Intervention de Olivier Dabène

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI :

Vous prêchez un convaincu depuis des décennies. Et si l'on devait d'ailleurs pointer quelque chose qui marche dans la coopération entre la France et l'Amérique latine, Deisy Ventura et Damien Larrouqué en sont la preuve. Damien Larrouqué est un jeune chercheur français en poste au Chili et Deisy Ventura est une chercheuse brésilienne qui a séjourné en France et soutenue sa thèse à l'université Paris-Sorbonne. La coopération universitaire fait partie des thématiques qui sont plutôt en bonne santé. On peut toujours faire beaucoup plus mais c'est déjà pas mal. Mais pour le reste, si vous prenez une initiative de diplomatie parlementaire, vous pouvez compter sur nous.

Je vais développer les dimensions internationales et cette impossibilité des pays de l'Amérique latine à travailler ensemble.

Deisy Ventura a justement souligné un déficit tragique de leadership dans la région, aux États-Unis, mais aussi en Amérique du Sud. Il n'y a absolument aucun leadership. Il y a un leadership naturel dans la région, qui est évidemment celui du Brésil, et, mais cela n'est pas forcément toujours une bonne nouvelle, celui des États-Unis. Mais aujourd'hui, ni l'un ni l'autre, comme aucun autre pays, n'est capable de prendre des initiatives.

Il y a des tentatives de la part de puissances que je qualifierais, sans les insulter, de « moyennes », c'est-à-dire la Colombie et le Chili, qui ont par exemple lancé l'année dernière une alternative à l'Union des Nations sud-américaines (UNASUR), jugée beaucoup trop à gauche. Ils ont lancé un forum pour le développement, appelé PROSUR, pour discuter. Mais ce n'est pas l'équivalent de ce qu'était auparavant l'UNASUR. L'UNASUR avait été aussi très innovante en faisant de la santé une de ses priorités. Et c'est vraiment une histoire qui est triste et qui est très ironique que d'avoir vu l'UNASUR abandonner toute ambition en la matière et même être abandonnée par ses États membres.

Aujourd'hui, c'est un désert complet en matière de multilatéralisme en Amérique latine. Le multilatéralisme fonctionne par cycle dans la région. Quand tout va mal, c'est à ce moment-là que certains pays se rendent compte que l'absence totale de coopération est finalement nuisible. Un sommet latino-américain n'est pas improbable avant la fin de l'année. Le Mexique assure la présidence de la CELAC et a potentiellement un leadership, que l'on attend toutefois depuis des années. Le paysage n'est pas aussi catastrophique que cela. Je suis toujours assez optimiste dans le fond.

Je veux aussi répondre à la question sur les traités de libre-échange. Effectivement, il y a eu une négociation très longue, qui a duré vingt ans, entre le Mercosur et l'Union européenne. Les évolutions de cette négociation, dans les dernières années, ont placé à l'agenda des préoccupations communes qui ont été abordées dans l'accord de Paris lors de la COP21. Mais ce sont surtout des questions liées à l'environnement, et donc aujourd'hui cette ratification du traité avec le Mercosur est fortement compromise, étant donné l'attitude du Brésil qui aujourd'hui ne tient pas compte de ses engagements au titre de l'accord de Paris. Le Brésil conduit une politique qui a un coût environnemental qui est considéré comme incompatible avec ce qui est écrit dans le traité Union européenne-Mercosur.

Là aussi, le multilatéralisme interrégional Europe-Amérique latine est en mauvaise posture. Nous, Français, sommes perçus, à tort ou à raison, comme étant en partie responsables de ces problèmes. Pendant longtemps, l'Amérique du Sud nous a perçus comme un pays protectionniste, qui mettait en avant des questions de respect de l'environnement pour masquer des intérêts économiques et la défense du secteur agricole français. Aujourd'hui, depuis l'accord de Paris et l'entrée en fonction du Président Macron, on nous voit aussi comme un obstacle à la conclusion de cet accord, toujours pour les mêmes motifs : une défense de nos intérêts et un protectionnisme masqué. La période est donc difficile pour nous Français, et même pour nous Européens, parce qu'il y a, et cela fait deux décennies que cela dure, cet accord entre l'Union européenne et le Mercosur qui fait l'objet de beaucoup de litiges, beaucoup de malentendus et qui complique singulièrement les relations.

Je crois qu'il y a un niveau peut-être plus modeste sur lequel nous pouvons travailler. C'est le niveau de la coopération avec des pays en particulier ou des soutiens à des organisations de la société civile. Par exemple, je travaille assez régulièrement avec la Commission européenne, et je sais qu'elle suit une stratégie qui consiste à cibler la coopération à défaut de pouvoir passer par le haut avec des sommets présidentiels et des grands accords. Elle dispose de moyens qui ne sont pas négligeables pour faire passer cette idée que l'Europe est une puissance normative, que nous avons des valeurs, et qu'il faut les respecter dans les relations internationales. Mais on peut le faire de façon peut-être plus modeste, plus ciblée.

Je faisais allusion à la diplomatie parlementaire il y a un instant. Il se trouve que la diplomatie parlementaire en Amérique latine a réussi à faire quelque chose ces derniers mois que n'ont pas réussi à faire les chefs d'État. C'est-à-dire organiser un sommet régional avec les présidents des parlements de tous les pays, y compris les pays qui sont considérés aujourd'hui comme peu fréquentables, comme par exemple le Venezuela. Toute initiative en Amérique latine qui vise à construire une réponse régionale à des problèmes communs comme la santé publique se heurte à cette fin de non-recevoir : les pays ne veulent pas inviter le Venezuela. On n'avancera pas en Amérique du Sud tant que l'on n'invitera pas le Venezuela. Il y a un nœud ici qu'il faut défaire.

L'Amérique latine savait le faire dans les années 1980-1990. Il y avait beaucoup de disparités, de rivalités politiques dans la région. Mais il y avait cette capacité à asseoir autour d'une table des gens qui par ailleurs ne pouvaient pas se parler et entretenaient des relations exécrables. Il y avait cette capacité, parce qu'il y avait du leadership. Cette capacité-là, l'Amérique latine l'a perdue aujourd'hui. Du point de vue de la défense ou de la santé publique, cela constitue aujourd'hui un obstacle. Il faudrait que quelques pays prennent des initiatives. Le seul qui soit en mesure de le faire aujourd'hui, c'est le Mexique, en coordination avec l'Argentine. Je pense que cela pourrait peut-être se faire en 2020, mais ce n'est pas clair.

Pour le reste, je n'ai pas plus de données très précises à mettre à votre disposition concernant les féminicides. J'ai vu passer des rapports en faisant état. Plus généralement, il y a un rapport qui vient d'être publiée par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) sur les violations des droits de l'homme en général. Mais nous n'avons pas, à l'échelle du continent, des chiffres très précis concernant des féminicides.

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