Pour donner quelques éléments de contexte, je voudrais rappeler que l'Institut Pasteur de Dakar est une fondation sénégalaise à but non lucratif qui a deux membres fondateurs, l'État du Sénégal et l'Institut Pasteur à Paris. L'Institut Pasteur de Dakar est membre du réseau des Instituts Pasteur qui sont présents dans vingt-cinq pays, avec trente-deux instituts dont dix en Afrique. Son activité principale est la recherche, la santé publique, la formation pour la plupart des instituts. Le volet expertise est spécifique à l'Institut Pasteur de Dakar puisque l'on produit un vaccin – le vaccin contre la fièvre jaune – qui est l'un des seuls vaccins pré-qualifiés par l'OMS au niveau de l'Afrique, c'est à dire autorisé à être vendu au niveau international.
Deuxième point, nous nous sommes récemment lancés dans la production de tests rapides, avec un modèle économique qui permet de travailler sur l'accès à ce produit et sur lequel je reviendrai. Globalement, c'est un institut qui a bâti avec le temps tout un écosystème pour lutter contre les épidémies, avec une priorité locale et une vocation régionale, puisqu'on a dû aider quarante-cinq des cinquante-quatre pays en Afrique dans le domaine des épidémies, soit dans le diagnostic, dans la formation, l'évaluation de risques ou dans les investigations de terrain.
C'est aussi ce que j'appelle, un modèle de coopération réussie entre la France et le Sénégal, et qui s'est prolongée depuis quelques années avec l'Europe. En termes de durée, cela fait plus de cent vingt ans que cet Institut existe en traversant différentes crises et en saisissant différentes opportunités aux côtés du peuple sénégalais.
Cet institut a aussi permis l'émergence d'une expertise locale. Aujourd'hui, la plupart des grands microbiologistes du continent ou du Sénégal ont été formés soit ici soit à l'Institut Pasteur de Paris. Il est important que cet atout soit maintenu, parce que le fait d'avoir une expertise locale est très important face aux épidémies. L'institut est toujours un réceptacle pour une diaspora compétente qui a été souvent formée au niveau international et revient maintenant au Sénégal. Dans ce sens, je trouve que c'est quelque chose de très bien, qui se prolonge maintenant avec l'Europe avec laquelle nous sommes en discussion pour bâtir ici un centre de formation à la lutte contre les épidémies.
Pour revenir sur la situation de l'épidémie, en Afrique et au Sénégal. Il y a aujourd'hui en Afrique un peu plus de 83 000 personnes infectées, dont 2 214 morts. Le Sénégal est le septième pays le plus touché du continent en termes d'infections, l'Afrique du Sud étant le premier avec l'Algérie. Le Sénégal compte, à ce jour, 3 161 cas, avec 1 565 guérisons et 38 décès. Douze des quatorze régions du pays ont été touchées.
Il est important de nommer trois ou quatre points importants valables pour le Sénégal mais également pour plusieurs pays en Afrique.
Premièrement, le Sénégal a mis en place des mesures extrêmement rigoureuses au tout début de l'épidémie, dont le fait d'interdire les rassemblements, de fermer les frontières et les écoles, afin d'éviter que l'épidémie se diffuse rapidement. Cela a permis de contenir l'épidémie en dessous des capacités sanitaires du pays. Cette disposition a permis aussi de renforcer l'approche communautaire au niveau de l'Afrique, puisque contrairement à ce qu'on peut voir en Europe, quand on est malade en Afrique, on va dans un centre au niveau de la communauté. Renforcer cette activité pour être plus proche des gens est un élément essentiel de notre stratégie.
Dans ce contexte, l'Institut Pasteur de Dakar a un rôle qui se situe à deux niveaux. Le premier est stratégique : nous intervenons dans la concertation avec le chef de l'État et le ministre de la santé, et l'idée est vraiment de réfléchir à la stratégie et, compte tenu de notre expérience, de positionner les différents outils et ressources dans une démarche qui permet de juguler l'épidémie. Le deuxième rôle, plus opérationnel, est coordonné au Sénégal par un centre d'opération d'urgence sanitaire. Aujourd'hui nous sommes capables d'effectuer entre 1 000 et 1 200 tests par jour pour identifier les cas suspects, isoler les contacts et faire un suivi dans les hôpitaux. Cela implique qu'il y ait une grande capacité de tests et, au cours du dernier mois, leur nombre a été multiplié par dix.
