. Concernant les sujets d'organisation et d'ambition de la France pour l'agence, je rejoins les propos de Jacques Maire. En tant que directeur d'un opérateur, nous ne pouvons pas nous substituer aux stratégies de l'État et des ministères. Nous ne sommes que le reflet, la projection, des ministères au niveau international. La commande publique ne provient pas seulement du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Certes, la majorité de la commande publique provient de ce ministère mais il y a également le ministère des finances qui a prévu une augmentation de sa commande dans les prochaines années. Il souhaite renforcer sa coopération technique sur le volet développement des ressources domestiques. Il y a également d'autres ministères dont les interventions sont, il est vrai, en baisse. C'est le cas du ministère de la santé ou du ministère chargé de l'emploi.
Nous dépendons de ce que les ministères souhaitent mettre en œuvre en tant que projets de coopération. Je n'aurais pas été contre le fait de disposer d'une enveloppe avec droit de tirage auprès des différents ministères mais ce n'est pas comme cela que fonctionne Expertise France. Ce sujet-là, c'est un peu la poule et l'œuf. Nous étions dans un mouvement où le fait d'avoir un seul opérateur interministériel, qui le devient de plus en plus par absorption des opérateurs thématiques, conduit à réinventer les relations avec les différents ministères. C'est la période 2015-2020. Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans une phase de restructuration du dialogue. Je souhaite que l'on mette en place des instances de dialogue stratégique sur les grands domaines de l'action extérieure avec les différents ministères autour de la table. Je pense qu'au fur et à mesure que l'on construira ce dialogue, les ministères se réapproprieront l'expertise pour la mettre au service de leur coopération internationale. Nous sommes dans cette phase-là. Les ministères continuent d'arbitrer sur les moyens qu'ils souhaitent consacrer à la coopération internationale et à leur priorité. Là-dessus, nous n'avons pas la main. Pour autant, cela n'empêche pas de travailler de manière étroite avec l'ensemble des ministères. Pour vous donner un exemple, les travaux que nous menons actuellement avec le ministère de la justice et l'ensemble de ses acteurs sur l'intégration de JCI montre que cela se passe extrêmement bien et que nous pouvons avoir une vraie réflexion stratégique avec l'ensemble du monde de la justice pour imaginer d'autres programmes, d'autres ressources, pour être plus présents à Bruxelles comme nous avons pu le faire sur des programmes d'accompagnement de réformes de la justice dans un certain nombre de pays de l'Europe de l'Est. C'est aussi ce dialogue là qu'il faut nourrir.
Concernant l'évolution des ETI, j'ai rappelé en propos introductif leur courbe décroissante. Nous l'avons tous en tête. Nous avons aujourd'hui une enveloppe de 250 coopérants techniques. Expertise France n'est que l'agence de mise en œuvre, de suivi de ces experts. La priorisation, le choix des postes sont faits par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. C'est notre commanditaire en l'espèce. Ce qu'il nous donne comme garanti – et c'est très fort dans ce COM – c'est le maintien du niveau de cette commande publique sur les trois prochaines années. C'est un élément très important. Ensuite, nous pourrions avoir un autre sujet de réflexion qui mérite que nous y passions un peu plus de temps : est-ce que ce niveau-là est à la hauteur des ambitions de la France ? Cela nécessiterait d'y consacrer potentiellement plus de moyens. Il faut également s'interroger sur la plus-value, sur les endroits où l'on aurait besoin d'une expertise française permanente sur le terrain à l'étranger que ce soit dans tel ou tel domaine ou dans telle ou telle géographie. Nous réfléchissons à ce sujet non seulement à travers les ETI mais sur la manière avec laquelle on peut concevoir et réaliser nos projets dans la durée.
