Intervention de Guy Teissier

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Teissier, rapporteur pour avis :

Je voudrais tout d'abord remercier l'ensemble de mes collègues qui m'ont adressé des éloges que je ne mérite sans doute pas, mais qui me touchent.

Beaucoup de vos questions portent sur des sujets de fond : il nous faudrait une bonne heure pour en débattre ! Tout d'abord, concernant les OPEX, il n'y a pas si longtemps, lorsque je présidais la commission de la défense, il n'y avait pas de ligne budgétaire pour les OPEX : j'ai donc demandé que l'on crée une ligne budgétaire. Par nature, on ne peut pas prévoir l'intensité des combats que nous aurons à mener sur tel ou tel point du globe. Il est donc difficile d'évaluer avec précision le montant qui sera accordé à ces opérations. Il n'en reste pas moins que le Gouvernement a engagé 1,1 milliard d'euros pour garantir les OPEX, notamment au Mali, mais également les opérations intérieures (OPINT). Toutefois, nous savons que cela ne suffira pas : déjà, l'année dernière, nous en étions à 1,5 milliard, et nous n'avons pas baissé la garde. Cela ne fera donc qu'augmenter et il faudra de nouveau prélever, sur le budget de la défense, à peu près 400 millions. Il n'y aura pas d'aide interministérielle, comme c'était le cas dans le passé.

Par ailleurs, si nous menons avec nos voisins et amis allemands des projets très structurants, notamment pour les avions de combat, nos relations avec eux sont toujours très compliquées et très lentes. Nous ne sommes jamais parvenus à rééditer la victoire obtenue dans le domaine de l'aéronautique civile avec Airbus. J'ai le souvenir que le Gouvernement a, par le passé, tenté de conclure des contrats avec de gros industriels comme ThyssenKrupp – ils ont en effet une bonne expertise en matière de navires de combat –, mais sans succès. Je pense d'ailleurs que l'Allemagne se consacre davantage à l'export de son industrie militaire qu'à ses propres armées. Vous savez comme moi que l'armée allemande est une armée de non-engagement : les Allemands ne se battent plus. Ainsi, en Afghanistan, ils avaient créé un hôpital de campagne, qui était très apprécié, mais ils ne se battaient pas. De plus, c'est une armée qui est syndicalisée, et il faut l'autorisation du Parlement pour qu'elle soit engagée. Nous rencontrons donc des difficultés pour mener des projets à bien avec nos voisins allemands.

Le contrat d'État à État consiste pour deux gouvernements à s'engager à faire un achat d'armes important. Il s'agit d'un contrat clé en main. Le pays qui vend prend tout en charge : la vente de matériel et son entretien. Cela engendre quelques difficultés, car lorsque vous achetez du matériel, par exemple au gouvernement américain, c'est à ce dernier que vous devez vous adresser en cas de défaillance. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, ce ne sont pas forcément les clients étrangers qui sont satisfaits en priorité. Il faut attendre pendant des mois et des mois ; je parle d'expérience parce que nous avons ce type de contrat avec les États-Unis. Je crois d'ailleurs que, désormais, on s'exonère de l'obligation de passer par le gouvernement en traitant directement avec l'industriel, pour obtenir une réponse plus rapide. C'est à la fois globalement plus satisfaisant – ce n'est pas plus mal que ce soient les États qui négocient plutôt que les industriels – et loin d'être parfait.

S'agissant du Mali, la situation est désespérante de solitude : côté européen, nous sommes les seuls engagés au combat. C'est le sang des soldats français qui coule ; il n'y a pas de victimes autres que les nôtres. Les Allemands ont envoyé quelques médecins, les Anglais quelques hélicoptères : ils participent au soutien, qui est indispensable, mais ils ne sont pas au combat. C'est quand même très dur de voir que ce sont nos soldats qui tombent régulièrement. Les Espagnols devaient s'engager au début du premier trimestre de cette année en envoyant une compagnie de combat, soit une centaine d'hommes, mais nous ne les avons pas vus arriver.

