Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq, rapporteur :

Je vous présente, à mon tour, mes meilleurs vœux pour l'année à venir. J'espère qu'elle nous permettra de continuer à travailler avec cette belle liberté de ton et ce respect qui caractérisent notre commission, et de tenir toutes nos réunions à effectif complet, sur place. J'espère évidemment qu'elle permettra aussi à Marielle de Sarnez de revenir présider nos réunions.

Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement notre administratrice, Camille d'Ollone, qui a réalisé un excellent travail, organisé nos auditions et notre déplacement, et m'a aidé à rédiger ce rapport dans un délai très contraint afin que tout un chacun en dispose bien en amont de notre réunion – j'ai vu que notre président s'y était plongé et en avait retenu l'essence.

Le projet de loi que je vous propose d'adopter vise à approuver la convention entre le Gouvernement de la République française, la région flamande et la région wallonne relative à l'aménagement de la Lys mitoyenne entre Deûlémont en France et Menin en Belgique. La Lys mitoyenne est une voie d'eau partagée entre la France et la Belgique, essentielle au réseau fluvial Seine-Escaut. Mais ce canal empêche les plus grands gabarits de barges fluviales de passer du réseau de Dunkerque-Escaut, en France, à celui de la Lys, en Belgique. Vous pouvez le constater sur la carte figurant à la page 9 de mon rapport. Identifié par l'Union européenne comme chantier nécessaire à l'amélioration du maillage fluvial européen, l'aménagement du canal de la Lys mitoyenne permettra à des barges de 180 mètres de long, transportant jusqu'à 4 400 tonnes de fret, de naviguer entre ces deux réseaux. Aujourd'hui, seules les barges n'excédant pas 110 mètres de long et transportant 1 500 tonnes de fret au maximum peuvent passer de l'un à l'autre. Il s'agit donc d'une opération importante pour la dynamique fluviale en France et en Europe.

Cette dynamique converge tout à fait avec la transition écologique. Connaissez-vous un autre mode de transport qui permette d'accueillir une faune et une flore complètes, de déplacer des volumes considérables de marchandises sans affecter les autres usagers, d'avoir un stock flottant sans recourir à des hangars de stockage gigantesques, de limiter les crues, de stocker de l'eau douce et même de produire de l'hydroélectricité, grâce à plusieurs écluses dont certaines fonctionnent déjà ? Le transport fluvial est un véritable instrument écologique, malgré des interrogations et des réserves quant aux dégâts occasionnés par le creusement de certains canaux – c'est ici le député du Havre qui parle et qui pense évidemment au canal Seine-Nord.

D'un point de vue environnemental, l'aménagement du canal de la Lys mitoyenne permettra de réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre, puisque le transport fluvial est cinq fois moins émetteur que le transport routier. Il permettra aussi de décongestionner la métropole de Lille. En outre, un soin particulier a été apporté à la compensation de l'impact environnemental du projet, avec par exemple la construction, quasiment terminée, de franchissements piscicoles, la restauration du chemin de halage et la création d'une vaste zone humide sur un site de gestion des sédiments. J'en profite pour rappeler que tous les États européens ne sont pas soumis à la même réglementation concernant les sédiments, et je me réjouis que les Belges aient parfois pu gérer ceux-ci avec un peu plus d'efficacité et un peu moins de contraintes que nous !

Les travaux d'élargissement du canal de la Lys mitoyenne illustrent donc la convergence des intérêts écologiques et économiques propre au fret fluvial. D'un point de vue économique, le gabarit du canal n'est, pour l'heure, pas adapté à la croissance du trafic sur ce point de réseau. Selon l'étude d'impact, le projet affiche une rentabilité économique intrinsèque indépendamment même de son inscription dans le projet Seine-Escaut.

En outre, il s'agit d'un projet véritablement européen, piloté par l'État français et deux régions – la région flamande et la région wallonne –, les régions belges étant compétentes en matière de transport. Trois maîtres d'ouvrage interviennent donc sur ce canal de 16,5 kilomètres, dont le tracé qui ne correspond pas exactement aux frontières entre les différentes parties, avec deux langues de travail et des financements croisés des trois parties, auxquels s'ajoutent d'importants financements provenant de l'Union européenne et de la région Hauts-de-France. Malgré cette ingénierie complexe, le projet témoigne d'une coopération franco-belge exemplaire en matière fluviale et montre le visage d'une Europe de projets concrets, qui fonctionnent. C'est l'Europe comme je l'aime !

