Intervention de Pierre-Henri Dumont

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 9h05
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont :

. Mes chers collègues, il me revient de vous présenter les deuxième, troisième et quatrième protocoles additionnels à la convention européenne d'extradition dont il vous est demandé d'autoriser la ratification. Le Sénat, saisi en première lecture, a déjà adopté le projet de loi autorisant cette ratification.

Je précise immédiatement – pour éviter toute ambiguïté ou confusion – que, s'agissant d'« extradition », nous sommes ici dans le domaine de la coopération judiciaire et de l'entraide pénale. Nous ne parlons en aucun cas, en l'espèce, de droit des étrangers.

L'extradition est une procédure juridique très ancienne, par laquelle un État est appelé à remettre l'auteur d'un délit ou d'un crime à un autre État qui le réclame, pour qu'il puisse y être jugé ou y exécuter sa peine. Elle vise à éviter que l'auteur d'une infraction d'une certaine gravité puisse aller chercher refuge dans un autre État pour ne pas avoir à répondre de ses actes et tenter d'échapper à ses responsabilités. Il existe toujours certaines conditions à l'extradition : il faut, par exemple, non seulement une certaine gravité de l'acte commis, mais aussi qu'il soit puni aussi bien dans l'État qui réclame la remise de la personne que dans celui qui la remet.

Au sein des États membres du Conseil de l'Europe, et donc parties également à la Convention européenne des droits de l'homme, il a été décidé dans les années 1950 de conclure une convention multilatérale d'extradition. Celle-ci a été signée en 1957, y compris par la France. Notre pays a toutefois tardé à la ratifier pour une raison que j'explique dans le rapport. En effet, l'éventualité d'application de la peine de mort pouvait, selon la convention, justifier un refus d'extradition. Tant que cette peine était en vigueur dans notre droit, la France craignait de se voir opposer des refus à ses demandes d'extradition. Ce n'est donc que quelques années l'abolition de la peine capitale, plus précisément en 1986, que notre pays a ratifié la convention européenne d'extradition.

Les stipulations de cette convention reprennent un certain nombre de principes classiques du droit de l'extradition. Il faut que les faits revêtent une certaine gravité, plus précisément qu'ils fassent encourir une peine privative de liberté d'au moins un an. Une personne est susceptible d'être extradée parce qu'elle est poursuivie pour une infraction mais aussi parce qu'elle est recherchée aux fins d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté. Conformément au principe de double incrimination, il faut que les faits incriminés soient punis par la loi dans les deux pays, celui demandeur et celui qui remet la personne. Certains types d'infraction sont exclus, comme celles de nature politique ou militaire, ou encore, sauf arrangement entre les États concernés, les infractions de nature fiscale. Une personne ne peut pas être jugée deux fois pour les mêmes faits, en application de la règle du « non bis in idem ». La convention reprend également le principe de spécialité, c'est-à-dire que la personne extradée ne peut pas être poursuivie, dans le pays à qui elle est remise, pour un autre fait que celui qui a motivé l'extradition. Les demandes d'extradition sont échangées par la voie diplomatique, sur la base d'un exposé complet des faits, des dispositions juridiques applicables et des pièces justificatives.

Un événement a profondément modifié au début des années 2000 le champ d'application de cette convention, et l'a fortement restreint. C'est la création du mandat d'arrêt européen, adopté en 2002 et entré en vigueur en 2004. Le mandat d'arrêt européen a remplacé l'extradition entre les États membres de l'Union européenne ainsi qu'avec certains États participant à l'espace Schengen. En France, il a été introduit aux articles 695‑11 et suivants du code de procédure pénale.