En revanche, nous avons une lueur d'espoir avec la possibilité de conclure des accords industriels avec des pays amis voisins. Cela nous rapproche dans la coopération et dans l'action. Le contrat CaMo peut nous laisser entrevoir la fourniture par les Belges d'une compagnie de combat avec le nouveau matériel qu'ils sont en train de recevoir. Nous étions désespérément en retard sur le blindage de nos véhicules. Au début, c'est vrai, nos soldats mettaient leurs gilets pare-balles sur les vitres. Les banquettes des véhicules non blindés étaient solidaires du plancher : quand ils passaient sur une mine, tout sautait. Depuis, nous avons fait des progrès en séparant les banquettes du plancher. Dans le partenariat que nous avons obtenu avec la Belgique – un petit pays qui a une très bonne armée –, les 442 engins du contrat CaMo sont des blindés médians : sans être des chars, ils sont considérablement blindés et devraient donc être en mesure de résister.

Concernant la transition écologique, je dois avouer que je suis très surpris de voir l'intérêt que les militaires accordent à l'environnement – à la façon des militaires : quand un ordre est donné, on le respecte. Ainsi, le préfet maritime a donné l'ordre de planter 1 000 arbres dans l'arsenal de Toulon : c'est quand même extraordinaire !

Dans le domaine de l'immobilier, nous avons accumulé énormément de retard. Les militaires vivent dans des conditions d'un autre temps, c'est-à-dire en chambrée. Or nous ne sommes plus au temps de la conscription : vivre en chambrée de dix, douze ou vingt personnes était supportable quand on ne restait que quelques mois, mais cela ne l'est plus pour des hommes et des femmes qui restent au minimum cinq ans. Il faut que nos armées évoluent ; c'est l'objectif du plan Vivien, qui n'est pas encore achevé, faute de moyens. Dans l'arsenal de Toulon, nous avons vu les nouveaux bâtiments qui accueillent les marins lorsque les bateaux font relâche dans le port : ils sont modernes, avec des chambrettes convenables, équipées de douches et de WC.

Les exportations d'armement sont très importantes, pour des raisons stratégiques, diplomatiques, industrielles et économiques. Il faut renforcer la BITD parce qu'elle soutient notre industrie. C'est un outil de souveraineté face à une concurrence sauvage.

Dans le domaine nucléaire, nous sommes les plus vertueux puisque nous avons supprimé, il y a déjà de longues années, notre composante terrestre sur le plateau d'Albion. À ma connaissance, parmi les pays dotés d'une force nucléaire déclarée, nous sommes les seuls à avoir agi ainsi – d'autres pays ont déclassé des équipements parce qu'ils étaient devenus obsolètes, sans que cela soit le résultat d'une volonté politique. Il serait nécessaire de conclure un accord de désarmement global dans lequel les Russes, les Israéliens, les Britanniques, les Américains décideraient, d'un commun accord, de renoncer à ces armements. Peut-être est-ce le but poursuivi par les députés communistes, mais je dois dire que nous en sommes très loin. Nous sommes donc obligés de maintenir une vigilance nucléaire, réduite à la composante aérienne et à la composante maritime.

Je ne parlerai pas du contrôle des exportations d'armes – je laisse ce soin à mes collègues – mais il est important et tatillon. Après avoir rencontré le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), j'ai voulu m'entretenir avec des membres de la direction générale de sécurité extérieure (DGSE), laquelle s'est fait un peu tirer l'oreille. Ils sont quand même venus et nous ont expliqué qu'ils jouaient surtout un rôle de conseiller auprès du Gouvernement, l'alertant sur tel ou tel pays, mettant en garde contre un éventuel détournement d'utilisation des armes ; voilà ce qui nous a été dit. Il est plutôt réconfortant de savoir qu'ils interviennent en quelque sorte comme des consultants extérieurs, pour communiquer au Gouvernement des renseignements dont ils sont détenteurs ou qu'ils cherchent à sa demande ; on peut comprendre, dès lors, que cela soit confidentiel défense.

Enfin, je précise qu'il n'y a plus désormais de livraisons d'armement à l'Arabie saoudite, même si je ne saurais vous dire depuis combien de mois – je n'ai sans doute pas posé la bonne question !

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