Intervention de Amadou Sall

Réunion du mercredi 27 mai 2020 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Amadou Sall, directeur de l'Institut Pasteur de Dakar :

Je commencerai par répondre à la première question concernant le dépistage, les moyens de tests rapides et l'implication des autres États africains. Nous nous sommes mis dans une dynamique de production de tests à partir du second semestre. Nous essayons de mobiliser des ressources. Notre capacité maximale est de huit millions de tests. À l'heure actuelle, nous en avons déjà mobilisé un peu plus de trois millions et nous sommes en train d'en chercher cinq autres. Nous avons des discussions avancées pour pouvoir les produire. Ces tests sont destinés, en priorité, à répondre aux besoins du Sénégal mais également à ceux d'autres pays africains. Nous travaillons avec d'autres pays africains et notamment avec l'OOAS pour couvrir les besoins des quinze pays d'Afrique de l'Ouest dans le cadre de la CEDEAO. Nous travaillons également avec les centres africains pour le contrôle et la prévention des maladies (Africa CDC) pour couvrir d'autres zones du continent. L'idée c'est que ces organismes, en soutenant la plateforme et en y mettant des ressources, puissent disposer de tests qu'ils peuvent ensuite mettre à disposition dans les différents pays. Cette initiative est à but non lucratif.

En réponse à la question concernant le règlement sanitaire international, je confirme qu'il s'agit bien d'un outil qui a permis au monde de mieux travailler ensemble, même s'il y a quelques imperfections. En Afrique, l'approche qui a été adoptée a été de s'assurer que l'application de ce règlement sanitaire international est bien évaluée à travers le « JEE » qui est l'évaluation externe conjointe. Cela permet de passer en revue les vingt capacités essentielles qu'ont les pays pour répondre à l'épidémie.

Tous les pays africains se sont prêtés à cet exercice, ce qui a permis d'éviter un certain nombre de cas. Je pense que cette démarche est absolument la bonne puisque. Ces évaluations permettent d'établir une feuille de route. Les différents bailleurs et partenaires qui souhaitent renforcer cette feuille de route peuvent donc avoir un positionnement là-dessus. Mais cela implique des ressources importantes et une véritable stratégie de mobilisation.

Au niveau de l'Europe, l'approche des frontières me paraît être une approche pouvant être prise en compte étant donné que les systèmes de santés européens sont beaucoup plus forts et que chaque pays européen dispose d'un système national de santé qui permet de gérer ces différents points. On n'a donc peut-être pas besoin d'avoir une approche complètement globale.

Je partage le point de vue de M. Le Drian en termes de vérification d'informations et de capacités, car le règlement sanitaire international part de la nécessité de déclarer les épidémies et de les prendre en charge. Nous avons pu voir, dans le passé, qu'une absence de déclaration était à l'origine d'une diffusion mal maîtrisée et dont tout le monde a fait les frais. Cette vérification régulière me paraît donc intéressante et importante.

Il y a ensuite une deuxième série de questions sur la collaboration au niveau de l'Afrique et sur le fait que cette collaboration a permis de mettre en place une dynamique qui a l'air de porter ses fruits. Je voudrais dire que nous en sommes particulièrement heureux. Personnellement, cela fait plusieurs années que je travaille pour la mise en place de cette dynamique et cette crise est une bonne opportunité pour la mettre en œuvre. Je voudrais tout de même être prudent car nous sommes encore au début de cette épidémie et il ne faut pas crier victoire trop vite. Il est absolument essentiel que nous continuions dans cette mobilisation.

Par rapport à l'hypothèse d'une pression infectieuse en termes d'immunité, je voudrais dire nous n'avons pas, pour le covid, une très bonne connaissance de l'immunité. Nous savons qu'une neutralisation peut se mettre en place mais nous ne savons pas combien de temps elle dure. La durée de cette immunité va avoir un gros impact sur la façon dont cette épidémie va être gérée. Dans plusieurs pays, nous observons plusieurs vagues. En Afrique, je pense que l'exposition à d'autres virus ne me paraît pas, à ce stade, suffisamment documentée pour exclure cela. C'est possible mais nous n'avons pas encore assez d'éléments à ce stade.

