Intervention de François Godement

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 10h00
Commission des affaires étrangères

François Godement, conseiller Asie à l'Institut Montaigne :

Je vais intervenir sur la réaction chinoise à la crise sanitaire, dans une dimension médicale, sanitaire, économique avec des conclusions politiques. Alice Ekman abordera le panorama international.

Trois périodes au moins peuvent être distinguées. D'abord une période dont on parle peu, qui est antérieure au 8 décembre et qui commence probablement en octobre, date à laquelle le virus a déjà circulé dans la province du Hubei, sans qu'on sache trop comment ni où, mais qui est attesté par un patient dont le cas remonte au 17 novembre, et de façon moins certaine avec la rumeur autour des jeux militaires organisés à Wuhan au début du mois d'octobre. L'origine du virus n'est pas claire. Nous nous sommes focalisés sur le marché de Wuhan, mais il y a eu des patients avant le 8 décembre, et nous ne connaissons pas le chemin de contamination. En outre, comme les autorités chinoises sont extrêmement opaques, parfois pas seulement de façon politique mais aussi de façon bureaucratique, « automatique », des gestes ont été accomplis tels que le nettoyage et la désinfection du marché de Wuhan au tout début janvier, et de nombreux indices ont été effacés. Il s'agit donc d'une première phase, qui reste dans l'ombre et qui donne lieu à des polémiques internationales. Le porte-parole chinois du ministère des affaires étrangères a même déclaré que le virus aurait pu être importé par des athlètes américains. Le virus a-t-il été importé par des athlètes américains ou a-t-il transité par un laboratoire ? Il y a deux laboratoires à Wuhan, le P4 auquel collaborent la France et les Etats-Unis, et le P2 qui est moins connu mais situé juste à côté du marché de Wuhan. Il existe plusieurs suppositions, mais pas de preuves. Nous sommes donc face à des allégations non vérifiées.

La deuxième période, du 20-23 décembre au 20 janvier environ, est une période de dénégation des autorités locales, qui répriment les médecins lorsqu'ils parlent du virus, même lorsqu'ils en parlent entre eux. Les autorités centrales, elles, dénient la transmission d'humain à humain, alors qu'elle est attestée sur le territoire. Le virus a été séquencé brillamment à plusieurs reprises et les indices de transmission d'humain à humain sont innombrables, à commencer par le fait que de nombreux médecins tombent malades. On est donc face à une prise en compte lente, tardive, expliquée par des considérations politiques, celles d'un système qui est opaque, celles des préparatifs des fêtes du nouvel an et probablement d'un refus de regarder en face les risques de contamination à l'échelle de tout le pays et à l'étranger.

Entre le 20 et le 23 janvier, la Chine change de politique pour elle-même et entre dans une phase de réaction sanitaire extrêmement ferme et coordonnée, qu'il faut bien dire très réussie, d'endiguement du virus. Cette phase dure jusqu'à début avril, moment où le blocus de Wuhan est levé.

Ces trois phases ont des conséquences internationales, dont la principale est la polémique autour de l'Organisation mondiale de santé (OMS). Qu'ont pu savoir les partenaires étrangers de la contagiosité réelle du virus ? Pourquoi le séquençage réalisé en Chine a-t-il été transmis avec retard ? Pourquoi certaines mesures prises en Chine n'ont-elles pas été prises aussi dans d'autres pays ? Par exemple les voyages de groupe chinois ont été interdits en Chine le 24 janvier, mais il faut attendre le 27 janvier pour que la mesure soit étendue à l'étranger. Les voyages individuels ont été autorisés jusqu'à fin février, quand ils ont été interdits dans les deux sens, avant cela la Chine réclamait de ses partenaires qu'ils ne ferment pas leurs frontières et ne prennent pas de mesures concernant les arrivants en provenance de Chine. Le premier malade du covid-19 à l'étranger et infecté en Chine est repéré en Thaïlande le 8 janvier. Nous sommes donc face à un problème de responsabilité.

La lutte contre le covid-19 s'opère de trois manières, dont la première prend la forme de blocus régionaux et locaux. Il n'existe pas de confinement général, mais des interdictions de circuler, zone par zone, appuyées par la population et par la tradition villageoise de blocus en cas d'épidémie ou de danger. L'action du Parti communiste et de ces organisations de masse rencontre le soutien et la participation de la population rurale. Ce blocus est autoritaire, et appuyé par un confinement sous une surveillance beaucoup plus forte que partout ailleurs dans le monde, les comités de quartier, les organisations de masse du parti communiste, tous les réseaux locaux sont mobilisés pour obliger les gens à respecter le confinement avec des épisodes très forts. Derrière des images parfois terribles de gens arrachés à leur famille, il y a eu une politique d'isolement complet, y compris au sein de la cellule familiale, qui a permis d'éviter ce qui s'est produit en Europe et aux États-Unis, à savoir la propagation intrafamiliale. Il faut apprécier la dureté de ces méthodes, mais comprendre qu'elles ont permis à la courbe de propagation du virus de baisser aussi rapidement et aussi fortement. Il y a eu des méthodes informatiques, digitales, numériques, on dit tout là-dessus, j'insiste simplement sur le fait qu'en Chine tout ce qui n'est pas interdit aux autorités leur est permis, le seul point de restriction sur l'emploi des méthodes de surveillance a été la mise en commun des données des grandes plateformes commerciales qui pistent les consommateurs chinois dans chacun de leurs actes. Assez curieusement, il y a eu une légère réticence à collaborer complètement avec certaines plateformes.

