Intervention de Olivier Dabène

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Olivier Dabène, président de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes du CERI :

Il y a depuis quelques années, et même depuis quelques décennies, une importance croissante de la Chine dans l'économie de l'Amérique latine. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de nombreux pays d'Amérique latine et le premier investisseur. Damien Larrouqué l'a dit tout à l'heure : « Quand la Chine tousse l'Amérique latine s'enrhume. » L'Amérique latine est devenue dépendante du taux de croissance chinois. Les cycles économiques de l'Amérique latine sont des cycles au cours desquels nous voyons la Chine acheter massivement des matières premières latino-américaine et l'Amérique latine acheter massivement des produits à faible valeur ajoutée, notamment en termes de technologie, élaborés en Chine.

Il y a une dépendance à la Chine qui est indiscutable. C'est vrai que cette crise a touché l'Amérique latine au moment où la croissance chinoise était en train de ralentir. Et donc, les taux de croissance en Amérique latine s'étaient renversés. Cette nouvelle dépendance est accompagnée d'une désindustrialisation. L'Amérique latine ne vend pas seulement ses matières premières, elle achète aussi des produits industrialisés qui ruinent son tissu industriel fragile. La Chine a renvoyé les pays d'Amérique latine, y compris un pays semi-industrialisé comme le Brésil, au XIXe siècle, c'est-à-dire à une époque où l'Amérique latine était complétement dépendante de ses exportations de matières premières pour assurer sa croissance économique. Il y a des pays où c'est dévastateur. La re-primarisation de l'économie et la désindustrialisation en Argentine est assez catastrophique, par exemple. Même chez les bons élèves, comme le Chili ou le Pérou, la croissance économique repose sur très peu de produits, en direction de très peu de marchés, principalement la Chine. Cela place l'Amérique latine dans une situation inconfortable et, dans le cadre de cette crise, dans une dépendance, notamment par rapport aux masques et aux matériels importés de Chine.

Sur la collaboration entre les pays d'Amérique du Sud, Deisy Ventura pourra peut-être dire un mot sur le Mercosur. Mais parmi les accords régionaux, si on devait citer une sous-région qui a pris des initiatives, c'est l'Amérique centrale. L'Amérique centrale a développé une dynamique d'intégration régionale qui est assez remarquable, pour des petits pays pauvres, et cette dynamique aurait pu aller bien plus loin s'il n'y avait pas le Nicaragua. Il y a une assez bonne entente entre les pays, sauf du côté du Nicaragua qui est dans le déni de la maladie avec un Président qui n'a pris strictement aucune décision concernant ce virus, et qui par conséquent menace les pays voisins. Mais il y a quand même des sommets centre-américains et on voit même Daniel Ortega discuter avec ses voisins. Au moins, en Amérique centrale, il y a cette capacité à discuter, même s'ils ne sont pas du tout sur la même longueur d'onde et qu'il y a des tensions dans la région. Ces tensions ont été pointées par plusieurs rapports internationaux parce qu'il y a des problèmes aux frontières un peu partout.

Une autre question que pose cette crise est intéressante à observer : dans quelle mesure aiguise-t-elle des tensions, parfois préexistantes, comme le long de la frontière entre le Venezuela et la Colombie ? Il faut rappeler que la maladie a frappé l'Amérique latine à un moment où elle traversait deux crises migratoires majeures : les Vénézuéliens qui quittaient leur pays et les Centres-Américains qui, par caravanes entières, se dirigeaient vers les États-Unis. Évidemment, au milieu de tout cela, la covid-19 n'a pas arrangé les choses.

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