Vous avez évoqué de nombreux sujets, monsieur le président.
Dans mon propos liminaire, je tenterai de vous présenter ce que pourrait être la contribution de la France à la revue de la politique commerciale européenne. Ce point est sensible. Comme vous l'avez précisé, j'aurai la chance de participer au premier conseil des ministres du commerce lundi prochain à Berlin. Le sujet sera bien évidemment évoqué.
La transparence et le dialogue sont essentiels pour guider l'action du gouvernement, notamment en matière de commerce extérieur. En tant que ministre délégué, j'aurai à cœur de nouer la relation la plus fluide possible avec les parlementaires et les commissions directement concernées, à commencer par la nôtre.
J'ai pris connaissance du courrier que vous m'avez adressé au sujet du CETA. Une réponse écrite vous sera adressée très prochainement. J'ai également pris connaissance de la synthèse du groupe de travail sur l'action économique extérieure de la France et des 31 propositions qu'il a formulées à la suite de la pandémie. Cher président, monsieur le député Cordier, je tiens à saluer ce travail de grande qualité. Je poursuivrai les efforts engagés par Jean-Baptiste Lemoyne, précédemment en charge de ces questions, afin de vous associer toujours davantage à l'élaboration de la position française au conseil des ministres du commerce. Cela me paraît d'autant plus important que nous allons au-devant d'une échéance cruciale qui est la présidence française de l'Union européenne en 2022. Elle sera l'opportunité de donner davantage de poids aux propositions que nous portons pour l'Europe, notamment en matière commerciale. Je suis convaincu que le meilleur moyen de préparer la présidence française est d'arriver en position de force. Nous n'y parviendrons que si le gouvernement a mené ce travail préparatoire avec le parlement. Les engagements qui ont été pris devant vous seront respectés et j'en serai personnellement le garant.
L'actualité est très intense en ce moment sur le plan commercial. Nous observons tout d'abord les derniers développements des relations entre les États-Unis et l'Union européenne. Plus récemment, durant un sommet entre l'Union européenne et la Chine, nous avons pu signer l'accord de protection des indications géographiques agréées lors de la visite du Président de la République à Shanghai en novembre dernier. Avec le Royaume-Uni, les négociations évoluent pratiquement de façon quotidienne. La position du gouvernement français est claire et elle tient en trois mots : pacta sunt servanda. Un accord de retrait a été négocié, conclu et signé. Il doit maintenant être respecté par les deux parties. C'est la condition sine qua non de toute négociation ultérieure avec le Royaume-Uni. Nous avons tous intérêt à ce que la relation future soit la moins distendue possible, mais comme l'a réaffirmé Michel Barnier, notre négociateur européen, nous ne transigerons pas avec l'application pleine et entière de l'accord de retrait. La réciprocité et la confiance ne sont pas une option.
Le processus de désignation du nouveau directeur général de l'OMC suit son cours. Nous attendrons de la personne qui reprendra cette fonction importante qu'elle puisse mettre son poids politique et son expérience multilatérale au service de la réforme d'organisation.
Nous observons un regain de tension sur le marché de l'acier. Comme vous le savez, ce marché souffre d'un déséquilibre de fond, notamment imputable aux surcapacités de la Chine, qui les a constituées en subventionnant massivement son industrie sidérurgique. C'est dans ce cadre que se déploient les tensions entre l'Union européenne et les États-Unis depuis deux ans. Pour rappel, en 2018, les États-Unis ont décidé unilatéralement d'appliquer des droits de douane de 25 % sur l'acier en provenance de l'Union européenne et d'autres pays. Cette décision, unanimement critiquée, a conduit l'Union européenne à mettre en œuvre des mesures de rétorsion sur un planning d'exportations américaines. Avec nos partenaires du G20, nous avons tenté d'apporter une solution multilatérale à la question. C'est l'objet du forum mondial sur la surcapacité de production d'acier. La Chine s'en est retirée l'an dernier, ce qui affaiblit bien évidemment la portée de nos discussions.
De nouveaux contentieux antidumping sont en cours. Ils seront discutés durant la réunion informelle des ministres du commerce, en présence du vice-président Valdis Dombrovskis et du commissaire Thierry Breton. Je pourrai revenir sur ces points à l'occasion de vos questions.
Je propose à présent de vous présenter les premières orientations pour la révision stratégique de la politique commerciale de l'Union européenne. Comme vous le savez, le commissaire au commerce, Phil Hogan, a démissionné. Le vice-président Dombrovskis est appelé à reprendre son portefeuille sous réserve de confirmation du Parlement européen. Je le rencontrerai dès demain à Bruxelles. Cette évolution a conduit la Commission européenne à décaler de deux mois la revue de politique commerciale. Le réexamen anticipé de la stratégie de 2015 répond au besoin d'agir rapidement dans le sillage de la crise sanitaire et économique suivant trois objectifs principaux. Le premier est de tirer les leçons de la crise et de réparer les vulnérabilités mises en lumière sur nos chaînes de valeur et d'approvisionnement. Le deuxième est de faire de la politique commerciale commune un véritable support de la relance économique. Le troisième est de mettre la stratégie commerciale européenne en capacité de répondre aux grands défis du monde d'aujourd'hui et de demain, notamment en matière de développement durable et de numérique.
