Intervention de Alain David

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain David, rapporteur pour avis :

Les travaux que j'ai menés cette année en tant que rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits de l'audiovisuel extérieur se sont déroulés dans un contexte particulier : l'année 2020, outre l'impact de la crise sanitaire, sur lequel je vais revenir, a été marquée pour les sociétés de l'audiovisuel extérieur par les débats liés au projet de réforme de l'audiovisuel public, ajourné du fait des bouleversements liés à la crise sanitaire. Nous avons eu de riches débats en commission sur les risques liés à l'intégration de France Médias Monde, TV5 Monde et Arte au sein d'une holding de l'audiovisuel public. Les risques étaient en effet grands de voir France Médias Monde, ses trois filiales, les radios RFI et MCD, ainsi que la chaîne de télévision France 24, devenir les variables d'ajustement de l'audiovisuel public.

Dans le cadre du plan de relance consacré à l'audiovisuel public, France Médias Monde et TV5 Monde ne bénéficieront que de 500 000 euros chacune, sur une enveloppe de 70 millions d'euros. Si elles ont été globalement moins touchées que les autres sociétés de l'audiovisuel public, elles n'en ont pas moins pâti de la crise qui a fragilisé leurs ressources propres, alors même que France Médias Monde et TV5 Monde ont dû appliquer d'importants plans d'économie depuis 2018.

En effet, la trajectoire financière de l'audiovisuel public ayant été sensiblement revue à l'été 2018, l'audiovisuel extérieur n'a pas échappé aux exigences d'économie. Conformément à la trajectoire fixée, la dotation de France Médias Monde dans le projet de loi de finances pour 2021 s'élève à 254,7 millions, en recul de 500 000 euros par rapport à l'année dernière, et celle de TV5 Monde s'élève à 76,15 millions, montant stabilisé après le recul de plus d'un million d'euros intervenu en 2019.

Je rappellerai aussi, car ils sont éloquents, les montants alloués à nos principaux concurrents, qui connaissent une forte tendance à la hausse : 350 millions d'euros pour la Deutsche Welle, avec un montant prévu de 400 millions en 2022 ; et 346,3 millions pour la BBC World Service. Les budgets des concurrents chinois et russe, CGTN et Russia Today, restent opaques mais la portée offensive des stratégies de ces médias et de ces États en matière d'audiovisuel extérieur est frappante et justifie à elle seule que nous mobilisions davantage de moyens.

L'audiovisuel extérieur, vous en êtes désormais convaincus, est un formidable outil pour notre diplomatie d'influence, et a rappelé son importance pendant la crise sanitaire. France Médias Monde, comme TV5 Monde, ont dû rapidement revoir leur organisation et adapter leur mode de fonctionnement pour répondre à un double impératif : garantir la protection des collaborateurs et assurer leur mission d'information. L'essentiel des personnels est passé au télétravail, avec un maintien sur site pour les activités qui exigent une présence physique. L'heure est aujourd'hui au retour progressif à la normale, qui s'appuie sur un maintien strict des règles de protection sanitaire.

Sur les plans social et financier, je tiens à souligner que les sociétés de l'audiovisuel public n'ont pas eu recours au dispositif de chômage partiel, à la différence des entreprises privées et en vertu d'une doctrine interministérielle. Les rémunérations ont été maintenues et des systèmes de sécurisation des revenus, mis en place pour les correspondants et les pigistes. Les sociétés de l'audiovisuel extérieur ont donc assuré leur gestion de crise sans peser sur les deniers publics. Surtout, elles ont su adapter leur mission aux besoins suscités par la crise, avec une évolution des grilles de programmes.

Les médias de l'audiovisuel extérieur, déjà très investis dans la lutte contre la désinformation – j'avais pu le souligner l'année dernière –, ont renforcé leur action dans ce domaine. Le contexte de crise que nous connaissons a été en effet particulièrement propice à l'éclosion et à la diffusion de fausses informations, dont les effets peuvent être redoutables.

France Médias Monde, en plus de mobiliser ses outils habituels, a lancé de nouveaux programmes comme « Info coronavirus » sur RFI, tandis que TV5 Monde a diffusé plusieurs émissions des chaînes partenaires consacrées à la pandémie. Une attention particulière a été apportée à la diffusion de messages de prévention, notamment à l'attention des publics africains. TV5 Monde a par exemple diffusé un système de questions-réponses interactif entre internautes et professionnels de la santé africains.

Enfin, les médias de l'audiovisuel extérieur ont contribué au service public d'éducation en abondant en programmes l'initiative Nation apprenante du ministère de l'Éducation nationale.

Cette mobilisation a été sanctionnée par de très bons résultats d'audience : les audiences numériques de France Médias Monde ont triplé au plus fort de la crise. Surtout, la tendance annuelle maintient sa progression. Le groupe a enregistré plus de 207 millions de contacts hebdomadaires en 2019, en hausse de près de 18 % par rapport à 2018. Le constat est le même pour TV5 Monde, qui connaît une remarquable progression de ses audiences en numérique et reste parmi les chaînes internationales les plus plébiscitées dans la zone stratégique d'Afrique francophone.

Notre audiovisuel extérieur a aussi poursuivi son développement géographique éditorial.

Pour France Médias Monde, le passage à douze heures quotidiennes de la diffusion de France 24 en espagnol a permis de toucher un nombre accru de foyers en Amérique latine, tandis que le renforcement des langues africaines s'est poursuivi autour du peul, du mandingue, du haoussa et du swahili, avec l'appui financier de l'Agence française de développement.

