Monsieur Lecoq, les traités de libre-échange ne sont que des outils : tout dépend de la manière dont ils ont été construits – en particulier des conditions prévues.
Nous vous rejoignons quant au fait qu'il doit y avoir une gestion multilatérale du commerce international. Au-delà des traités bilatéraux, voire multilatéraux, il faut une réflexion globale sur le cadre des échanges. C'est la raison pour laquelle nous sommes très mobilisés en ce qui concerne la réforme de l'OMC et la nomination de sa nouvelle directrice générale. Depuis le début du quinquennat, toutes les interventions de mon prédécesseur, de Jean-Yves Le Drian et du Président la République en matière de commerce international ont rappelé l'importance de ne pas se résigner au fonctionnement actuel des institutions multilatérales. Nous pensons pouvoir réussir en agrégeant de plus en plus de pays à cette idée. Objectivement, les choses évoluent dans le bon sens, même si les positions des États-Unis et de la Chine restent très unilatérales. La Chine dit certes qu'elle souhaite un règlement multilatéral – mais orienté vers son seul profit.
Nous sommes absolument convaincus qu'il faut des traités de libre-échange : ce sont de bons outils pour augmenter les échanges. Ce sont des éléments importants pour la croissance économique, notamment celle de notre pays, mais ils ne doivent pas être conclus à n'importe quel prix. Le développement durable doit être considéré comme un enjeu essentiel des politiques commerciales.
La déforestation importée désigne en réalité l'impact sur les forêts du développement de l'agriculture lié à l'augmentation des échanges de produits agricoles. La France et un certain nombre d'autres pays européens sont déterminés à ne pas signer l'accord avec le Mercosur dès lors qu'aucune garantie ne nous est fournie quant à la limitation de la déforestation en Amazonie.
Du reste, ce ne sera pas le seul outil à notre disposition pour agir contre la déforestation importée : une proposition législative de la Commission est attendue en 2021. Nous espérons qu'elle sera présentée aussi vite que possible. Son objectif est de limiter la mise sur le marché de produits issus de la déforestation, et pas uniquement le bois : les produits agroalimentaires seront également concernés. Cela permettra de lutter de façon beaucoup plus efficace contre la déforestation.
Plus largement, s'agissant du développement durable, ce ne sont pas exactement des sanctions qui sont prévues : lorsque nos partenaires ne respectent pas leurs engagements, nous entamons un dialogue politique. C'est ce qui se passe avec la Corée du Sud, qui n'a pas ratifié un certain nombre de conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT). Nous mettons la pression, et les choses sont en train de bouger.
Nous souhaitons qu'à l'avenir les accords commerciaux permettent de prendre en compte les enjeux de développement durable en prévoyant des sanctions. Les lignes bougent : la Commission s'est approprié l'idée de faire de l'accord de Paris une clause essentielle des accords de libre-échange. Autrement dit, si l'accord de Paris n'est pas mis en œuvre à la hauteur des engagements pris, l'Union européenne pourra prendre des dispositions en conséquence. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est lui aussi devenu une proposition de la Commission dans le cadre du Green Deal.
Comme je le disais, le non-papier produit par la France et les Pays-Bas a fait date. Il a permis à la fois de conforter certaines propositions de la Commission et de contribuer au débat au sein de l'Union. Nous sommes suivis par un nombre croissant de pays qui estiment que nos propositions vont dans le bon sens. Nous allons continuer, en pleine concertation avec vous.
Concernant le Mercosur, la France, suivie par un certain nombre d'autres pays européens, a clairement dit qu'elle ne signerait pas l'accord en l'état. Il ne faut pas signer des accords de libre-échange simplement pour le faire : ils doivent avoir des conséquences positives. Nous avons besoin de garanties quant au respect de l'accord de Paris par les pays du Mercosur. Il faut aussi faire en sorte que l'accord n'ait pas d'impact négatif sur la déforestation. Les exigences de l'Union européenne en matière sanitaire et phytosanitaire (SPS) doivent être respectées en droit et en fait. Notre position est claire : nous devons travailler avec la Commission et les autres pays membres de l'Union pour trouver les voies et moyens de garantir ces éléments, tout en sachant que la France ne peut à elle seule dicter de A à Z tous les points d'un accord comme celui-là : c'est le résultat d'une négociation entre les vingt-sept membres de l'Union, plus la Commission, et les pays du Mercosur.
S'agissant du développement durable, on peut également espérer que l'accord contribue à faire évoluer les pays du Mercosur beaucoup plus vite que ce serait le cas si l'on décidait de tout arrêter, de jeter le projet à la poubelle et de repartir à zéro pour dix nouvelles années de négociation.
En ce qui concerne les vols de produits dans les aéroports, monsieur Maire, j'avoue ne pas avoir de réponse à vous fournir, mais je vais étudier la chose avec attention : c'est effectivement un point important.
