Intervention de François Godement

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 10h00
Commission des affaires étrangères

François Godement, conseiller Asie à l'Institut Montaigne :

Le discours chinois peut être analysé, il a sa cohérence, mais faut-il y croire ? Avec Xi Jinping, le double langage et le mensonge font partie intégrante de la diplomatie extérieure chinoise. C'est ce qui explique la dualité entre pays européens. L'ambassadeur en Suède, par exemple, déclare que la Chine « a des cadeaux pour ses partenaires et un fusil pour les autres ». En Italie, pays qui a signé le protocole des Nouvelles routes de la soie et n'en a tiré aucun avantage économique, l'ambassadeur corrige l'expression de loup guerrier pour parler d'une diplomatie « kung fu panda ». S'agissant de Hong Kong, la diplomatie chinoise réaffirme qu'elle applique le credo « un pays, deux systèmes », alors qu'elle vient de le déchirer. Le texte de la loi sur la sécurité nationale n'est pas encore connu, mais la décision d'établir les services de sécurité chinois directement à Hong Kong a déjà été prise. Il ne faut donc pas en rester à un discours.

Il en va de même avec le multilatéralisme, qui cache un bilatéralisme pratique. Jusqu'à aujourd'hui, la contribution chinoise à l'OMS était dérisoire, notamment par rapport à la contribution américaine ou à certaines contributions européennes comme celle de l'Allemagne. C'est par le biais politique qu'elle a gagné en influence, avec la constitution d'un front « du sud », anti-occidental et américain, ce que reflète l'actuel directeur général de l'OMS. Oui, l'OMS, comme beaucoup d'autres organisations internationales, a bien été sous influence chinoise. Elle agit aussi de façon bilatérale ce qui est très important. La Chine a annoncé 2 milliards de dollars pour des actions contre le covid-19, mais rien ne dit que cet argent passera par l'OMS. Le plus probable, comme on l'a vu pour Ebola, est que la Chine conserve sa propre diplomatie sanitaire en dehors de l'OMS. On pourrait faire la même remarque pour les nouvelles routes de la soie, toutes les organisations internationales, même celles qui n'ont aucun rapport avec les nouvelles routes de la soie, sont venues signer des déclarations à Pékin.

Pendant et après la crise, la Chine est passée de l'assertivité à l'agressivité dans plusieurs domaines. On a vu des tentatives de coups d'arrêt de navires américains. Depuis plusieurs semaines, des incidents frontaliers se produisent avec l'Inde, provoqués par la Chine. Cela va plus loin que par le passé car les soldats chinois sont plus nombreux et mieux équipés. L'Inde essaie de construire une route près de la frontière, et la Chine tente de l'empêcher.

S'agissant de la politique européenne par rapport à Hong Kong, il est difficile de répondre. Les dernières analyses réalisées en Chine sont optimistes et mettent en avant le pragmatisme des Européens. L'expert le plus connu des questions européennes affirme même que « l'Europe est impuissante, quelles que soient ses intentions ». La Chine voit donc en l'Europe un continent qui n'a pas les moyens de résister aux poussées chinoises. Cet avis me semble toutefois un peu optimiste d'un point de vue chinois. Il y aussi une différence d'approche entre le point de vue européen et le point de vue américain. Nous allons plus lentement, nous privilégions une doctrine dite de la riposte proportionnée qui nous empêche de taper du poing sur la table, et d'une certaine manière la méthode ferme paye au moins à court terme, même si on peut avoir des réserves sur l'après covid. Pour revenir sur nos différences essentielles, nous sommes capables de concevoir une diplomatie économique défensive, nous avons renforcé nos moyens de défense commerciaux, nous mettons en place lentement un mécanisme de filtrage des investissements commerciaux étrangers, là où les Américains vont beaucoup plus loin aujourd'hui. Le programme de M. Trump commence à ressembler à du déni technologique et économique ; il restreint les flux de technologies vers la Chine et veut mettre fin au projet chinois de prendre appui sur les technologies occidentales pour monter en gamme.

En ce qui concerne l'environnement, il existe en effet un paradoxe. La Chine est un exemple pour le développement technologique ou industriel de certains créneaux, mais elle n'a pas renoncé à la source numéro un de pollution au CO2, le charbon. Les Européens souhaitent que la Chine adopte des objectifs plus ambitieux en termes de CO2, ce que la Chine refuse. On a pu croire il y a un an ou deux à un infléchissement, mais la Chine le refuse et les négociations patinent, la Chine ne nous suit pas de ce point de vue-là. Sur ce point, je pense que la crise du covid-19 a un impact négatif.

La Chine est très forte. Si nous ne voulons pas de sacrifices économiques, c'est Hong Kong qui sera sacrifié. Il faut se souvenir que c'est par Hong Kong que passent les deux tiers des flux de capitaux chinois vers l'étranger.

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