Pour TV5 Monde, 2020 aura été l'année du bilan pour le plan stratégique 2017-2020, dont les objectifs ont été globalement atteints. Pour rappel, les deux orientations prioritaires du plan portaient sur l'Afrique, qui est à la fois une zone de diffusion et de partenariat pour la chaîne francophone, et sur la transformation numérique.

À ce titre, il faut mentionner le lancement en septembre 2020 dans des délais tenus malgré la crise sanitaire, de la plateforme numérique francophone TV5 Monde Plus, accessible gratuitement dans le monde entier. Je vous invite à découvrir cette nouvelle offre numérique de programmes francophones qui sera au cœur du prochain plan stratégique de la chaîne et dont on peut déplorer que n'y figurent que 10 % de programmes français. Un geste symbolique du Gouvernement aurait été souhaitable, alors même que la France occupe la présidence tournante de la chaîne multilatérale pour 2000-2021.

Dans l'ensemble, on ne peut que regretter que les médias de notre audiovisuel extérieur aient été contraints à renoncer à certains objectifs en raison des contraintes budgétaires qui leur ont été imposées.

Dans le cas de TV5 Monde, l'abandon de satellites a entraîné la fermeture de la chaîne au Brésil et la perte de 30 millions de foyers en Europe. À ce propos, il faut bien avoir en tête que la diffusion numérique ne saurait se substituer systématiquement à la diffusion satellitaire sans conséquence : d'une part, la diffusion numérique n'est pas nécessairement moins coûteuse ; d'autre part, elle est beaucoup plus facile à interrompre que la diffusion satellitaire et s'avère donc beaucoup moins protectrice de l'information dans des zones où des entraves peut-être imposées par les autorités.

Je l'ai mentionné, les sociétés de l'audiovisuel extérieur ont géré la crise sans peser sur les deniers publics et apparaissent comme les dernières servies du plan de relance. Pourtant, la crise les a fragilisées financièrement, du fait de la baisse induite de leurs ressources propres, essentiellement la publicité, le parrainage et la distribution. Pour France Médias Monde, la baisse estimée est de 1,6 million d'euros en 2020 et de 1 million d'euros en 2021. Pour TV5 Monde, la baisse anticipée pour 2020 est de l'ordre de 2 millions d'euros. Les inquiétudes sont plus fortes encore pour 2021, du fait du report de nombreuses dépenses initialement prévues pour 2020, notamment l'acquisition des droits pour les Jeux olympiques pour l'Afrique ou le report du Sommet de la francophonie.

Vous l'aurez compris, la résilience de notre audiovisuel extérieur ne doit pas se traduire par une baisse de notre vigilance. Le risque est gros de perdre la bataille de l'information et de l'influence, si nous continuons à réduire les moyens de nos médias.

Pour conclure, je souhaiterais rappeler l'importance de la coopération. À l'heure où la crise nourrit la tentation du repli sur soi, l'audiovisuel est un formidable terrain de coopération.

J'ai choisi cette année de consacrer le focus de mon rapport à la coopération audiovisuelle franco-allemande.

Vous avez tous en tête Arte, la chaîne franco-allemande, qui fête cette année ses 30 ans, mais notre coopération avec l'Allemagne ne s'y résume pas. Bien au contraire, elle a même été intégrée parmi les projets prioritaires du traité d'Aix-la-Chapelle, qui prévoit la création d'une plateforme numérique, destinée en particulier aux jeunes. Il s'agit d'une dynamique bilatérale mais qui est résolument tournée vers l'Europe et qui s'appuie pour beaucoup sur des financements européens.

Le rôle joué par le tandem France Médias Monde - Deutsche Welle est exemplaire. La coopération s'est sensiblement développée ces dernières années autour de projets comme le programme « Info migrants », qui vise à faciliter l'accès à une information vérifiée et fiable en plusieurs langues pour les migrants et les réfugiés, et de coopérations éditoriales régulières. Les deux groupes ont proposé récemment plusieurs contenus éditoriaux communs, notamment à l'occasion des élections européennes et de la chute du mur de Berlin.

Dans le cadre du traité d'Aix-la-Chapelle, deux projets ont été lancés : la collection européenne, projet d'Arte qui doit fournir une offre numérique gratuite, essentiellement de fiction, et le projet « Enter ! », porté par France Médias Monde et la Deutsche Welle. Ce projet, qui cible en priorité les 18 à 34 ans, consiste en une offre numérique d'information plurilingue et participative, visant à lutter contre les fausses informations et la montée des populismes.

Les deux sociétés ont répondu à l'été 2020 à un appel d'offres de la Commission européenne, dont la décision est imminente. L'apport demandé aux États est de 30 % du total. Or, là où la Deutsche Welle a bénéficié d'un financement ad hoc de 500 000 euros par le gouvernement allemand et les Länder, qui doit être complété d'une enveloppe de 250 000 euros, France Médias Monde a constitué sa contribution uniquement en puisant dans ses fonds propres.

L'aboutissement de ce projet, qui pourra favoriser la diffusion des valeurs européennes tout particulièrement auprès des plus jeunes, me semble essentiel, de même que le maintien des financements du programme « Info migrants », qui pourraient être revus à la baisse. Si nous pouvons être les concurrents de la Deutsche Welle, il est dans notre intérêt commun de nourrir cette dynamique de coopération, dont la portée dépasse le couple franco-allemand.

Compte tenu du décalage entre l'importance stratégique de notre audiovisuel extérieur et les moyens qui lui sont alloués, j'émets un avis défavorable sur les crédits consacrés à notre action audiovisuelle extérieure.

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