Monsieur Lecoq, la question de la logistique est essentielle pour le commerce extérieur. Mon premier déplacement dans mes nouvelles fonctions avait ainsi pour objet de visiter le port de Dunkerque, dont le rôle est particulièrement important pour l'exportation de produits agroalimentaires, en particulier de céréales – je m'y suis rendu au mois de juillet, en pleine coupe du blé. J'irai prochainement au Havre, à l'invitation du maire, pour faire le point sur la question de l'exportation. Nous allons réfléchir à la manière dont nous pouvons améliorer la compétitivité des grands ports, qui sont la porte de sortie de nos produits.
Monsieur Petit, le Partenariat oriental doit rester le cadre privilégié du dialogue entre l'Union et nos six partenaires de l'Est – Ukraine, Géorgie, Moldavie, Arménie, Azerbaïdjan et Biélorussie. Un sommet aura lieu en février ou en mars, dont le lieu et les modalités restent à préciser.
Je souscris totalement à ce que vous avez dit : il faut préserver le caractère inclusif, mais aussi non confrontationnel du Partenariat oriental, à un moment où les choses sont compliquées dans la région de ce point de vue. La France entend poursuivre les efforts entrepris dans ce sens depuis plus de dix ans.
Le commerce de l'Union avec ces pays a doublé en dix ans : nous sommes devenus leurs premiers partenaires commerciaux. Pour consolider ces progrès, la France a fait des propositions, dans le cadre de la préparation du sommet de 2021, qui visent à orienter les aides apportées par l'Union à nos partenaires de l'Est pour les dix prochaines années. Il y a plusieurs axes : la mise en œuvre de réformes vertueuses en matière de transition énergétique, la connectivité durable, la transition numérique, l'amélioration du climat des affaires – ce qui rejoint ce que vous disiez concernant la lutte contre la corruption – et l'appui à la recherche et à l'innovation dans le cadre du programme Horizon Europe.
Monsieur Herbillon, certaines des filières emblématiques de notre pays à l'exportation – notamment l'aéronautique – ont effectivement été particulièrement touchées par la crise du covid-19. Il en va de même pour le tourisme. Alors que nous avions réussi à réduire notre déficit commercial entre 2018 et 2019, passant de 63 milliards à 57 milliards, les résultats de l'année 2020 seront évidemment plus mauvais. Pour l'instant, nous prévoyons un déficit de 80 milliards.
Cela dit, nous avions connu, ces dernières années, une évolution sensible qui devrait être une force pour rebondir : un plus grand nombre de PME exportent. C'est le fruit, notamment, de ce que nous avons mis en place depuis 2018 avec la Team France Export, qui fédère les énergies de tous les acteurs dédiés à l'exportation et au déploiement à l'international de nos entreprises : Business France, Bpifrance, les chambres de commerce et d'industrie, sous la houlette des régions – car nous voulions absolument travailler avec les collectivités territoriales –, mais aussi les réseaux diplomatiques – sur place, ce sont les ambassadeurs qui pilotent la Team France Export –, les conseillers du commerce extérieur de la France, le MEDEF International, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) et les chambres de commerce et d'industrie à l'international. Ce réseau a permis à de nombreuses entreprises de s'engager davantage dans une démarche internationale.
Il ressort de mes discussions avec les ambassadeurs, les entreprises et les fédérations professionnelles que, malgré la baisse du volume global des échanges, des possibilités existent sur un certain nombre de marchés pour les entreprises françaises, car celles-ci sont habiles, réactives, audacieuses et savent mieux s'adapter que d'autres.
Nous incitons donc les entreprises à exporter, à s'engager à l'international. Pour les aider, nous continuons à améliorer la compétitivité de notre pays : d'où la baisse des impôts de production prévue dans le plan de relance – 10 milliards en 2021 et 10 milliards en 2022. Cette mesure fait suite à la baisse de la fiscalité sur le capital et à celle de l'impôt sur les sociétés – à cet égard, nous tiendrons l'engagement d'arriver à 25 % en 2022. Nous avons également assoupli le marché du travail. Par ailleurs, à travers le crédit d'impôt recherche, nous misons sur l'innovation et la recherche, car c'est comme cela que nous créerons la valeur de demain.
Deuxièmement, nous mettons à la disposition des entreprises des outils leur permettant d'effectuer concrètement et de manière opérationnelle leurs démarches à l'international. C'est l'objet du volet du plan de relance consacré à l'exportation, doté de 247 millions, autour des cinq axes retenus. Il s'agit de s'appuyer sur les propositions de la Team France export, c'est-à-dire sur les acteurs du terrain. Les entreprises doivent avoir davantage d'informations en temps réel et personnalisées s'agissant de l'évolution des marchés, secteur par secteur et pays par pays. Il faut faciliter la prospection, donner des moyens complémentaires aux entreprises pour faire baisser le coût du déploiement à l'international : d'où le chèque relance export et l'assurance prospection.
