Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 20 mai 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Je prendrai connaissance avec beaucoup d'intérêt des propositions de vos groupes de travail et j'essaierai de les intégrer à mon action. C'est dans les moments de crise qu'on réalise souvent de grandes avancées.

Notre diplomatie reste pleinement mobilisée pour soutenir nos compatriotes à l'étranger, renforcer la coopération européenne et développer une riposte internationale efficace et solidaire. La santé est un bien commun à défendre ensemble.

S'agissant de nos ressortissants en déplacement, nous avions répertorié 110 000 personnes souhaitant revenir à la mi-mars, et nous avons permis le retour de 186 000 Français – rien de tel n'avait jamais été fait. Le centre de crise et nos représentants dans les postes ont bien travaillé. Tout le monde voulait revenir en même temps, alors que les vols étaient suspendus et les espaces aériens fermés. On ne pouvait qu'affréter des avions ou agir avec Air France. Au Maroc, qui a interdit le franchissement de ses frontières, supprimé les vols de ses compagnies nationales et fermé son espace aérien brutalement le 13 mars, nous avons constaté une difficulté récente. Alors que nous avons déjà ramené 30 000 de nos compatriotes, un nouveau flux se manifeste, qui nous conduit à prendre des initiatives nouvelles. Nous ne constatons pas de mouvements similaires dans d'autre pays.

J'ai présenté aux députés représentant les Français résidant à l'étranger notre dispositif de soutien en matière sanitaire, sociale et scolaire à destination des familles françaises et du réseau de l'enseignement français à l'étranger. Il consiste en une augmentation des bourses de 50 millions d'euros, la possibilité d'échelonner les paiements et la facilitation des inscriptions pour l'année prochaine. Je suis tout à fait d'accord avec l'idée de votre groupe de travail selon laquelle les postes doivent apporter une assistance et des conseils juridiques aux familles. En parallèle, nous avons ouvert une avance de trésorerie de 100 millions d'euros pour tous les établissements, quels que soit leur statut et la nature de leur lien avec l'État. Les établissements partenaires du réseau ne bénéficient pas, en temps normal, des mêmes facilités que ceux en gestion directe, mais ce sont souvent eux qui sont le plus dans le besoin aujourd'hui, notamment au Liban. Ces mesures concrètes et importantes trouveront une traduction budgétaire dans le troisième projet de loi de finances rectificative. Avec les dispositions sanitaires sur lesquelles je ne reviens pas, elles sont la manifestation, appréciée je crois, de notre solidarité avec nos compatriotes résidant à l'étranger et du soutien qui leur est nécessaire.

Le faux départ de l'Europe au début de la crise ne l'a pas empêchée de réagir avec beaucoup de force, à travers des aides budgétaires d'urgence et la programmation d'investissements pour la recherche, la mobilisation par la Banque centrale européenne (BCE) de 750 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent les 540 milliards décidés dans le cadre de l'Eurogroupe pour les entreprises, les États et les travailleurs européens.

L'initiative franco-allemande vise, non pas à gérer la crise, mais à se projeter dans l'avenir. L'un de ses piliers est la création d'un fonds de relance de 500 milliards d'euros financés par de la dette levée sur les marchés financiers par la Commission européenne, ce qui est historique. Trois autres piliers sont constitués par :

– l'affirmation de la souveraineté européenne en matière de santé, à travers notamment la constitution de stocks stratégiques et de capacités d'achat et de production communs, une action coordonnée en matière de recherche, un dispositif de prévention des épidémies et l'établissement de méthodes communes pour identifier les cas, ce qui est extrêmement nouveau et important ;

– l'accélération de la transition en matière écologique et numérique, priorité que la crise ne doit pas remettre en cause ;

– le renforcement de la souveraineté économique de l'Europe, par l'identification des biens d'importance stratégique pour notre sécurité, en particulier des points de vue sanitaire, alimentaire et numérique, l'identification des vulnérabilités d'approvisionnement, et la mise en œuvre des dispositions nécessaires à la reconfiguration des chaînes de valeur – diversification des fournisseurs, développement de nos propres capacités de production et d'investissement en Europe. C'est une avancée significative qui avait été anticipée par quelques initiatives, telle la filière européenne de batterie.

L'autre grande question du moment sur le plan européen est l'impératif de coordination au niveau des frontières. Jusqu'au 15 juin, les frontières extérieures de l'Europe sont fermées. Les Français et les résidents permanents qui veulent revenir doivent observer une période de quatorzaine volontaire, à domicile ou dans le lieu de leur choix. Les frontières intérieures de l'espace européen ne sont pas fermées, mais des contrôles coordonnés sont réalisés avec nos partenaires. Nous avons tenu à faciliter le passage lors de la première phase du déconfinement pour les frontaliers, les personnels de santé, les transporteurs internationaux et les résidents en France : plus de points de frontière ont été ouverts, nous allons vers des contrôles mobiles et nous travaillons à une attestation unique avec nos partenaires frontaliers. Il n'y a pas, à ce niveau, de quatorzaine spécifique, car les situations épidémiologiques sont proches et les mesures de gestion de la crise ont été coordonnées. Nous allons augmenter progressivement les capacités et nous évaluerons la situation le 15 juin – nous pourrons alors faire un bilan de la deuxième phase du déconfinement, qui aura commencé le 2 juin. Si la pandémie continue à s'affaiblir en France, l'activité touristique pourra reprendre très fortement.

Au niveau international, l'Union européenne a lancé, sur proposition de la France, l'initiative ACT-A qui a permis de mobiliser 7,3 milliards d'euros lors de la conférence des bailleurs du 4 mai dernier, la France contribuant à hauteur de 510 millions d'euros. Le but est de renforcer la coordination entre les acteurs mondiaux de la santé et les États qui veulent bien participer en proposant un modèle économique et juridique alternatif à la compétition pour que les vaccins et les traitements deviennent des biens publics mondiaux, selon des règles du jeu que chacun devra respecter afin d'éviter une marchandisation qui ne serait pas très acceptable moralement ni sur le plan de l'efficacité. Quatre objectifs ont été fixés : l'accès universel aux vaccins, aux traitements et aux diagnostics à un prix raisonnable ; des productions en quantités suffisantes ; une utilisation optimale des ressources ; un partage des savoirs et des savoir-faire ainsi qu'une mutualisation des brevets. Nous avons défendu cette modification du système de santé mondial lors de l'Assemblée mondiale de la santé, qui poursuivra ses travaux jusqu'à la fin de l'année.

Nous souhaitons que l'OMS (Organisation mondiale de la santé) soit reconnue et respectée, parce qu'elle constitue le seul outil universel en matière de santé, mais nous sommes d'accord sur la nécessité de la rénover pour la renforcer. Son rôle normatif doit être accru, car les mécanismes de vérification du règlement sanitaire international ne sont pas suffisants. Son rôle d'alerte doit être amélioré par la création d'un Haut Conseil de la santé humaine et animale composé de grands scientifiques, qui serait chargé d'alerter les gouvernements et d'informer les sociétés, dans le cadre de l'OMS mais d'une manière autonome, comme le fait le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Ses moyens financiers doivent également être augmentés afin qu'elle puisse assurer complètement ses missions et qu'elle soit autonome en matière de gestion.

Enfin, la réalisation d'un bilan indépendant sur les origines et le développement de la pandémie a été approuvée par 194 pays.

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