Afin de nourrir la réflexion sur l'élaboration de cette nouvelle stratégie, la Commission a ouvert une consultation publique qui vient d'être étendue au 15 novembre. Elle est destinée non seulement aux États membres, mais aussi à la société civile et à l'ensemble des parties prenantes. Dans ce cadre, la France défend une politique commerciale plus robuste capable de faire valoir nos intérêts économiques dans un système moins coopératif. Nous souhaitons aussi qu'elle contribue à accroître la résilience de l'Union européenne aux plans climatique et sanitaire. Nous défendons deux idées-forces : accroître la souveraineté européenne dans le domaine économique et commercial et renforcer la cohérence entre notre stratégie commerciale et notre engagement pour le développement durable et le climat. Notre contribution à la consultation de la Commission et aux échanges tenus au Conseil visera à proposer des pistes donnant corps à ces objectifs. Nous avons identifié quatre axes d'action prioritaires.
Le premier axe est la construction d'une stratégie ouverte et durable pour l'Union européenne. Nous proposons de mettre la politique commerciale au service d'un modèle de croissance européenne durable. Nous souhaitons que nos économies soient à même de résister aux risques sanitaires, aux risques climatiques et à l'instabilité du système commercial international. Il nous faudra pour cela structurer une autonomie stratégique commune qui soutienne au niveau européen notre politique de relocalisation industrielle. La notion d'autonomie stratégique concerne aussi les politiques extérieures de l'Union européenne. Sur le plan commercial, elle repose tout d'abord sur la mise en place d'un outil de suivi des chaînes de valeur européennes. Cet outil devra nous permettre d'identifier nos fragilités afin de définir la combinaison adéquate d'instruments pour sécuriser nos chaînes d'approvisionnement. Nous savons que ces instruments ne relèvent pas d'abord de la politique commerciale, mais de la politique industrielle. S'agissant des produits de santé essentiels, par exemple, nous devons nous assurer que nous possédons en Europe des capacités de production suffisantes en cas de crise, ainsi que des stocks stratégiques. Néanmoins, la politique commerciale a son rôle à jouer pour favoriser la diversification de nos approvisionnements et faciliter les échanges de biens essentiels.
La politique commerciale doit également être pleinement cohérente avec les objectifs de développement durable que nous poursuivons non seulement au sein du marché intérieur européen, mais aussi dans l'ordre international. La France insistera pour que l'Union européenne puisse relever ses standards en matière climatique et dans la protection de l'environnement, de la biodiversité et des forêts. Nous devrons éviter que les efforts européens soient rendus vains par une augmentation des flux de carbone. Donc, conformément aux conclusions du Conseil européen du mois de juillet, la France soutiendra la mise en place effective dès 2023 d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pleinement compatible avec les règles de l'OMC. La France sera particulièrement vigilante sur la question de la déforestation importée, sujet sur lequel la commission envisage une initiative législative pour 2021.
Nous proposerons sur ces sujets de développer des réglementations dites « miroirs » qui permettraient d'appliquer aux produits importés les mêmes standards de production sanitaires et environnementaux que dans l'Union européenne lorsque c'est nécessaire pour protéger l'environnement et la santé publique. Cette démarche s'inscrit dans le cadre de la stratégie dite « de la ferme à la fourchette » publiée par la Commission européenne en mai dernier. Nous proposerons également de rehausser l'ambition de l'Union européenne en matière de développement durable dans ces accords commerciaux bilatéraux.
Le deuxième axe vise à moderniser le multilatéralisme commercial, en particulier l'OMC, pour apporter des solutions pérennes aux distorsions du commerce mondial. Comme vous le savez, depuis quelques années, l'équité des conditions de concurrence est mise à mal sur les marchés mondiaux. Les pratiques « distorsives » de certains pays et les politiques environnementales peu rigoureuses de certains partenaires ont créé ou accentué des déséquilibres commerciaux au détriment de nos entreprises. Seules des règles multilatérales robustes permettront de rétablir le level playing field à même d'assurer la pérennité du modèle européen. Il est indispensable que l'Union européenne mobilise davantage ces règles et plus généralement son capital politique afin de promouvoir le renforcement du cadre commercial multilatéral. Je suis convaincu que ce cadre multilatéral est le seul à pouvoir apporter des solutions pérennes, politiquement acceptables à long terme par tous les pays face aux distorsions du commerce mondial.
La France encouragera la Commission à présenter de nouvelles initiatives pour réformer l'OMC. L'enjeu est de permettre d'adopter des règles nouvelles en matière de level playing field et de développement durable. Elle invitera notamment la Commission européenne à travailler au rétablissement de l'organe d'appel de l'OMC et à respecter les obligations de transparence et de notification. L'action multilatérale devra aussi être davantage défendue en ce qui concerne la protection des investissements. Sur ce plan, nous continuerons à travailler à la création d'une véritable cour multilatérale d'investissement.
