Mesdames, messieurs les députés, j'ai moi‑même une pensée pour Mme la présidente.
S'agissant du boycott, nous avons, dès samedi soir, pris la décision de créer une cellule de suivi au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, notamment pour essayer de centraliser les informations et pour échanger avec les entreprises, afin de voir comment les aider. Comme je l'ai dit hier dans l'hémicycle, le boycott, qui concerne plutôt les secteurs agroalimentaire et cosmétique, est circonscrit à quelques pays. L'impact économique pour les entreprises semble limité pour l'instant. Des produits ont été retirés des rayons dans quatre pays seulement. On ne mesure pas, en revanche, l'effet d'une éventuelle non‑consommation de produits français dans les pays où le boycott a été réclamé.
Ce boycott, annoncé par Recep Tayyip Erdoğan, vient après son absence de condamnation de l'attentat de Conflans‑Sainte‑Honorine, après des appels à la haine lancés contre la France et le Président de la République et relayés sur les réseaux turcs, après son discours contre Emmanuel Macron. C'est essentiellement la Turquie qui est à la manœuvre et qui met la pression sur les opinions publiques musulmanes contre la France. Nous sommes déterminés à continuer notre action dans la lutte contre le terrorisme islamiste et dans la défense des valeurs françaises. Néanmoins, nous voulons faire œuvre de pédagogie auprès des différents dirigeants du monde arabe et musulman, pour expliquer ce qu'est la politique de la France et redire que la France n'a évidemment rien contre l'islam, que les musulmans peuvent pratiquer leur culte comme tous les autres croyants et qu'ils sont des citoyens à part entière. Les propos du Président de la République ont été manipulés, notamment quand il a insisté sur notre détermination à défendre la liberté d'expression, qui passe notamment par cette capacité à caricaturer les représentations de Dieu et de Mahomet. Mais il n'y a rien, bien évidemment, contre l'islam ou les musulmans.
Nous agissons également pour protéger nos ressortissants, ainsi que les entreprises françaises et leurs salariés. Pour l'instant, la menace ne semble pas différente de ce qu'elle pouvait être jusqu'à présent, mais nous sommes très vigilants. Chaque poste est à l'affût des moindres signaux, pour prendre toutes les dispositions qui s'imposeraient et garantir la sécurité de nos compatriotes.
Ce rendez‑vous avec votre commission est une bonne tradition, afin d'échanger avant le conseil des ministres européens du commerce, où nos discussions ont permis de réaffirmer la position de la France sur la question des surcapacités dans les secteurs de l'acier, par exemple. J'ai de nouveau défendu cette position lors du dernier conseil à Berlin et cette semaine dans le cadre de la réunion ministérielle du forum mondial sur les surcapacités sidérurgiques, pour rappeler qu'il faut agir vite, au niveau multilatéral et en profondeur, afin de résorber les distorsions persistantes du marché.
L'actualité commerciale est très chargée. La présidence allemande a décidé de consacrer la réunion du conseil des ministres du commerce à trois questions : la revue de la stratégie de politique commerciale de l'Union européenne ; les relations avec la Chine ; les relations avec les États‑Unis. Pour rappel, la Commission européenne a annoncé cet été son intention de doter l'Union européenne d'une nouvelle stratégie d'ici au début de l'année prochaine, en s'appuyant sur une consultation publique ouverte jusqu'au 15 novembre. Après le conseil commerce informel, organisé à Berlin les 20 et 21 septembre, la réunion du 9 novembre nous permettra une seconde discussion sur ce sujet structurant. Je vous avais livré nos premières réflexions lors de notre dernière rencontre, le 16 septembre. Depuis lors, nous avons mis à profit nos discussions avec nos partenaires, notamment allemands, espagnols et néerlandais, pour affiner notre contribution sur laquelle je vous propose de revenir en détail.
Vous connaissez notre objectif : défendre une politique commerciale ouverte au service de la relance, d'un modèle de croissance durable et de nos ambitions en matière environnementale. Il s'agit de construire une autonomie stratégique ouverte – une nécessité qu'ont soulignée les vulnérabilités révélées par la crise de la covid‑19. Pour certains biens et services, médicaux notamment, une telle stratégie pourrait conduire l'Union à combiner des instruments de politique commerciale et sectorielle, pour diversifier ses fournisseurs tiers, constituer des stocks stratégiques européens, faciliter le recyclage et assurer une offre minimale au sein de l'Union pour les produits les plus critiques. Elle pourrait également consister à définir pour l'ensemble des secteurs un outil d'alerte sur notre extrême dépendance, en matière d'approvisionnement ou de canaux d'exportation, et à développer des outils d'information à destination des entreprises. En corrigeant les vulnérabilités de nos chaînes de valeur, nous améliorerons les conditions d'une reprise économique pérenne.
