qui pèse sur les cigarillos et les cigares, comme s'il fallait faire une différenciation du point de vue de la santé publique. Faut-il en déduire qu'il est moins dangereux de fumer des cigares que des cigarettes ? Non, évidemment. La seule déduction valable, c'est que certains lobbies ont leurs entrées à Bercy. Je crains que ce ne soient les 15 milliards de recettes fiscales annuelles liées au tabac qui aient dicté cette décision contraire au bon sens et à la santé publique.
Tous nos amendements visant à faciliter l'accès aux soins ont été rejetés. Je pense en particulier à l'intégration de l'aide médicale d'État au régime général de la Sécurité sociale, qui est pourtant une revendication de l'association Médecins du monde, de l'Académie nationale de médecine et du Défenseur des droits. Mme la ministre de la santé déclarait pourtant à ce sujet le 15 juin dernier, devant le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, vouloir faire de l'exclusion des soins sa priorité. De deux choses l'une : ou bien ce n'était pas une priorité de Mme la ministre, ou bien c'en était une le 15 juin et ce n'en est plus une le 28 novembre. Sur ce point aussi, nous attendons des explications valables.
Je ne reviens pas sur la hausse de la CSG pour les chômeurs, les personnes invalides et les retraités, que vous semblez considérer comme aisés à partir de 1 200 euros par mois, alors qu'en fixant un seuil à 3 000 euros, comme nous vous le proposions, nous disposerions d'une mesure juste, et de nature à lutter contre les inégalités de richesse. Je regrette que, sur ce sujet non plus, vous n'ayez rien voulu entendre, malgré l'opposition de tous les groupes politiques de cet hémicycle et les doutes légitimes de certains députés de votre majorité.
Du reste, l'étude d'impact de ce texte est très claire et nous alerte sur le fait que la baisse des cotisations sociales causée par cette mesure aura pour effet de réduire le coût du travail. Voilà l'objectif de ce gouvernement en matière de protection sociale : la baisse du coût du travail. Je ne reviendrai pas sur la suppression du RSI, car cette question a déjà été abordée par mes collègues.
Je n'ai pas hésité à soutenir Mme la ministre de la santé lorsque ses propositions me semblaient aller dans le bon sens – par exemple quand elle a annoncé l'augmentation de l'allocation aux adultes handicapés ou des mesures de prévention sanitaire. Cependant, l'honnêteté m'oblige à dire que nous sommes très déçus par ce PLFSS qui, non seulement ne tient pas ses promesses, mais se caractérise aussi par un grand nombre de renoncements, ce qui risque, à terme, d'accentuer les inégalités, aussi bien en matière d'accès aux soins que de protection sociale.