Intervention de Olivier Dabène

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI :

Pour compléter les propos déjà détaillés et précis de mes collègues, je dirais que cette crise, vous l'avez souligné vous-même madame la présidente, est une crise qui est très politique. Bien sûr, nous pouvons évoquer la dimension sanitaire, la dimension humaine, parce que cette crise va évidemment se traduire par des conséquences sociales qui vont faire reculer l'Amérique latine de dix ou quinze ans en arrière. La problématique des inégalités, comme l'a souligné Deisy Ventura, est évidemment au centre de cette crise, mais de mon côté, je voudrais souligner les dimensions plus politiques, parce qu'il y a quand même une très grande variété à l'intérieur de l'Amérique latine. Il y a des différences énormes entre les pays qui sont les plus affectés, et ceux qui le sont beaucoup moins.

D'ailleurs, nous parlons de l'Amérique latine comme étant l'épicentre de la crise sanitaire mondiale aujourd'hui, mais il faut garder à l'esprit que, si on regarde le compteur du nombre de morts par million d'habitants, les pays les plus affectés en Amérique latine, le Pérou et le Brésil affichent des indicateurs qui sont autour de 250 ou 300. Nous sommes quand même à la moitié de ce que nous avons connu en Europe, voir même à un tiers de ce qu'a connu la seule Belgique, qui détient ce funeste record mondial du nombre de morts par million d'habitants. Donc n'exagérons pas, même si la crise n'est pas du tout terminée en Amérique latine et qu'il est probable que certains pays d'Amérique latine rattrapent, d'une certaine façon, l'Europe.

Mais il y a quand même une différence énorme entre d'un côté le Brésil, le Pérou, l'Équateur, le Chili, qui sont les pays les plus affectés, par million d'habitants, et à l'autre extrême des pays qui sont très peu affectés comme l'Uruguay, peut-être le Costa Rica. On a tout de suite envie de dire : « Ce sont les pays les plus démocratiques de la région, donc ils ont aussi des systèmes de santé qui sont plus solides. » Mais pour d'autres pays, ces explications ne fonctionnent pas, comme avec le Venezuela et Cuba.

On ne peut que constater l'existence de beaucoup d'anomalies dans cette crise, si l'on recherche des facteurs explicatifs robustes et si l'on est tenté de regarder du côté des indicateurs socio-économiques ou politiques. Par exemple, une des façons d'établir des différences dans les performances des pays en matière de résistance à la crise, c'est de regarder ce que l'on appelle, en sciences politiques, l'indice d'efficacité gouvernementale, en empruntant d'ailleurs des données qui sont produites par la Banque mondiale. C'est-à-dire, est-ce que les pays sont en mesure de mettre en œuvre des politiques grâce à un appareillage administratif ?

Le Pérou est un cas emblématique de ce paradoxe et de la difficulté à trouver des facteurs explicatifs. Voilà un pays qui pendant les vingt dernières années a connu une trajectoire de croissance économique impressionnante, ce qui lui a permis de se constituer des réserves souveraines. Le pays est aujourd'hui en mesure d'utiliser ces réserves pour combattre le virus et ses effets. Et par ailleurs, c'est un pays qui a suivi à la lettre les recommandations de l'OMS, c'est-à-dire la quarantaine, le confinement généralisé, très tôt dans la crise, je crois après neuf morts. Malgré les réserves qui permettent de financer la relance et malgré ce bon suivi des recommandations de l'OMS, c'est aujourd'hui une catastrophe.

On a tendance à se dire qu'il y a de telles inégalités dans le pays qu'il est très difficile de mettre en œuvre une politique de contrôle quand les gens ne peuvent pas rester confinés, pour les raisons que Deisy Ventura évoquait tout à l'heure. Mais il y a d'autres critères. Si nous prenons le Chili, c'est de très loin le pays qui a la plus haute efficacité gouvernementale selon de nombreux indicateurs qui mesurent l'efficacité des États. Le Chili est loin devant, et pourtant c'est un des pays qui est aujourd'hui le plus frappé. Donc il faut admettre une certaine difficulté aujourd'hui dans la recherche, mais la recherche est en cours.

Le réflexe premier consiste à penser, en substance, que c'est simple, que ce sont des pays qui ont copié la recette qui était appliquée en Europe quelques semaines avant, mais qu'ils sont incapables de la mettre en œuvre car les États sont faibles et n'ont pas les capacités. Mais il y a trop d'exceptions. Et je me suis amusé à faire une courbe, hier, qui croise le nombre de morts et l'efficacité gouvernementale, et c'est une corrélation qui est faible, et surtout c'est une corrélation qui est positive. Alors là, nous ne comprenons plus rien. C'est-à-dire : plus il y a d'efficacité gouvernementale en Amérique latine, plus il y a de morts.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.