Pour répondre à la question de savoir si nos experts sont là pour appuyer les politiques publiques des pays ou simplement pour accompagner les projets et les prêts de l'AFD, pour moi, les experts qui sont les nôtres sur le terrain ont une mission qui est de renforcer des capacités et d'accompagner des politiques publiques dans les pays et les secteurs dans lesquels la France et l'Europe souhaitent intervenir. Pour cela, nous devons être plus efficaces, en faisant en sorte que ces experts soient performants, bien formés, plus régionalisés. Il faut également renforcer les viviers d'experts. C'est un sujet extrêmement important. C'est notre mission et il n'y a pas de contradiction avec le fait d'appuyer des interventions de l'AFD. Bien au contraire. C'est ce qui fait la force d'une offre de groupe dans le cadre de notre intervention avec l'AFD. Dit autrement, lorsque l'AFD consacre des moyens importants, de plusieurs dizaines ou centaines de millions d'euros, pour accompagner une politique publique, si, à côté de ce financement, il y a de la matière grise et de l'expertise pour l'accompagner, cela donne tout son sens à l'action au bénéfice de la France de manière générale, de sa politique de développement et de sa politique étrangère, et pas seulement de l'AFD. Il ne faut donc pas opposer les deux options. Il faut être à la fois au côté de l'AFD sur un certain nombre de politique public qui sont clés et aller sur des thématiques qui ne sont pas dans le cœur de métier de l'AFD ou sur lesquelles nous avons d'autres bailleurs qui souhaitent que nous soyons présents, dont bien sûr la France.
C'est pour cela que nous avons fait en sorte que l'autonomie d'Expertise France au sein du groupe AFD soit conservée demain. C'est une ligne de crête compliquée entre le fait d'intégrée et de tirer les bénéfices de cette intégration tout en gardant son identité et sa force de travail propre. Cette autonomie est garantie par plusieurs éléments : d'abord, le COM assure un modèle financier pérenne qui fait en sorte que l'activité d'Expertise France dépende en majorité d'autres bailleurs que l'AFD, c'est très important et l'État a souhaité que l'acquis communautaire d'Expertise France soit préservé, et c'est tout le sens du mécanisme de compensation qui a été mis en place. C'est la première garantie assez forte puisque l'État continuera demain à avoir son mot à dire sur les champs dans lesquels Expertise France intervient et où il veut consacrer des moyens. Ensuite, les missions de service public sont réaffirmées dans le cadre du futur projet de loi. Notre champ d'intervention nous est propre. Il est particulier et original au sein des agences de développement. Enfin, troisième garantie, la gouvernance telle qu'elle a été proposée, vous avez raison madame la présidente, est une gouvernance mixte État-AFD et pas seulement AFD. Ce sont les éléments qui nous permettent de tenir cette ligne de crête entre bonne intégration et autonomie. Cela va nécessiter de bien définir les règles de travail avec l'AFD. Chacun doit être dans son rôle. L'AFD est un bailleur. Nous sommes une agence de mise en œuvre. Les projets seront co-construits et chacun doit y trouver sa place. Il faut éviter les doublons également pour être efficace. Il faut enfin que ces règles du jeu soient pérennes pour nous permettre de nous déployer dans la durée. Lorsque nous aurons posé cela, nous serons tout à fait capables d'absorber une part croissante d'activité de l'AFD au sein de notre chiffre d'affaires, mais, encore une fois, et malgré les octrois de l'AFD qui augmentent beaucoup, peut-être moins cette année compte tenu des aléas, et qui représenteront une centaine de millions d'euros par an, les deux tiers de notre activité se fera avec d'autres acteurs. Tout cela a un sens comme il fait sens de discuter des sujets touchant à Expertise France en même temps que des sujets de développement en général.
Concernant la mobilisation de l'expertise et notamment de jeunes experts internationaux, c'est une réflexion que nous avons déjà entamée avec d'autres acteurs et notamment avec un acteur important en France qui est France Volontaires et puis avec des bailleurs pour évoquer la question du financement de ce type de projets. Il y a sans doute une voie pour renforcer le volontariat et sans un volontariat de jeunes diplômés, de personnes qui souhaitent mettre leur compétence à disposition de pays en développement, notamment africain dans les prochaines années. Si nous allons dans cette direction, il faut imaginer des programmes qui soient cohérents avec ceux que nous avons déjà. Le sujet des volontariats est en tout état de cause un sujet à explorer, notamment en lien avec des sujets comme la valorisation des diasporas ou d'autres sujets de ce type.