L'Institut Pasteur est également impliqué dans la surveillance et le suivi des contacts. L'analyse des données est un volet extrêmement important pour ajuster la stratégie au fur et à mesure et pour savoir qui sont les gens touchés et quelles sont les régions épargnées.
Un autre volet non négligeable dans lequel nous sommes extrêmement engagés, c'est la formation d'autres laboratoires pour pouvoir prendre en charge l'épidémie. Nous sommes actuellement impliqués auprès du laboratoire national de santé publique pour ce faire.
Au niveau régional, notre rôle est un rôle de centre de référence pour l'UA et pour l'OMS – depuis le début de l'épidémie, nous avons été l'un des deux laboratoires habilités pour appuyer les autres. Au niveau sous-régional, je préside la commission technique des laboratoires de l'Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS) et je suis dans le comité de pilotage de la stratégie africaine (AFCO), qui est le comité mis en place par les chefs d'États pour aider au pilotage de la lutte contre l'épidémie.
Dans ce sens, nous avons assuré en février la formation de vingt-cinq laboratoires, dans vingt-cinq pays, et ensuite, avec l'appui de l'Afrique du Sud, nous avons pu en former quarante-deux autres. Ces laboratoires travaillent et mènent des diagnostics dans les différents pays. Cette formation a été l'occasion de transmettre de la connaissance mais aussi de donner les premiers réactifs. Un deuxième rôle important est la facilitation des expertises techniques. Beaucoup de questions se posent sur les tests rapides, sur l'amélioration du suivi des contacts et sur la démarche communautaire. Sur toutes ces questions, ce groupe technique, avec l'ensemble des experts, fait un travail important.
Un dernier rôle qui est le nôtre, c'est la réponse au besoin en tests rapides qui est croissant. Nous sommes non seulement un centre d'excellence pour les évaluer – parce que le gros problème des tests rapides, c'est leur performance : ils sont pratiques mais contreproductifs s'ils sont défectueux – et enfin, nous avons développé une infrastructure pour produire des tests rapides d'ici juillet, ce qui devrait permettre, avec le modèle économique mis en place, de les rendre accessibles autour d'un dollar le test.
Il m'a été demandé de parler un peu de l'incidence de la crise au niveau des activités de l'Institut Pasteur. Cela me donne l'occasion de rappeler que le modèle économique de l'Institut Pasteur est fondé sur les activités génératrices de ressources – comme la vente des vaccins que nous produisons, ou les activités de service – que ce soit le laboratoire d'analyse médicale, le laboratoire de sécurité alimentaire ou les vaccinations. À cela s'ajoute la subvention de nos membres fondateurs – il faut dire que nous ne produisons pas de vaccins actuellement car nous sommes dans une phase de rénovation de la structure, donc nous n'en tirons plus de ressources. Par rapport à nos activités de service, une perte d'un tiers de l'activité est liée à la situation sanitaire actuelle. Dans le domaine de la sécurité alimentaire, nous travaillons beaucoup avec les hôtels, mais la plupart sont fermés en ce moment. Là aussi, il y a eu un impact important.
Pour le financement de nos activités, nous avons eu un appui du gouvernement du Sénégal au tout début de l'épidémie. Sur la façon dont nous levons des fonds, nous avons eu l'occasion d'être appuyés par le ministère des affaires étrangères à travers l'Institut Pasteur de Paris et par notre réseau. Nous levons également des fonds avec l'Union européenne (UE), différents acteurs du développement et différentes fondations, avec lesquels nous avons des échanges réguliers. La levée de fonds se poursuit, avec plus ou moins de succès.
Globalement, ce que je peux retenir comme leçon importante depuis le début de cette épidémie, c'est la nécessité d'avoir un accès équitable à un certain nombre de mesures et de contre-mesures médicales. En Afrique aujourd'hui, le défi le plus important est d'avoir accès aux tests pour pouvoir surveiller la situation, c'est aussi d'avoir accès aux masques et aux équipements de protection individuelle. Au-delà de cet accès équitable, il est important de renforcer l'écosystème industriel. Dans ce sens, l'Institut Pasteur de Dakar a un projet qui est en train d'être construit : une usine de vaccins qui devrait augmenter les capacités actuelles par six. À ce titre, nous recevons l'appui de l'Agence française de développement (AFD) – un appui pour ce type d'initiatives est extrêmement important. De la même manière, dans cette activité pour des diagnostics, il y a un projet qu'on appelle Diatropix pour lequel est impliquée la fondation Mérieux et les partenaires industriels, bioMérieux et Mologic.
