Intervention de Alice Ekman

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Alice Ekman, analyste responsable de l'Asie à l'Institut d'Études de sécurité de l'Union européenne (EUISS) :

S'agissant du calendrier, il ne faut pas oublier une échéance importante, à savoir 2021, le centenaire du Parti communiste chinois. La Chine s'attachera à se présenter comme victorieuse face à la crise, même si la réalité est différente. Elle s'est fixé des objectifs chiffrés pour l'année 2035, avant les échéances 2049 de 2050, en tout cas le calendrier est toujours de très long terme. Son objectif est de parvenir au statut de numéro un, de s'y maintenir à long terme, et de dépasser les États-Unis dans tous les domaines.

En ce qui concerne la Russie, il faut noter qu'il n'y a pas eu de tensions majeures, alors que la fermeture des frontières aurait pu exaspérer Pékin. Quatre éléments indiquent que le rapprochement de la Chine et de la Russie a survécu à la crise du covid-19 : la convergence en termes de communication notamment sur les faiblesses de l'Europe et de l'Occident, et on voit la Chine s'inspirer des méthodes russes dans ce domaine ; la convergence technologique, comme vous le savez avant la crise pandémique un opérateur russe avait signé un accord avec Huawei sur la 5G, et on voit un renforcement de ce type de coopérations en ce moment ; la coordination institutionnelle, au sein des BRICS, de l'OCS qui est présidée par la Russie cette année ; l'accélération de la coopération énergétique et de la dépendance économique de la Russie vis-à-vis de la Chine. Plus généralement Chine et Russie partagent un ressentiment vis-à-vis du monde occidental et une volonté de restructuration.

De vives tensions frontalières s'observent entre la Chine et l'Inde, qui n'a pas apprécié les projets de la nouvelle route de la soie, laquelle va à l'encontre des intérêts indiens. La rivalité entre la Chine et l'Inde doit donc être prise en compte dans l'analyse des nouveaux rapports stratégiques mondiaux.

L'Europe reste un marché très important pour la Chine, qui dépend de la demande américaine et européenne. Au moment où la demande américaine se réduit pour des raisons conjoncturelles mais aussi structurelles, l'Europe et certains États membres ont réellement du poids face à la Chine. D'un point de vue stratégique et conceptuel, la Chine considère l'Europe comme « l'Occident utile », au sens où un rapprochement avec Bruxelles marginaliserait ou affaiblirait à terme la puissance américaine.

S'agissant de Hong Kong, il s'observe une tendance à l'internationalisation des tensions, notamment parce que les théories conspirationnistes selon lesquelles les mobilisations à Hong Kong seraient manipulées par des puissances extérieures sont très répandues. Ces tensions devraient se prolonger ces prochaines années. À l'inverse, je ne suis pas certaine que la situation soit la même pour Taïwan, en raison notamment de l'asymétrie en termes de présence militaire, mais aussi parce que Hong Kong constitue un contre-exemple pour les Taïwanais. Le fait même que Xi Jinping ait déjà avancé le « un pays deux systèmes » comme le futur de Taiwan incite certains Taiwanais à ériger Hong Kong en contre-exemple, et la question du calendrier de cette réunification affichée n'est pas claire du tout.

La nouvelle route de la soie est en effet un moyen de promouvoir le modèle chinois, mais aussi un moyen pour la Chine d'internationaliser ses projets. Il s'agit d'un concept extensible qui sert de plateforme de rassemblement. Il semble que la Chine utilise le label « nouvelle route de la soie » comme une carte de fidélité qui donne accès aux dirigeants chinois et à certaines technologies. Toutefois, il n'est pas exclu que suite à la crise du covid-19, certains pays se retirent de cette nouvelle route de la soie.

Il me semble que le niveau de tension qui règne aujourd'hui est identique à celui de la Guerre froide, même si nous ne sommes pas dans un système de blocs mais de pôles assez poreux. Cette porosité risque d'évoluer vers une bipolarisation de la mondialisation.

Il me semble nécessaire à l'Union européenne de proposer rapidement des initiatives et une stratégie lui permettant de se positionner comme un pôle autonome, et qui puisse proposer une offre technologique au-delà de l'Union européenne. Il est important de réfléchir à la dimension technologique dans toute sa complexité, y compris dans sa dimension sécurité.

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