Après plus de quinze années de pratique, le mandat d'arrêt européen est aujourd'hui unanimement reconnu comme un instrument efficace. La dématérialisation de la procédure a permis des échanges entre acteurs européens favorisant la réactivité et permettant de réduire les délais de remise. Sa mise en œuvre est parfaitement assimilée par les juridictions françaises. La décision-cadre de 2002 dresse une liste de trente-deux infractions pour lesquelles il n'est pas nécessaire de contrôler la double incrimination, telles que la participation à une organisation criminelle, le terrorisme, le trafic illicite de stupéfiants, la corruption, la cybercriminalité, les vols, le viol, etc. Le mandat d'arrêt européen peut, le cas échéant, être diffusé dans le fameux « SIS » le « Système d'information Schengen », permettant d'informer les services de police et de justice des pays membres.

Compte tenu de l'instauration du mandat d'arrêt européen, la convention de 1957 a évidemment perdu quelque peu de son champ d'application, mais elle conserve néanmoins une utilité dans les relations avec les États européens non membres de l'Union européenne, et même avec quelques États non européens qui y ont adhéré. Cette utilité pourrait être encore renforcée à l'occasion du Brexit. J'y reviendrai.

Plusieurs protocoles additionnels à cette convention ont été adoptés pour tirer les leçons de son application, la moderniser, tenir compte de l'évolution de la criminalité, etc. S'agissant du premier d'entre eux, celui de 1975, la France n'a pas jugé nécessaire de le signer car il est dépourvu de portée opérationnelle et se contente notamment d'apporter des précisions à la notion d'infraction politique.

Il en va différemment des trois protocoles suivants, qui datent respectivement de 1978, 2010 et 2012. Ces protocoles, qui sont issus des travaux de comités d'expert en matière de coopération pénale, visent à approfondir la coopération entre États en matière d'extradition et à simplifier la procédure. Les deux derniers protocoles s'inspirent aussi du mandat d'arrêt européen.

Ainsi, le protocole de 1978 inclut les infractions fiscales parmi celles qui donnent lieu à extradition, un accord entre les parties n'étant plus exigé. Il prévoit la possibilité de refuser l'extradition d'une personne si le jugement rendu par défaut à son encontre ne respecte pas les droits minimaux de la défense (connaissance de l'accusation portée, assistance par un avocat, participation au procès, etc.).

Le troisième protocole additionnel, quant à lui, crée une procédure simplifiée d'extradition qui permet la remise rapide de la personne recherchée. La mise en œuvre de cette procédure est subordonnée au consentement de l'intéressé. Le formalisme procédural, en termes de présentation de documents, est fortement allégé. La remise a lieu le plus vite possible, et de préférence dans un délai de dix jours à compter de la date de notification de la décision d'extradition. La mise en place de cette procédure simplifiée était une demande de longue date des juridictions, compte tenu du développement ces dernières années de la criminalité transfrontière.

Le quatrième protocole additionnel prévoit, entre autres choses, la transmission des requêtes et pièces de ministère de la justice à ministère de la justice, développe les possibilités de communication électronique ou encore allège le formalisme en matière de transit.

La France n'avait pas jugé utile, avant 2018, de signer ces protocoles, compte tenu notamment de la faiblesse des flux d'extradition concernés. Deux évolutions l'ont conduite à modifier cette appréciation.

Tout d'abord, le Brexit, si aucun accord n'est conclu en matière d'extradition, fera sortir le Royaume-Uni du régime du mandat d'arrêt européen et rendra applicables, pour les relations avec ce pays, la convention européenne d'extradition et ses trois derniers protocoles additionnels, que le Royaume-Uni a au demeurant déjà ratifiés.

Par ailleurs, les évolutions de la criminalité elles-mêmes rendent plus que jamais nécessaire le renforcement de la coopération pénale entre États, comme le réclament les juridictions françaises. L'internationalisation et la complexification croissantes de la criminalité (trafic d'êtres humains, trafic de stupéfiants, trafic d'armes, terrorisme, fraude fiscale...) rendent d'autant plus indispensable d'améliorer les canaux de la coopération en matière de remise des personnes, notamment par le biais de la procédure simplifiée d'extradition et par la transmission directe entre ministères de la justice.

La ratification de ces protocoles additionnels me paraît donc particulièrement opportune et bienvenue. C'est pourquoi je vous invite à adopter le présent projet de loi qui l'autorise.

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