Il me paraît également important de renforcer les réseaux comme les Instituts Pasteur, qui contribuent à bâtir la résilience et qui, dans la plupart des pays, ont été les premiers à être prêts. Leur situation dépend beaucoup des subventions du ministère des affaires étrangères, mais surtout du personnel disponible. Je vous donne le cas du Sénégal : partout, nous avons besoin d'une expertise qui n'existe pas. Nous recherchons des experts techniques internationaux (ETI), qui sont des postes financés par le ministère des affaires étrangères. Dans ce cadre-là, on a eu une grosse perte puisque le réseau de l'Institut Pasteur de Dakar avait vingt-six personnels à sa disposition, ils ne sont plus que six.
Ensuite, un point important serait de repenser les systèmes de santé avec une approche plus communautaire, mais aussi une approche plus régionale. Dans beaucoup d'initiatives, le fait de le faire au niveau régional, c'est vrai pour la stratégie industrielle, me paraît extrêmement important.
Pour finir, je vais essayer de répondre aux questions de madame la présidente concernant la décision de l'OMS de stopper le protocole Solidarity sur l'hydroxychloroquine. Il faut savoir que nous avons décidé au Sénégal de faire un traitement avec l'hydroxychloroquine assez rapidement. Ce que nous avons remarqué dans le contexte du Sénégal, avec les études préliminaires que nous faisons, c'est que cela a l'air de raccourcir significativement la durée d'hospitalisation. Et quand nous combinons l'hydroxychloroquine avec l'azithromycine, cela réduit encore davantage cette durée d'hospitalisation. C'est une décision qui doit être prise au niveau national, et à ce stade aucune décision n'a été prise suite à la demande de l'OMS. Sur l'impact de la demande de l'OMS sur l'Afrique, je comprends que l'OMS avait un protocole qui s'appelle Solidarity et qui était déployé partout, et je pense que si ce protocole est arrêté, les États devraient pouvoir suivre ces recommandations ou les adapter en fonction de leurs analyses.
S'agissant de l'appui à la vaccination, je pense que c'est absolument essentiel. Aujourd'hui, au regard du risque qui existe sur la tuberculose – première cause de mortalité dans le monde –, il est absolument essentiel que l'on s'attaque à ce genre de problèmes. Quand on regarde la rougeole, il y a une résurgence à cause du manque de vaccination, qui risque de causer plus de morts sur la durée que le covid-19. Et donc pour moi, il est vraiment essentiel de maintenir ces programmes qui doivent trouver toute leur place, en plus de la lutte contre le covid-19.
Ce que nous redoutons, bien évidemment, c'est la situation que l'on a pu observer dans les autres continents, le fait que l'épidémie dépasse les capacités du pays induisant l'effondrement des systèmes de santé. En Afrique, cela aurait un impact extrêmement important puisque nos systèmes de santé sont plus faibles. Et c'est pour cela que l'Afrique, ayant eu un démarrage de l'épidémie un peu plus tardif, a eu l'occasion de se préparer un peu mieux que les autres continents. Pour moi, le fait d'avoir cette situation n'est pas une fatalité et nous pouvons apprendre énormément de ce qui a été fait ailleurs. Si je prends pour exemple la prise en charge des cas, on a pu voir en France et dans beaucoup d'autres pays que la prise en charge des cas sévères a sérieusement évolué – on est passé à beaucoup de ventilation, à des anti-coagulants et à une approche différente – c'est le genre de bonnes pratiques qu'il serait utile de transférer et de prendre en compte très rapidement.
Notre crainte est réelle, puisque cette épidémie est très sérieuse et très contagieuse, mais nous avons cette opportunité de renforcer nos capacités et de les étendre, notamment pour éviter une forte mortalité. Maintenant, il y a quelques avantages que représente la jeunesse du continent : au Sénégal, la grande majorité des personnes décédées ont plus de soixante ans, au moins trente sur trente-huit. Ce qui nous amène justement à vouloir protéger cette population vulnérable et à créer des capacités pour pouvoir les soigner rapidement à travers une démarche communautaire et une hospitalisation la plus précoce possible. D'où la nécessité d'accélérer, pour les tests, la mise en œuvre de l'initiative ACT-A. Lorsque les cas sont précocement détectés, cela permet une hospitalisation plus rapide. Ce volet test et identification me paraît central. Ces deux axes, la détection précoce et un transfert des bonnes pratiques dans la prise en charge des cas sévères, peuvent nous permettre d'éviter les hécatombes qu'on a pu voir dans d'autres continents.