Deuxième objectif : garantir que la politique commerciale contribue bien aux objectifs européens de développement durable. Pour la France, une relance qui ne serait pas en ligne avec ces objectifs n'aurait aucun sens. Elle est une occasion historique de progresser vers une économie décarbonée. C'est pourquoi nous plaidons pour que la politique commerciale serve pleinement nos objectifs ambitieux de lutte contre le changement climatique et de préservation de la biodiversité. C'est l'objet des propositions que nous avons soumises avec les Pays‑Bas en mai 2020 et que j'ai présentées conjointement avec mon homologue Sigrid Kaag devant la commission du commerce international du Parlement européen, le 15 octobre dernier.
Nous insisterons notamment sur l'application, dès 2023, d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union, le développement dans la réglementation européenne des mesures dites miroir et l'adoption d'une nouvelle réglementation pour lutter contre la déforestation importée dans l'Union. Nous proposons que l'Union européenne encourage un « level playing field » environnemental, afin de permettre l'élaboration de nouvelles disciplines sur le commerce des plastiques notamment. Nous proposons également plusieurs mesures pour les accords bilatéraux : inscription du respect de l'Accord de Paris comme élément essentiel des accords de l'Union ; instauration de réductions tarifaires graduelles ou d'une conditionnalité tarifaire ciblée en fonction de la durabilité des produits ; soumission des chapitres commerce et développement durable de nos accords à un mécanisme de règlement des différends susceptible de prévoir des sanctions sur le plan commercial. Nous insisterons sur le respect du principe de précaution, tel qu'établi au sein des traités européens, sur le respect des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) et sur la prise en compte des questions de genre pour maximiser les avantages que les femmes retirent du commerce.
Troisième objectif : renforcer et mieux utiliser nos instruments visant à assurer les conditions d'une concurrence équitable avec les pays tiers. Nous pensons que la révision de la stratégie de politique commerciale de l'Union est l'occasion d'adapter sa posture et sa boîte à outils, afin d'assurer à nos entreprises des conditions de concurrence équitables face aux comportements prédateurs et déloyaux ou au non‑respect des règles par nos partenaires commerciaux. La création de la fonction de procureur commercial européen, qui reprend une proposition française, formulée par le Président de la République, est une avancée très importante. Nous devons l'accompagner avec une stratégie claire de mise en œuvre des accords commerciaux, pour renforcer l'activation par l'Union de l'ensemble des instruments unilatéraux, bilatéraux et multilatéraux.
Le chief trade enforcement officer devra également être le point de contact de nos entreprises, pour leur offrir une meilleure lisibilité de la politique commerciale. Il sera également l'interlocuteur de la société civile et pourra se voir saisi de plaintes en matière de développement durable, ce qui est nouveau et répond également à une demande française. Nous plaiderons en parallèle pour le renforcement des instruments européens, afin de parvenir à plus de réciprocité, notamment en matière de marchés publics, pour contrer les effets distorsifs sur le marché intérieur des subventions versées par les États tiers, ainsi que les mesures coercitives de pays tiers visant un ou plusieurs États membres, et pour répondre plus efficacement aux mesures extraterritoriales d'États tiers.
Quatrième objectif : poursuivre la modernisation du cadre commercial multilatéral pour apporter des solutions pérennes aux distorsions du commerce mondial et répondre aux enjeux mondiaux contemporains. Seuls les règles et outils multilatéraux permettront d'apporter des réponses légitimes, stables et pérennes aux dysfonctionnements du commerce mondial, à condition de renforcer leur efficacité. La France encouragera la Commission à présenter de nouvelles initiatives auprès de l'OMC, pour relancer sa réforme et lui permettre d'adopter des règles nouvelles sur les subventions industrielles distorsives ; pour revitaliser sa fonction de négociation, afin d'adopter de nouvelles disciplines en lien avec le développement durable et d'étendre les règles multilatérales aux nouveaux domaines de l'économie internationale, tels que le commerce électronique, dans le respect du modèle européen ; pour rétablir le fonctionnement de l'organe d'appel de l'OMC et adapter les règles permettant d'assurer l'effectivité des obligations de transparence et de notification à l'OMC. Toutes ces initiatives doivent évidemment être prises en compte par la nouvelle directrice générale de l'OMC. Un consensus semble se faire progressivement autour de la candidature de la Nigériane Ngozi Onkonjo‑Iweala.
Dernier objectif : définir un agenda bilatéral cohérent avec nos intérêts stratégiques et notre agenda de développement durable.