Le bilan chinois est-il crédible ? Pour Wuhan et pour le Hubei, il ne l'est pas, compte tenu du retard avec lequel certaines mesures ont été prises, compte tenu du fait que le système hospitalier et l'absence de médecine généraliste ont favorisé la propagation du virus, en période de panique sur le virus tout le monde s'est retrouvé dans les services d'urgence. Les autorités ne font pas d'efforts pour rendre le bilan crédible. Elles n'ont revalorisé le chiffre qu'une fois pour Wuhan et le Hubei, d'exactement 50 %, à l'unité près, ce qui est un hasard peu probable. La courbe pour le reste de la Chine est également beaucoup trop basse compte tenu des déplacements ayant eu lieu pendant la période du Nouvel An, le maire de Wuhan a lui-même déclaré qu'au moment du blocus cinq millions de personnes avaient déjà quitté la ville, c'est peut-être exagéré dans la mesure où l'an dernier ce nombre s'est élevé à trois millions, mais cela fait quand même beaucoup de monde. Le régime a donc très probablement minimisé le nombre de victimes. Nous ne connaissons pas l'ensemble des personnes ayant été contaminées, pas plus en Chine qu'ailleurs. Les tests ne sont pas fiables. C'est donc un point qui demeure.

À partir de mi-février est venue la phase de récupération, le gouvernement chinois ayant déclaré qu'il fallait reprendre la production. Certains secteurs comme la sidérurgie ont continué à produire pendant cette période. Par la suite, la reprise a été dépendante des transports et de la possibilité pour les gens de rejoindre leur lieu de travail, sachant qu'on a en Chine environ 300 millions de migrants et que beaucoup d'entre eux étaient partis de leur lieu de travail pendant la période de nouvel an et ont eu beaucoup de difficultés à revenir. L'on s'attendait à une reprise en « V », comme après le SRAS, mais ce fut plutôt une reprise en « U », plus lente et très différenciée : d'un côté, les entreprises d'État ont maintenu l'emploi et les salaires ; de l'autre, les entreprises privées, qui recourent massivement aux migrants, n'ont pas encore complètement repris. Les indices reçus ce matin montrent que la reprise se poursuit, mais les niveaux d'avant la crise du covid-19 n'ont pas été atteints, ni pour la production industrielle, ni pour l'économie des services.

En plus de ce choc d'offre, l'autre choc qui est survenu en mars est celui de la demande internationale, conséquemment à la crise en Europe et aux États-Unis, la croissance chinoise restant très dépendante de la croissance internationale. La Chine a pris des mesures de soutien assez classiques (dépenses d'infrastructure, légère baisse des conditions de crédits, bons du trésor spéciaux, acceptation d'un déficit plus grand, soutien à la reprise à hauteur de 575 milliards de dollars), mais la gestion économique de la crise est en réalité très conservatrice. La Chine est très endettée sur le plan régional et redoute une guerre financière avec les États-Unis. Les dépenses pour la reprise et l'acceptation du déficit sont beaucoup moins élevées qu'en 2008-2009. Les efforts de la Chine sont sans commune mesure avec ceux effectués par l'Europe et les États-Unis. La Chine en conséquence ne participe pas à ce qu'on pourrait appeler un plan de relance international de la demande.

Sur le plan politique, je ne partage pas le diagnostic fréquent selon lequel la crise aurait affaibli Xi Jinping. Il a pu apparaître sur la défensive dans un premier temps, notamment dans son discours de début février, où il a semblé se cacher un peu derrière ses collègues concernant la prise de décision en janvier, et la mort du premier lanceur d'alerte Li Wenliang a provoqué une véritable explosion sur les médias sociaux – des milliards de commentaires donc plus d'un par personne en Chine –, mais cette flambée n'a pas duré, et a été suivie par un autre narratif auquel les Chinois croient beaucoup, à savoir l'efficacité du gouvernement pour combattre la pandémie. Il restera beaucoup de doutes sur l'origine et les mensonges initiaux, beaucoup de scepticisme sur le bilan, mais il existe une relative adhésion de la population quant à l'efficacité du système. À mon sens, Xi Jinping et le Parti communiste s'en sont relativement bien sortis, ce qui explique le passage à l'offensive sur le plan international. Mis en cause sur l'origine de l'épidémie et l'absence de transparence, le régime a choisi d'attaquer, percevant des opportunités d'action avec ce qui se passait de négatif sur d'autres continents.

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