. Madame la présidente, c'est un plaisir et un honneur d'être avec vous et j'espère pouvoir vous rendre visite et maintenir ce genre de discussions et de débats entre nos deux pays amis. Je vous remercie vraiment pour l'opportunité qui m'est offerte de m'adresser aux éminents membres de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Nous avions convenu, lors de ma dernière visite à Paris, d'organiser une telle rencontre. Compte tenu du contexte actuel, nous devons faire de la « diplomatie à distance », ce qui est effectivement mieux que rien.
Mon propos s'articulera autour de trois axes et je serai plus qu'heureux de répondre à toutes vos questions. Nous vivons tous la tragédie de la pandémie qui a de nombreuses répercussions humanitaires et sociales, à moyen et long terme, à l'échelle globale. Nous avons réussi, au Liban, la première étape de la lutte contre le coronavirus malgré le peu de moyens dont nous disposions pour y répondre. La crise sanitaire qui s'est ajoutée à la crise financière a fini par saigner notre système de santé ainsi que nos structures de protection sociale. Malgré tout cela, nous avons pu réussir le pari de contenir les conséquences de la première vague, qui je l'espère, ne sera pas suivie d'une autre vague. Nous avons été présents pour aider et accompagner les rapatriés à rentrer au Liban, pour aider les déplacés syriens qui sont un peu plus d'un million. Ce grand défi touche tout le monde, le Liban, les pays voisins, les pays amis et le monde entier.
Concernant la situation financière, nous avons pris la décision le 7 mars de suspendre le remboursement des bons du trésor émis en euros et, comme vous le savez, nous avons un cumul de dette qui atteint les 90 milliards de dollars américains, soit environ 170 % du produit intérieur brut (PIB). C'est énorme, c'est terrible, c'est dramatique, nous avons pu voir l'affaiblissement de la classe moyenne qui a pris, depuis un certain temps déjà, le « descenseur social ». Nous avons un problème dû à notre modèle économique, à sa structure, auquel il nous faut répondre.
Nous avons pris le chemin du recours au FMI, nous avançons sur ce chemin, il y a quelques éléments positifs. Le premier c'est la qualité du diagnostic de la situation financière. Si nous n'arrivons pas à avoir le même diagnostic, nous ne pourrons pas avancer. Le deuxième point, c'est l'évaluation précise des pertes qui s'élèvent à environ 63 milliards de dollars américains. Enfin, nous nous insérons dans une logique réaliste, dans une perspective autocritique afin d'établir une stratégie de sortie de crise.
La situation financière, qui est due à une crise structurelle, perdure depuis des années. À celle‑ci s'ajoute désormais la crise sanitaire mondiale, ce qui est catastrophique. Nous prévoyons, cette année, une contraction du PIB de l'ordre de 15 % environ – ce chiffre pourrait être légèrement revu à la hausse – et nous comptons beaucoup sur nos amis français pour nous accompagner dans nos efforts. C'est notre responsabilité première. Je ne mets pas cela sur le dos des pays amis – la France et d'autres – et des organisations internationales et régionale. Mais nous demandons l'aide, l'appui, l'encouragement et le dialogue avec les pays amis. Nous comptons beaucoup sur la France pour relayer ce message après des instances européennes et pour obtenir l'appui de Bruxelles dans ce domaine. Nous sommes ouverts s'agissant du plan de redressement que nous avons adopté. Ce n'est pas un livre sacré, nous demandons d'ailleurs un dialogue avec les pays amis et les pays partenaires ainsi qu'avec la société civile. Je rencontre régulièrement de jeunes et de moins jeunes représentants de la société civile. Nous voulons ce double dialogue avec les pays amis et les instances internationales et régionales d'une part mais aussi avec les représentants de la société civile d'autre part.
Vous le savez, le taux de chômage est très élevé au Liban, comme je l'ai indiqué précédemment : la classe moyenne s'affaiblit actuellement au Liban. De 48 à 50 % de la population devrait passer, d'ici à la fin de l'année, en-dessous du seuil de pauvreté. Le premier combat que le gouvernement a entamé a consisté à s'attaquer à ce problème. Nous avons besoin d'un filet de sécurité sociale. Nous essayons de distribuer un peu d'argent ou de l'aide alimentaire à ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons aussi engagé des réformes. Certains peuvent ressentir une certaine frustration, estimant que cela ne va pas assez vite, nous-mêmes nous le ressentons, mais les facteurs et les paramètres sont nombreux et pèsent sur l'avancée de ce processus. En tous les cas, je peux vous l'assurer, nous sommes engagés sur cette voie. Nous savons qu'il n'y aura pas de sortie de la crise, sans grandes réformes, notamment des réformes structurelles dans tous les secteurs. Ces réformes doivent être menées dans le cadre d'un dialogue, que nous souhaitons approfondir et élargir avec tous les acteurs de la société civile, toutes les forces politiques concernées et avec tous nos amis à l'étranger.