Enfin, sur le plan des relations bilatérales de l'Union, la priorité française sera d'insister sur le suivi et sur la bonne application du stock d'accords existants, en lien avec l'action du procureur commercial, plutôt que de lancer des négociations tous azimuts. Nous plaiderons également pour faire de nos accords bilatéraux autant de leviers au service du relèvement des ambitions et des standards de développement durable, dans la continuité des positions défendues par la France, depuis l'adoption du plan d'action CETA en octobre 2017.
L'Union devra trouver les voies et moyens d'un rééquilibrage de ses relations commerciales avec les États‑Unis et la Chine. Nous défendrons la nécessité de renforcer les liens commerciaux avec les pays voisins de l'Union, en particulier méditerranéens, et avec l'Afrique, en accord avec le besoin de diversification géographique.
Nous proposerons également à la Commission d'améliorer la mesure aux échelles régionales et sectorielles de l'impact des accords de commerce, en matière d'environnement et de manière cumulée sur les secteurs sensibles. Nous poursuivons sur la lancée des études réalisées dans le cadre de la ratification du CETA, qui, grâce aux travaux engagés avec l'Assemblée nationale, ont permis de définir de nouveaux standards de qualité.
La relation entre l'Union européenne et la Chine est le deuxième point à l'agenda de ce conseil du commerce. La Commission reviendra tout particulièrement sur les négociations de l'accord global sur les investissements, qui se poursuivent à un rythme soutenu, l'objectif affiché étant de parvenir à une conclusion politique d'ici à la fin de l'année. Ces négociations engagées en 2013 ont quatre objectifs principaux : faciliter l'accès des investissements européens au marché chinois encore largement fermé ; améliorer les conditions de concurrence pour nos entreprises, en traitant l'enjeu des transferts forcés de technologies, en améliorant la transparence des subventions et en encadrant les pratiques déloyales des entreprises d'État ; définir pour nos entreprises un cadre juridique clair, prévisible et efficace pour la protection de leurs investissements et le règlement de leurs différends ; prévoir des engagements forts en matière de développement durable, pour que les investissements croisés entre l'Union et la Chine ne se fassent pas au détriment de la protection de l'environnement et des normes sociales.
Malgré les progrès récemment constatés sur l'accès au marché ou les conditions de concurrence, beaucoup reste à faire pour envisager la conclusion de cet accord. Même s'il n'a pas vocation à régir l'ensemble des relations commerciales entre l'Union et la Chine, ni à bouleverser le modèle économique chinois, j'appellerai la Commission européenne à maintenir un niveau élevé d'exigence pour la suite des négociations et j'indiquerai que, en l'état, les conditions ne sont pas réunies pour que la France envisage une conclusion de l'accord à brève échéance. J'insisterai tout particulièrement sur la nécessité de poursuivre nos efforts pour obtenir des dispositions réalistes et crédibles sur le développement durable et sur la protection des investissements. Je rappellerai l'importance de l'accord sur les indications géographiques, signé le 14 septembre dernier et qui doit être ratifié par les deux partis. Cet accord est important pour la France, en ce qu'il permet la reconnaissance et la protection de vingt‑six de nos indications géographiques en Chine, essentiellement des vins et spiritueux, sur un marché qui représentait en 2018 le troisième marché mondial d'exportation de la France pour les spiritueux et le quatrième pour les vins. Je rappellerai également l'importance de progresser dans le renforcement des outils autonomes de l'Union afin de lutter contre les pratiques distorsives de la Chine. De tels instruments permettront de garantir nos intérêts, tout en améliorant notre position de négociation.
Le conseil du commerce permettra aussi de dresser un état des lieux de la relation entre l'Union européenne et les États‑Unis. Nous devons faire preuve de fermeté : il y va de notre crédibilité. Quelle que soit l'issue de l'élection présidentielle américaine, je rappellerai le 9 novembre l'importance de la relation économique et commerciale transatlantique et celle que la France attache au maintien du dialogue, dans le respect de nos intérêts et de nos préférences collectives. Mais je rappellerai aussi la position de fermeté à avoir face aux mesures restrictives américaines.
Concernant l'affaire entre Airbus et Boeing, l'OMC vient d'autoriser l'Union à surtaxer les importations américaines, pour un montant de 4 milliards de dollars – dernier développement en date dans le contentieux. La France a toujours voulu une solution négociée avec les États‑Unis, qui ont pourtant imposé des sanctions tarifaires sur nos produits aéronautiques, ainsi que sur certaines productions agroalimentaires, dont les vins tranquilles. Nous considérons ces sanctions injustifiées, dans la mesure où Airbus est en conformité totale avec les règles internationales qui encadrent les subventions depuis le mois de juillet. Malgré nos demandes répétées, les États‑Unis n'ont pas retiré leurs sanctions et ne nous laissent donc pas d'autre choix que de riposter, comme l'OMC nous y autorise.