Puisque la défense est le bras armé de notre politique étrangère, il est nécessaire d'en examiner les crédits dans cette commission.
Cette année, le budget de la défense s'inscrit dans un double contexte : d'une part, un contexte prévisible, lié à la loi de programmation militaire, qui court jusqu'en 2025, ou du moins jusqu'en 2022 ; d'autre part, un contexte imprévisible, qui nous a tous pris au dépourvu, celui de la crise sanitaire et de son impact sur le monde de la défense, lequel n'a pas été épargné.
S'agissant du contexte prévisible, le budget de la défense augmentera de 1,7 milliard d'euros en 2021, ce qui est conforme à la LPM. Cette nouvelle hausse des crédits, similaire à celle de l'année dernière, porte le budget de la défense à 39,2 milliards d'euros, permettant ainsi de poursuivre la remontée en puissance de nos armées. Une part substantielle des nouveaux moyens est orientée vers la modernisation des équipements afin de réparer l'outil de défense.
Je ne pourrai entrer ici dans le détail de la répartition des crédits mais je veux saluer l'engagement des hommes et des femmes présents sur les terrains d'opération comme à l'intérieur de nos frontières pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
Je salue également l'action du service de santé des armées (SSA). Son rôle est déjà fondamental pour les soldats déployés en opérations extérieures ; nous connaissons désormais, par sa contribution à la lutte contre l'épidémie, sa capacité à s'adapter dans un domaine qui n'est pas initialement le sien. C'est d'autant plus remarquable que le SSA a été très fragilisé ces dernières années, le service ayant perdu 10 % de ses personnels entre 2014 et 2018. Si la LPM prévoit la stabilisation de ses effectifs, le SSA rencontre de grandes difficultés à recruter et à fidéliser en raison de la faiblesse des soldes. En effet, dans ce service extraordinaire, qui fait honneur à la France partout où il intervient, un jeune homme ou une jeune femme – il y a d'ailleurs plus de femmes que d'hommes médecins dans le SSA – termine ses études au grade de capitaine, ce qui pose problème pour des gens qui commencent leur carrière vers 30 ans. Il me paraît urgent de remédier aux difficultés affectant ce service.
L'impact de la crise sanitaire sur l'industrie de défense n'a pas été prise en compte par le ministère des armées. La crise sanitaire a bousculé l'industrie de défense à deux titres : d'abord, sur le plan de l'offre, en imposant un coup de frein brutal à la production ; ensuite, sur le plan de la demande, en entourant de flou les perspectives à l'export.
Le choc de la crise est majeur pour de nombreuses PME. L'industrie de la défense emploie 200 000 salariés et compte 4 000 PME ; ce sont ces entreprises, indispensables aux grands groupes, qui trinquent en pareille situation, particulièrement dans le secteur de l'aéronautique.
Je regrette que la défense soit la grande oubliée du plan de relance. Lorsque la ministre des armées indique que la LPM est le plan de relance de la défense, comment peut-on la croire, alors que la LPM a été votée en 2018, bien en amont de la crise que nous traversons ? On veut nous faire croire à des mesures nouvelles en donnant des habits neufs à des mesures adoptées depuis longtemps.
Sans mesure de relance, nous ne pouvons exclure le risque d'une fragilisation profonde, peut-être irréversible de notre industrie de défense. J'emprunte ici les mots bien avisés de nos collègues de la commission de la défense, Jean-Louis Thiériot et Benjamin Griveaux. L'industrie de défense n'est pas une industrie comme une autre : elle est la garantie de notre souveraineté ; elle est intensive en main-d'œuvre et en technologies de pointe ; elle est un exemple à suivre pour ceux qui, au lendemain de la crise sanitaire, veulent bâtir une autonomie stratégique dans de nouveaux domaines, de l'alimentation à la santé. De par cette autonomie, chaque euro investi dans la défense ne risque pas de se perdre dans des chaînes de valeur internationales complexes, mais nourrit directement l'activité et l'emploi en France, et ce dans tous les territoires. Une occasion a donc, sans aucun doute, été manquée par le Gouvernement.
J'ai décidé de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire au soutien aux exportations d'armement. La vente d'armes ne peut être détachée de la politique étrangère de la France. Les exportations de matériel militaire peuvent être le catalyseur de partenariats stratégiques sur le long terme avec nos voisins immédiats en Europe.
La politique d'exportation d'armement de la France repose sur deux piliers : le contrôle et le soutien. Deux de nos collègues, Jacques Maire et Michèle Tabarot, présenteront dans quelques jours un rapport très important sur le contrôle des exportations d'armement. C'est pourquoi j'ai centré mon propos sur le soutien.
La France a remporté de grands succès à l'export ces dernières années. En 2019, notre pays a enregistré 8,3 milliards d'euros de prises de commandes dont, de façon inédite, presque la moitié à destination du marché européen. Nous devons cette performance autant à la qualité de l'offre d'armement française qu'à la cohésion de l'« équipe France », qui regroupe les autorités politiques, le Quai d'Orsay, la direction générale de l'armement (DGA), les armées et les industriels.
Malgré tout, la place de notre pays sur les marchés extérieurs est loin d'être garantie. Sur ce marché, la concurrence est vive, et même brutale, si l'on s'en réfère à la manière dont les États-Unis déstabilisent les industries européennes sur leurs marchés traditionnels, jusqu'en Europe, pour vendre le F35. Au-delà des États-Unis, de nombreux pays, tels que la Russie, la Chine, Israël ou la Grande-Bretagne, renforcent leur soutien aux exportations d'armement, ce qui a pour effet de fragiliser notre position sur les marchés mondiaux.
Dans ce contexte, la LPM fait du soutien aux exportations d'armement une priorité. Elle y consacre de nouveaux moyens. Mais nous devons aller plus loin et je fais pour cela deux propositions. Première proposition : la France a intérêt à développer la formule des contrats de gouvernement à gouvernement, comme cela se pratique dans d'autres pays avec succès. Cela répond à une demande croissante des États clients. Le contrat « CaMo » avec la Belgique, dont la ratification a été récemment autorisée par notre commission, est une réussite qui en appelle d'autres.
Deuxième proposition : nous devons réduire le poids des missions de soutien aux exportations qui pèsent sur les armées, tant dans le domaine de la formation que pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels. Ainsi, notre pays devrait bientôt vendre dix-huit avions Rafale à la Grèce, dont douze appareils d'occasion, pour un montant de 1 milliard d'euros. Véritable effet d'aubaine pour le budget de notre pays, cette vente mobilisera la substantifique moelle de nos armées pour former les pilotes et les mécaniciens grecs. Si les pilotes peuvent être formés en six mois, il leur faudra ensuite une année pour être véritablement opérationnels. Les mécaniciens devront, quant à eux, suivre les appareils en Grèce et tout cela sera pris sur nos effectifs militaires. L'entreprise Dassault vient de créer sa propre école de formation, ce qui allègera la charge que subissent nos armées avec ces missions éloignées de leur cœur de métier.
D'autres prospects à l'export existent, en Suisse, en Croatie ou en Finlande. Bien sûr, il faut se réjouir du fait que nos partenaires européens soient enfin prêts à acheter du matériel européen – et, encore mieux, du matériel français ! Mais nous devons veiller à ce que ces ventes d'armes n'aggravent pas les trous capacitaires des armées, ni les tensions sur les ressources humaines militaires. La capacité des armées à assurer notre défense en dépend.