Sur la question concernant l'amélioration du système médical et l'annulation de la dette, je pense que le président sénégalais s'est déjà très largement exprimé sur ce point. Cette annulation, si elle était conditionnée à un investissement dans le système de santé, pourrait contribuer à bâtir un système résilient dans le domaine de la santé. Aujourd'hui, plusieurs pays africains sont investis dans des plans pour des investissements massifs dans le domaine de la santé. C'est une bonne chose et l'annulation de la dette pourrait être une opportunité d'investissement. De même, l'accès aux vaccins doit également être quelque chose de prioritaire. C'est pour cela que je disais tout à l'heure qu'au-delà de la résolution de ce problème, il y a vraiment la nécessité de réfléchir à la pérennisation de ces capacités et de ces compétences.

Il y avait une série de questions de Mme Poletti concernant le laboratoire mobile. Ce laboratoire a été déployé dans la deuxième région la plus touchée. Avec l'ensemble de son arsenal technologique, ce laboratoire sert non seulement à résoudre les problèmes sur ce site mais nous sommes également dans une réflexion pour que ce laboratoire soit itinérant et se rendent dans les différents foyers. Concernant son extension sur l'Afrique, nous sommes actuellement en discussion avec la société qui a construit ce laboratoire et avec l'Union européenne pour étendre ce genre d'initiative à d'autres pays. Actuellement, la République démocratique du Congo dispose d'un tel laboratoire. Je ne sais pas à quel niveau il est utilisé. La société qui s'appelle la Fondation Praesens et l'Union européenne ont le projet d'étendre cette initiative en Afrique à travers deux hubs dont un se situerait au Sénégal et l'autre en Afrique de l'Est, très probablement en Éthiopie.

En ce qui concerne la recherche de partenariats et le domaine de la subvention, je voudrais confirmer vos chiffres. Effectivement, il y a eu des baisses drastiques au cours des cinq dernières années. Je confirme que la subvention est passée d'1,2 million d'euros à 600 000 euros. Par rapport à l'appui budgétaire, il faut savoir que nous avons un modèle économique dont le but est d'être équilibré. Nous sommes en permanence à la recherche de ressources supplémentaires pour pouvoir combler un certain nombre de déficit qui sont souvent liés à notre activité de santé de santé publique ou de formation. Un appui budgétaire conséquent pour couvrir ces activités consommatrices de ressources me paraît absolument important. Si la subvention pouvait être ramenée au moins au niveau où elle était pendant un certain nombre d'années, cela permettrait d'avoir d'une part un équilibre dans notre budget mais donnerait également l'occasion de pouvoir bâtir sur des relais de croissance, comme le vaccin ou le diagnostic. À travers ces relais de croissance, nous pourrions équilibrer durablement ces budgets. C'est vraiment essentiel. Un certain nombre de stratégies ont été mises en place pour la recherche de financements puisque nous avons mis en place un bureau de mobilisation des ressources qui est pour l'instant consommateur de ressource mais qui permet de mobiliser beaucoup plus rapidement la recherche. Pour faire simple, ce serait très utile d'avoir une augmentation de cette subvention le temps de quelques années afin de rééquilibrer le budget. Ensuite, il faudrait que cette nouvelle stratégie de mobilisation par la recherche soit financée. Enfin, il faudrait avoir, pendant quelques temps, un appui pour bâtir ces relais de croissance comme le vaccin ou le diagnostic.

