Intervention de Didier Quentin

Réunion du mercredi 1er juillet 2020 à 9h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin :

. Je voudrais remercier tous mes collègues pour leurs interventions.

Je m'adresserai, en particulier, à Sébastien Nadot. Nous allons avoir l'occasion de revenir sur la question qu'il soulève cet après-midi. Il nous a envoyé sa lettre ouverte au Président de la République du Cameroun. Nous sommes bien conscients de son combat de ces derniers mois pour essayer d'obtenir la libération d'un certain nombre de détenus ou pour avoir des explications sur le sort subi par certains autres. Je dois dire à Sébastien Nadot qu'il est de loin le parlementaire français le plus connu au Cameroun. On nous a beaucoup parlé de toutes ses initiatives. C'est une œuvre de longue haleine. Je me souviens avoir fait, avec lui, un rapport il y a deux ans sur la refondation démocratique de l'Union européenne. Nous nous étions aperçu que c'était un vaste programme. Les procédures de démocratisation en Afrique, notamment les problèmes de successions, sont des problèmes que l'on connaît aussi en Europe. Néanmoins, je crois qu'il faut revenir sur les progrès qui ont été faits ces derniers mois. Je redonne la chronologie des événements. En février, au moins vingt-trois civils ont été massacrés lors d'une opération militaire à Ngarbuh dans l'Ouest anglophone, selon l'ONU et les ONG. Pendant presque deux mois, l'armée camerounaise a nié et s'est contentée d'évoquer un malheureux accident dû à l'explosion de citernes de gaz. Sous la pression des ONG, de l'ONU, de Washington mais surtout de Paris, notamment à la suite de l'entretien entre le Président Macron et le Président Biya le 1er mars, le Président Biya a annoncé l'ouverture d'une enquête. Deux mois plus tard, la présidence camerounaise a admis que dix enfants et trois femmes avaient été tués par des soldats incontrôlés qui avaient maquillé leurs crimes et falsifié leur rapport. Trois soldats ont été arrêtés et inculpés d'assassinat. Certains ont trouvé que c'était un petit pas dans la bonne direction mais que seuls des lampistes avaient été arrêtés et qu'aucun officier n'était dans le collimateur, encore moins l'institution militaire.

Néanmoins, les Nations unies ont salué une étape positive. Elles exigent cependant que tous les responsables de la tuerie soient jugés. Mme Ngo Mbe, la directrice du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale, a noté elle-même que les condamnations sont de plus en plus nombreuses mais elles tardent à produire l'effet escompté, c'est-à-dire la construction d'un véritable État de droit. C'est évidemment une entreprise de longue haleine. Néanmoins, cette évolution me semble devoir être notée. Je ne dirais pas qu'elle est due à nos interventions mais on y a peut-être joué un tout petit rôle car nous avons eu des contacts extrêmement larges. Nous avons notamment eu, dans la ville de Buéa qui était un des lieux où il y avait le plus de tensions avec les opérations de « ville fantôme », des entretiens qui ont duré très longtemps et où tout a été dit. Le dernier jour, à l'ambassade de France, il y avait des représentants de tous les partis et des journalistes rien moins que complaisants à l'égard du pouvoir. Ils étaient même virulents et agressifs. Il y a donc un embryon de démocratisation, même si c'est, je le répète, une œuvre de longue haleine. Quant aux successions, je vais reprendre une formule familière : « On sait ce que l'on perd mais on ne sait pas forcément ce que l'on récupère. » C'est un vrai problème.

Pour le reste, le Cameroun est un pays avec une économie assez dynamique. Je voyais des prévisions avec des analyses de Standard and Poor's. La croissance du PIB se stabilisera dans les années à venir à environ 4 % par an, avec un faible déficit budgétaire et peu de risques de dérapages. Certes, la décision prise par le Président des États-Unis de ne plus faire profiter le Cameroun des clauses de l'AGOA (African Growth and Opportunity Act) a été un coup dur pour le pays. C'est une loi sur le développement et les opportunités africaines qui permet d'exporter sur le marché américain sans droits de douanes. L'agence Moody's conclut que le pays est à même de résister en cas de fort ralentissement mondial. Selon cette agence d'analyse financière, cette résilience est à chercher dans la capacité des autorités à réduire les dépenses publiques lorsque la nécessité s'en fait sentir. Il y a donc un certain art de la flexibilité et de la résilience.

Concernant les intérêts français, il y a de grands groupes qui sont là-bas. Le premier contribuable au Cameroun est une entreprise française : la Société Anonyme des Brasseries du Cameroun (SABC). Elle est la source de 15 000 emplois directs et de 35 000 emplois indirects, même si elle a actuellement quelques problèmes. Il y a d'autres entreprises françaises présentes comme Michelin. Cette dernière envisageait un moment de quitter le pays mais ne l'a finalement pas fait. La seule grosse entreprise française qui a quitté le pays est l'entreprise Rougier qui est spécialisée dans le bois transformé. La filiale de Lafarge continue ses activités même si elle est concurrencée par des entreprises nigérianes, marocaines et turques. Il y a aussi Bolloré avec un contentieux en voie de règlement. En effet, Bolloré a été évincé du terminal à conteneurs de Douala. Il y a donc quelques tensions mais nous avons compris qu'elles étaient plutôt en voie d'apaisement.

Pour le reste, je reviens à l'intervention de Sébastien Nadot qui nous a fait parvenir sa lettre ouverte au Président de la République du Cameroun, Paul Biya. Nous aurons l'occasion de reposer la question cet après-midi au ministre des affaires étrangères pour essayer d'obtenir la libération de M. Amadou Vamoulké, l'ancien directeur de la télévision nationale du Cameroun qui a soixante-dix ans et une santé délicate. Nous continuons ce combat. Je ne crois pas que nous ayons été les porte-paroles du Quai d'Orsay. Nos propos ont été tout à fait libres. La diplomatie parlementaire peut venir en appui et aller plus loin que ce que peut faire la diplomatie officielle. Elle peut ouvrir canaux et des pistes qui ne sont pas explorés par la diplomatie officielle. Le Quai d'Orsay avait fait un point sur la rencontre entre notre ambassadeur et le Président Biya autour de la crise de la covid. Le Cameroun est un des pays les plus touchés même si le nombre de morts est assez limité. La crise est quand même ressentie aussi.

Alain David avait posé une question sur les forces armées. Nous avions appris que l'unité d'élite de l'armée camerounaise est essentiellement formée et encadrée par des Israéliens. Nous n'avons pas vu de présence visible de l'armée française dans le pays. En revanche, on y voit beaucoup de militaires.

L'enquête qui a eu lieu après l'intervention du Président Macron relative au massacre de Ngarbuh a conduit à certaines conclusions qui ont mis en cause les forces armées. Il y eu un certains nombres d'arrestations et d'inculpations. Il y a, semble-t-il, une amélioration. Je vois, dans les dernières dépêches, qu'il y a un retour progressif à la normal dans la ville de Buéa où nous nous sommes rendues à l'ouest de Douala. C'était la « capitale » du Sud-Ouest. L'activité reprend alors que, pendant longtemps c'était une ville fantôme. En revanche, Bamenda est toujours une ville morte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.