Ces réformes concernent bien entendu le secteur de l'administration, le secteur de l'énergie et celui de l'électricité. Tous ces secteurs seront pris en considération. Comme indiqué, nous comptons beaucoup sur nos amis dans le cadre de CEDRE ou dans le cadre du groupe international de soutien au Liban. Quand je dis « nous venir en aide », cela signifie dialoguer avec nous. Ce dialogue nous l'avons déjà entamé avec les ministres des pays concernés.
La question la plus importante est celle du filet de protection sociale. La situation est devenue particulièrement difficile avec la crise sanitaire, notamment pour les plus démunis, pour ceux qui avaient pris le « descenseur social » et pour les personnes travaillant dans le secteur privé, même si nous sommes actuellement en train de permettre les réouvertures. J'ouvre une parenthèse au sujet de l'éducation : quand on voit l'état des écoles libanaises, notamment les écoles privées, on note qu'il n'y a plus de paiement et on sait que cela pèsera lourd pour la qualité de l'éducation, qui constituait pourtant une carte majeure pour l'évolution du pays. Comme vous le disiez en introduction, cette crise survient à un moment où nous vivons d'autres problèmes d'ordre géopolitique. Nous sommes au carrefour d'une région qui connaît de grandes tensions.
Nous vivons ce que j'ai toujours appelé, bien avant d'être ministre, les « trois axes de conflits » qui se complètent et qui se renforcent au Moyen‑Orient : une guerre civile régionale, des guerres par procuration et des guerres civiles aidées ou non de l'extérieur. Il y a une certaine interdépendance entre ces conflits, si ce n'est pas par la causalité, c'est par les relations et les configurations des puissances autour de ces conflits. Ce qui rend la situation très complexe et qui pèse in fine très lourdement sur le Liban. Le pays a toujours été le plus influencé des pays de la région en raison de sa structure sociétale et de sa géopolitique. Nous avons donc un grand intérêt à maintenir cette politique de distanciation à laquelle nous tenons beaucoup. Certains la qualifient de « neutralité positive ». Il nous faut prendre en considération les réalités qui existent autour de nous. Notre intérêt est toujours d'avoir une approche pacifique, globale au règlement de tous les conflits de la région.
Pour ce qui est de la Syrie, nous tenons et nous avons toujours tenu le même discours : il n'y a pas de solution militaire à la tragédie et au conflit à visages multiples qui se passe en Syrie. La seule possibilité est un règlement pacifique et politique inclusif – j'insiste sur ce dernier terme – réalisé par les Syriens avec un accompagnement de la communauté internationale.
S'agissant du conflit israélo-arabe, nous sommes très inquiets concernant la décision israélienne d'annexion d'une partie de la Cisjordanie du côté de la vallée du Jourdain qui est d'une importance non pas seulement stratégique mais également économique, agricole. Mais aussi, par principe, car, avant tout, l'annexion porterait atteinte au droit international, aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies. Cela créera beaucoup plus de tensions et de problèmes dans la région et cela peut avoir des répercussions énormes dans toute la région au moment nous avons besoin de garder le calme et de promouvoir une approche coopérative. Je dis toujours que la voie de sortie de tous ces conflits, c'est de faire respecter et de respecter le droit international, les résolutions pertinentes de l'Organisation des Nations unies (ONU), qu'elles soient le fait du Conseil de sécurité ou de l'Assemblée générale, mais surtout de poursuivre – et là je parle d'autres conflits – une politique d'engagement plutôt qu'une politique de confrontation pour essayer de trouver une solution politique et pacifique à ces problèmes en général.
S'agissant de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), nous tenons à rappeler notre attachement inconditionnel, clair et direct au rôle de la FINUL au Liban du Sud, que nous apprécions beaucoup. Il y a une très grande coopération et coordination entre les Forces armées libanaises et la FINUL. Nous sommes à la veille de la reconduction du mandat de la FINUL, qui se déroule en temps normal entre la fin‑juillet et la fin‑août. Nous veillons à ce qu'il n'y ait pas de changement dans son mandat ni dans sa structure de forces, toute remise en cause reviendrait à envoyer un message négatif. Je salue particulièrement ici le rôle de la France qui appuie de manière directe, forte, puissante, le maintien du mandat et de la force de la FINUL. Je tiens à rappeler notre engagement total à l'application intégrale de la résolution 1701 du Conseil de sécurité. Nous souhaitons vraiment tourner la page. C'est pourquoi je rappelle que, lorsque l'on parle du conflit israélo-arabe, il a des répercussions dramatiques sur mon pays et sur les autres pays de la région. Nous tenons toujours à l'initiative de paix arabe de 2002 adoptée au sommet arabe de Beyrouth, qui présente une approche globale pour tourner la page et écrire une nouvelle page de coopération et de paix dans la région.