Vous avez parlé également des articles d'un certain nombre de journaux qui ont parlé de la tutelle de la France. Notre réponse a été de dire que l'Institut Pasteur de Dakar est une fondation sénégalaise. Le gouvernement du Sénégal est représenté dans la gouvernance. Il ne s'agit donc pas d'une tutelle mais plutôt d'un partenariat dans lequel les discussions entre les partenaires se font sans qu'il soit question de tutelle ou de domination. L'expérience que j'ai des épidémies est mitigée : à cette occasion, l'on voit, chez les êtres humains, ce qu'il y a de mieux et… ce qu'il y a de pire. Si certains pensent qu'en évoquant ces questions ils arriveront à déstabiliser l'Institut Pasteur, ils n'hésiteront pas. Du point de vue de la communication, nous avons fait le choix de donner les bonnes informations en répondant dès que c'est nécessaire mais en nous focalisant sur l'objectif numéro un qui est de stopper l'épidémie.

Vous avez ensuite parlé de l'artemisia. C'est une discussion qui a eu lieu. Comme toujours au Sénégal, il y a eu une concertation au niveau le plus élevé de l'État pour savoir si cela pouvait être une solution et cette concertation a conclu qu'il devait y avoir une évaluation avant de pouvoir l'utiliser. Je n'ai pas connaissance de l'utilisation de l'artemisia ou « Covid Organic » par les populations sénégalaises.

Il y avait ensuite une question concernant le rôle de la communauté internationale et notamment de l'Union africaine dans la résolution de la crise. Il y a de gros besoins aujourd'hui au niveau de la communauté internationale, dans les trois domaines qui sont importants pour l'épidémie : le vaccin, le diagnostic ou tout le traitement. Ces besoins sont financiers car d'énormes ressources sont nécessaires pour pouvoir faire des tests et prendre en charge les personnels. De ce point de vue, le rôle de l'Union africaine a été de coordonner cela en accord avec l'OMS pour la résolution de la crise. Au mois de février, les chefs d'États ont défini une stratégie continentale avec un comité de pilotage qui dirige la partie stratégique et qui est relayé par des groupes techniques, J'ai le privilège d'en diriger un. Ce sont plus des espaces de débat qui permettent de donner un maximum d'orientations techniques aux pays de manière à ce qu'ils puissent savoir quelle position prendre en ce qui concerne par exemple les tests rapides ou la prise en charge et le suivi des contacts. Nous avons essayé de le faire de façon concertée avec l'OMS et l'OOAS, à travers un consensus sur un certain nombre de points. Jusque-là, cela me paraît relativement efficace.

Le vaccin est un grand sujet puisque c'est l'une des pistes possibles de solution. Les plus optimistes parlent de la fin de cette année pour avoir les premiers vaccins. L'Institut Pasteur de Paris est en train d'en faire un. Idéalement il faudrait de très forts appuis au niveau de la communauté internationale pour que l'Afrique puisse avoir accès à ces vaccins. À l'institut Pasteur de Dakar, nous avons essayé de réfléchir avec des groupes pour voir de quelle manière, si jamais ce vaccin est disponible, nous pourrons contribuer à le rendre disponible de manière à ce qu'il soit accessible au continent africain.

Ensuite, il y avait un volet concernant la coopération internationale et la contribution aux connaissances et aux publications. L'Institut Pasteur de Dakar est un organisme de recherches. L'ensemble des travaux que nous sommes en train de faire – même si ce n'est pas notre priorité – font l'objet d'articles. Nous en avons soumis un premier. Nous avons plusieurs domaines de recherches. Le premier concerne la description de l'épidémie. Nous sommes en train de préparer un article sur ce point. Ensuite, il y a un travail qui est fait sur les différents cas et les spécificités africaines. Cela va prendre un peu plus de temps mais il est prévu dans de domaine de faire part de notre expérience puisque l'on a collecté un certain nombre d'informations intéressantes. Nous avons tout un axe de travail dans les différents domaines du covid qui font aujourd'hui l'objet de collecte de données et de finalisation de nos recherches pour les mettre à disposition.