Troisièmement, nous développons l'assurance crédit. Quand une entreprise va à l'international, elle a besoin de sécuriser ses créances. C'est le rôle des assureurs crédit, mais comme le risque est plus important à l'international, les organismes privés hésitent à couvrir les entreprises. Il faut donc que les organismes publics, à commencer par Bpifrance, soient mobilisés. Des financements sont prévus à cet effet.
Quatrièmement, nous misons beaucoup sur la jeunesse dans le plan de relance : 6,5 milliards sont inscrits, notamment pour encourager le volontariat international en entreprise (VIE). Chaque PME prenant un jeune en VIE recevra 5 000 euros. Nous voulons atteindre le chiffre de 3 000 la première année.
Cinquièmement, nous entendons développer la communication. Je dispose d'un budget pour faire connaître les différents savoir-faire de la France, les marques France.
Cette ambition s'inscrit dans une ambition européenne en matière d'innovation. La France participe ainsi aux projets d'intérêt européen commun (PIEC) concernant les technologies d'avenir, parmi lesquelles l'hydrogène, la microélectronique et les batteries électriques.
S'agissant de nos relations avec les États-Unis, il faut effectivement nous doter d'outils plus efficaces pour lutter contre l'extraterritorialité du droit américain : on l'a vu avec l'Iran et avec la loi Helms-Burton pour Cuba et on le voit aujourd'hui avec Nord Stream 2. Nous avons déjà le dispositif de blocage, mais il faut aller plus loin et doter l'Union de moyens supplémentaires. C'est l'un des points essentiels sur lesquels nous travaillons.
Comment imposer la réciprocité à la Chine ? D'abord, il faut être unis à vingt-sept, et pas seulement à dix-sept, dans nos discussions avec elle Je rappelle que le Président de la République a envoyé un signal très fort à la Chine, lors de la visite d'État du président Xi Jinping en France en mars 2019, puisqu'il a invité la chancelière Angela Merkel et le président de la Commission de l'époque à prendre part aux discussions. Il faut faire comprendre à la Chine qu'elle doit discuter avec l'Europe, et pas avec tel ou tel État. Je reconnais que ce n'est pas acquis, car la Chine est un marché essentiel pour nombre de pays européens et il peut être tentant d'avoir avec elle des relations bilatérales privilégiées, en dehors des relations qui la lient à l'Union européenne.
Deuxièmement, il faut renforcer nos outils européens, en imposant le principe de la réciprocité dans l'accès aux marchés publics. Un texte est actuellement en discussion au Parlement européen sur ce sujet. Il faut que nous nous dotions d'outils susceptibles d'améliorer notre défense commerciale pour contrer, par exemple, les aides d'État sur l'acier, qui donnent à la Chine une surcapacité de production. Il faut, enfin, utiliser la force du marché intérieur. Nous avons réussi à conclure un accord sur les indications géographiques protégées et nous travaillons à un accord sur l'investissement, sans nous précipiter, mais avec détermination.
S'agissant du Brexit, les choses avancent un peu plus qu'au cours des dernières semaines et nous sommes maintenant entrés dans un tunnel de négociations. Nous prêtons toujours une grande attention à l'instauration d'une concurrence loyale, le fameux « level playing field ». On veut bien zéro tarif, on veut bien zéro quota, mais on veut aussi zéro dumping. D'autre part, nous sommes très attentifs à la question des règles d'origine, car nous ne voulons pas que la Grande-Bretagne devienne une sorte de plateforme de réexportation de produits fabriqués à bas coût ailleurs. Il convient également de bien encadrer la gouvernance du futur accord, puisque les Britanniques ont déjà renié leur signature de l'accord de retrait. Il faut absolument que nous ayons des leviers pour réagir à l'éventuel non-respect des engagements qui auront été pris dans cet accord de partenariat. Il faut, enfin, nous assurer que nos pêcheurs continueront d'avoir accès aux eaux britanniques. C'est évidemment un point essentiel, qui ne doit pas être traité à part, mais qui fait partie d'un tout. Le Premier ministre s'est lui-même rendu à Bruxelles la semaine dernière : il a rencontré la présidente de la Commission et Michel Barnier, en présence de Bruno Le Maire et de Clément Beaune, et il a réaffirmé les exigences de la France au sujet de la pêche.
Je ne peux pas mesurer l'impact d'un boycott qui ne s'applique encore que partiellement. Pour l'instant, il est circonscrit et seuls quelques magasins ont retiré les produits français de leurs rayons, essentiellement des produits agroalimentaires ou de grande consommation. Ce qu'on ne mesure pas encore, c'est si les magasins qui ont laissé des produits français en rayon en vendent moins. Il est trop tôt pour le dire.
Pour l'avenir, il importe de maintenir le rapport de force avec la Turquie, car ce pays ne comprend rien d'autre. Les réactions de nos partenaires européens aux déclarations du président Erdogan ont été quasi unanimes et il importe que l'Europe continue d'être unie. Lors du Conseil européen de décembre, nous discuterons spécifiquement de la manière dont l'Europe peut entretenir le rapport de force avec la Turquie pour faire respecter, non seulement ses intérêts, mais aussi ses valeurs.