Le troisième axe est de renforcer et de mieux utiliser les instruments de l'Union européenne pour défendre les conditions d'une concurrence équitable avec les pays tiers. Dans un contexte de remise en cause du cadre de l'OMC, l'Union ne peut dépendre de l'aboutissement de négociations multilatérales pour défendre sa souveraineté économique. La France proposera donc que l'Union européenne renforce ses propres instruments de défense et qu'elle les utilise pleinement pour assurer une concurrence équitable avec les pays tiers.
Comme vous le savez, la Commission européenne s'est dotée d'un chef européen de l'application des règles commerciales, un Français, monsieur Denis Redonnet. Je rappelle que c'est le Président de la République qui avait souhaité la création de cette fonction lors d'un discours prononcé à la Sorbonne. Le procureur commercial européen aura notamment pour mission de renforcer l'attention politique et les moyens concrets consacrés par la commission de contrôle à la mise en œuvre des règles commerciales internationales. Afin de préserver collectivement nos intérêts stratégiques, il lui incombera aussi de faire plein usage du mécanisme de filtrage des investissements étrangers dans l'Union européenne. Le procureur commercial devra être doté de nouveaux outils pour renforcer ses pouvoirs. Je pense à l'aboutissement des négociations sur l'instrument européen de réciprocité dans les marchés publics, à l'adoption d'un nouveau cadre pour mieux lutter contre les effets de subventions de pays tiers à des entreprises opérant dans le marché intérieur. Cela s'inscrit pleinement dans le prolongement du livre blanc publié par la Commission sur ce thème au mois de juin. Enfin, nous attendons du procureur commercial qu'il veille au règlement des différends en matière de développement durable.
En vue du même objectif, nous devons aussi renforcer notre arsenal de réponses aux mesures extraterritoriales d'États tiers. Les outils actuels, tels que le règlement européen de blocage ou son pendant national, sont trop limités et imparfaits. Nous proposerons donc un nouvel instrument défensif qui permettra à la Commission européenne d'appliquer des contre-mesures commerciales provisoires en réaction à des mesures coercitives de pays tiers visant un ou plusieurs États membres. Cet enjeu est essentiel pour consolider la souveraineté européenne dans le domaine économique et commercial.
Le quatrième axe vise à mettre en œuvre un agenda bilatéral cohérent avec nos intérêts stratégiques et notre agenda de développement durable. L'agenda de négociation bilatérale de la Commission européenne devra lui aussi s'articuler avec la visée européenne d'autonomie stratégique ouverte et durable que j'évoquais au début de mon propos. En l'absence de solutions multilatérales à court terme, les accords commerciaux bilatéraux peuvent eux aussi contribuer à garantir le modèle européen. Il faut pour cela qu'ils soient correctement alignés avec nos priorités. L'Union européenne devra renforcer son exigence de réciprocité vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux, les États-Unis et la Chine notamment, afin de nouer une relation plus équilibrée, mutuellement bénéfique et respectueuse de nos préférences collectives, en particulier au plan sanitaire et phytosanitaire. Nous soutiendrons également le nécessaire renforcement des liens commerciaux avec les pays du voisinage de l'Union, en particulier ceux de la Méditerranée, et avec l'Afrique. Nous proposerons ainsi à la Commission d'améliorer sa capacité à mesurer l'impact environnemental sectoriel régional des accords commerciaux.
Enfin, nous proposerons à la Commission de lier l'approfondissement des relations commerciales bilatérales de l'Union européenne à une exigence forte en matière de développement durable. La démarche s'inscrit dans la continuité de propositions bien connues émises par la France sur ce sujet. Elles ont été formulées dans le sillage du plan d'action CETA et du « non-papier » franco-néerlandais de mai 2020. En tant que premier marché mondial, l'Union européenne dispose d'un véritable levier de puissance. Elle doit davantage l'utiliser pour promouvoir ses valeurs, ses ambitions sur le plan climatique, environnemental et social, qui constituent les biens publics mondiaux. Telle est l'ambition affichée par le pacte vert européen en décembre dernier.
Conformément aux conclusions de la convention citoyenne sur le climat, nous insisterons notamment pour que le respect de l'accord de Paris figure au rang de clause essentielle des activités de l'Union européenne. Nous défendrons également la mise en œuvre des engagements de développement durable prévus dans nos accords. Elle reposera en particulier sur l'inclusion de conditionnalités tarifaires ciblées et sur le renforcement de leur applicabilité. Le problème est toujours le même : il est bon de compter des critères et des clauses dans un accord, mais encore faut-il qu'ils soient appliqués.
Nous souhaitons en outre améliorer la politique de transparence en associant mieux la société civile. Grâce au comité de suivi de la politique commerciale, nous attendons de la Commission qu'elle intensifie ses efforts en ce sens, par exemple en associant plus tôt la société civile dans l'élaboration des positions de négociations. Nous encourageons également la Commission à enrichir les études d'impact des accords commerciaux, notamment sur leurs volets régional, sectoriel et environnemental. Des travaux ont été initiés au niveau européen sur la conduite responsable des entreprises afin de renforcer et d'harmoniser les règles qui feront du commerce un plus juste échange. Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je souhaitais vous dire en introduction.