Comment cela doit-être piloté ? Je pense qu'il y a un certain nombre d'initiatives qu'il faut encourager notamment ce que l'on appelle « la science ouverte » qui est une initiative importante car elle permet de mettre les informations à disposition avant leur publication dans des journaux. À mon avis, c'est le type d'initiative qu'il faut encourager. Au-delà de cela, il y a un certain nombre d'initiatives, notamment dans le domaine du séquençage. Tout le monde va déposer un certain nombre d'informations sur les caractéristiques du virus qui permettent ainsi d'observer son évolution pour adapter le diagnostic. Ces types d'initiatives, qui ne sont pas forcément coordonnées à un niveau structurel, mais qui sont plutôt des initiatives auxquelles tout le monde adhère, nous paraissent être extrêmement importantes. Certains organismes qui financent ces recherches ont un moyen de pression important pour faire en sorte que les données soient partagées. Tous les organismes qui financent, que ce soit l'Union européenne, le Wellcome Trust et plusieurs autres fondations poussent ces politiques de « science ouverte ».

Il y avait une question concernant le Sahara occidental et Mayotte les démarches entreprises pour les aider d'un point de vue politique. L'Institut Pasteur de Dakar est à disposition de l'Union africaine et de tous les organismes – comme l'OMS et l'OOAS – qui souhaitent un appui technique pour mettre à disposition des outils afin d'aider les pays, quelle que soit la connotation politique qu'ils peuvent avoir. Nous n'avons pas les moyens, et ce n'est pas du tout notre mandat, de nous immiscer dans ce genre de discussion. Notre expertise est complètement « agnostique » par rapport à tout ce qui est politique. Nous mettons à disposition l'ensemble des informations dont on dispose pour aider. Chaque fois que nous serons sollicités par ces organismes, nous les aiderons avec beaucoup de plaisir. Il est très important que nous soyons agnostiques et apolitiques. Lorsqu'il s'agit d'épidémie, le fait que certains territoires soient atteints et ne soient pas pris en charge met tout le monde dans une situation de risque.

Il y avait une question concernant les moyens dont l'Afrique pourrait avoir besoin en matière de ressources. Je n'ai pas en tête de budget plus spécifique. Je pourrai vous le transmettre. Il me paraît important de savoir qu'il y a trois types de besoin aujourd'hui. Le premier besoin concerne la gestion de la crise en tant que telle – les traitements, les diagnostics, la prise en charge et les autres piliers de lutte contre les épidémies – qui demande beaucoup de ressources. Il y a un autre volet non négligeable qui consiste à faire en sorte que ces investissements continuent à bâtir une résilience dans la durée. Par exemple, au Sénégal, pour les tests rapides, nous avons actuellement une infrastructure. En discutant avec des partenaires, on se dit de plus en plus qu'il nous faudrait une infrastructure qui soit construite, qui coûterait autour de 20 millions de dollars mais qui permettrait de mettre à disposition l'équivalent de 100 millions de tests. Ce serait un moyen de changer complètement la dynamique pour la surveillance ou le diagnostic. C'est un programme qui pourrait se dérouler sur quatorze ou quinze mois. Il devrait permettre de prendre en charge, au-delà du covid, le paludisme, le VIH, la fièvre jaune, la rougeole, etc. Il y a un troisième niveau, dont vous avez parlé, qui concerne la communication et le partage des informations. Il me paraît essentiel puisque le partage des bonnes pratiques va contribuer à renforcer le système de manière générale. Pour cela, il y a besoin de beaucoup de ressources car les scientifiques sont dans un laboratoire. Faire en sorte que la science se retrouve dans la société et que les découvertes finissent par devenir des politiques publiques me paraît être tout un autre pan d'activité qui a besoin d'être financé. Ce qui me paraît vraiment essentiel c'est qu'avec des instituts comme les nôtres, qui sont sur différents pays, il y a une opportunité pour que toute cette stratégie commence. Le premier niveau d'exécution de cette stratégie peut se faire à travers ces instituts qui sont parfois plus que centenaires dans les pays et qui en ont une connaissance profonde. Cette connaissance s'acquiert dans le cadre de collaborations avec le ministère de la santé et elle devrait permettre d'initier une stratégie qui, avec le temps, va toucher les différents continents.

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