Pour répondre à la question sur ce qui nous manque dans notre boîte à outils qui est une excellente question, il nous manque encore un certain nombre de choses mais le sujet qui est clé et qui dépasse la seule Expertise France est de trouver le moyen de mobiliser plus d'expertise et plus d'expertise publique au service du développement. Notre vivier d'experts, et notre vivier d'experts publics en particulier, a tendance à se réduire. En tout cas, il ne se développe pas autant que nous le souhaiterions, alors même que, je le disais dans mon introduction, l'envie de France est là et les compétences françaises sont reconnues dans tous les pays du monde et dans de nombreux champs, y compris des champs où nous avons une action publique forte. Cependant, nous n'avons pas suffisamment de ressources mobilisables sur plusieurs mois et encore moins sur plusieurs années pour se déployer à l'étranger. Pas seulement pour des raisons linguistiques, nous pouvons trouver des personnes qui parlent espagnol ou russe et pas seulement français/anglais. Il faut aussi trouver des personnes qui soient mobiles. Là où nous avions un vivier au moment où la France avait un volume de coopérants très important, nous l'avons un peu moins. Les moyens des administrations publiques se sont aussi réduits. La coopération technique n'est plus forcément la priorité dans un certain nombre d'entre elles. C'est vu parfois comme un luxe dans un contexte de réduction des moyens budgétaires. Il faut trouver des moyens de réinventer, de mobiliser plus les collectivités locales, de mobiliser d'autres publics, des établissements publics. Il y a une vraie réflexion qui a été entamée. Il faudrait la reprendre dans un débat sur le développement. Dans beaucoup de cas, c'est le point difficile pour nous. Ce qui manque dans notre boîte à outils alors même que la mobilisation de l'expertise publique est essentielle dans un certain nombre de secteurs.
S'agissant de la crise alimentaire, Expertise France n'a pas vocation à gérer des programmes dans ce domaine. Notre action, qui est une action sur le volet renforcement des capacités, peut venir appuyer un certain nombre de pays sur les questions d'alimentation et de gestion de la chaîne d'approvisionnement sur le long terme, ce que nous faisons déjà en Afrique de l'Ouest. Nous apportons une réponse qui s'inscrit aussi dans l'adaptation au changement climatique. C'est plus difficilement mobilisable sur des questions d'urgence et de crise alimentaire, à l'exception des zones très fragiles où nous intervenons pour apporter des services de base aux populations. Ces zones sont très particulières. Cela ne doit pas empêcher une réflexion plus large sur les approvisionnements et sur la gestion des approvisionnements locaux et des chaînes de valeur local, sujet très important après la crise du covid.
Je dois admettre que je ne connais pas les résultats de notre programme en Arménie sur la fraude fiscale dans ce pays. Je vais me renseigner. Je ne sais pas si le bilan a été très positif et si on peut en tirer des enseignements pour le reste de nos pays d'intervention. Ce que je peux dire tout de même, c'est que le sujet de la fraude fiscale et plus largement de la modernisation des administrations fiscales et douanières dans une perspective de développement des ressources domestiques dans une optique d'élargissement de la base fiscale dans nos pays d'intervention est une priorité très forte d'Expertise France mais aussi, plus généralement, de la France, en accompagnement des programmes mis en place par le Fonds monétaire international. Notre action va se renforcer dans ces champs en appui de l'action du ministère chargé des finances. Tout élément sur un pays sera repris pour d'autres. Je reviendrai vers vous par courriel sur notre programme en Arménie.
Sur les problématiques du genre, nous avons effectivement des programmes sur la valorisation du travail non rémunéré en Amérique latine. Notre objectif est bien de généraliser, ou en tout cas, de développer ce type d'approche dans d'autres régions, et notamment en Afrique avec deux axes. Le premier, je le rappelais tout à l'heure, exposé dans notre projet de COM, est de renforcer l'aspect problématique de genre dans l'ensemble de nos projets. C'est un axe fort pour ne pas seulement faire des projets genre mais avoir une dimension genre, une réflexion genre qui balaie l'ensemble de nos projets. Le second est d'intégrer un axe genre dès la conception de nos projets de développement et de faire en sorte qu'on anime l'ensemble de la chaîne de conception d'un projet autour d'un axe genre. Concrètement, nous allons mettre en place un cours en ligne, avec la Banque africaine de développement, avec l'AFD, avec l'ensemble des acteurs du développement en Afrique. Expertise France en est le pilote et met en place des formations sur l'intégration d'un axe genre dans l'ensemble des projets. Cette politique sera mise en œuvre d'ici la fin de l'année.