Il s'agit aussi d'un projet utile, dont nous avons besoin pour affronter le monde de demain. La crise sanitaire actuelle nous démontre de manière particulièrement vive que notre économie mondialisée repose sur des flux très précaires et que la moindre perturbation peut mettre à mal des chaînes logistiques et entraîner des pénuries de produits parfois vitaux. Demain, notre dépendance à l'extérieur, par exemple pour nos médicaments, ne sera plus tolérée ni tolérable. Les États doivent donc se préparer au plus vite à ce changement de mentalité. J'entendais ce matin certaines personnes parler de « démondialisation ». Une mutation est en train de s'opérer à l'échelle mondiale : nous ne devons pas la subir mais l'accompagner en adaptant notre mode de vie.

Pour que le secteur fluvial prenne la place qui lui revient dans la chaîne logistique européenne, deux conditions sont nécessaires : nous devons connaître les besoins en fret, et avoir une infrastructure et des services adaptés. Le premier point peut paraître trivial, mais il nous renvoie à un double enjeu.

D'une part, le secteur fluvial permet un transport capacitaire de masse extrêmement utile pour l'industrie – une barge de 150 mètres transporte autant de fret que quatre trains de 750 mètres ou 250 camions. Mais le fluvial est tellement lié à l'industrie que lorsque cette dernière souffre, il rencontre des problèmes de viabilité. Il est donc très important d'envisager ce réseau de canaux comme une possibilité, pour l'Europe, de renforcer son autonomie stratégique au sein de l'économie mondialisée ; il nous permettra de disposer d'un outil d'échanges au cœur de l'Union européenne et d'amorcer une réindustrialisation tant à l'échelle européenne qu'à l'échelle nationale, comme les députés communistes le proposent depuis toujours.

D'autre part, connaître les besoins en fret nécessite de connaître les zones d'influence économique des ports maritimes, à savoir leur hinterland. Je souhaite appeler votre attention toute particulière sur ce point. Le réseau Seine-Escaut est un réseau européen, mais en tant qu'élu du peuple français, je ne vous cache pas mon inquiétude, que je formule également s'agissant du canal Seine-Nord, au vu d'une orientation de la politique de l'Union européenne très favorable aux ports des Pays-Bas et de la Belgique, notamment à ceux d'Anvers et de Rotterdam, au détriment des ports français de Calais, de Dunkerque et du Havre. Rappelez-vous que le gouvernement d'Édouard Philippe avait oublié de faire inscrire le port du Havre, par exemple, dans la liste des corridors maritimes entre l'Irlande et l'Europe, et qu'il a fallu rattraper les choses au Parlement européen. Face au manque d'ambition française pour son secteur fluvial, le réseau Seine-Escaut étend de fait l' hinterland des ports du Benelux jusqu'à Paris, ce qui les rend plus compétitifs que les ports français – c'est justement la raison pour laquelle de nombreux élus du Havre ont combattu le canal Seine-Nord. Il ne faut pas négliger l'impact de cette dynamique sur notre économie nationale et notre balance commerciale.

Je nuancerai néanmoins mon propos car j'ai rencontré des gens qui m'ont permis d'affiner mon analyse. Cette situation est loin d'être une fatalité. De nombreuses choses peuvent être faites pour améliorer le trafic fluvial français et accroître, de ce fait, l'attractivité des ports français face à la concurrence européenne. Ce chantier est aujourd'hui trop négligé par les pouvoirs publics, mais de belles choses peuvent être réalisées en France.

Tout d'abord, il faudrait mieux organiser les hinterlands français à partir de Dunkerque, de Calais, du Havre et des autres ports maritimes connectés à ce réseau. Ce travail n'est presque pas effectué en France car les opérateurs n'intègrent pas encore ce schéma. Il convient de changer les mentalités, et les élus que nous sommes doivent prendre toute leur part dans ce travail. La fusion des ports du Havre, de Rouen et de Paris peut être une étape intéressante.

Par ailleurs, il faut mieux identifier tous les goulets d'étranglement et les ruptures de charges. Ce travail est mené par Voies navigables de France (VNF). Il est important de pouvoir aller d'un point à un autre sans encombre, et si des investissements sont nécessaires, VNF doit disposer de moyens pour les réaliser au plus vite. Là encore, nous avons un rôle à jouer : ce chantier doit être soutenu au maximum par les pouvoirs publics.

Enfin, la batellerie française est d'une grande qualité, mais il lui manque beaucoup de services pour être tout à fait compétitive. La France dispose par exemple de très peu de services de nettoyage de cale après déchargement, ce qui pose le problème de ce que l'on appelle le « retour de cale » : les bateaux rentrent à vide. C'est un gâchis économique et écologique complet. Beaucoup d'autres services sont indispensables, mais je n'ai pas le temps de tout développer ici.

J'appelle également votre attention, et plus particulièrement celle des députés de Normandie, des Hauts-de-France et d'Île-de-France, sur la nécessité de constituer une alliance entre nos trois régions pour construire et réparer des barges et former davantage de bateliers. Cela permettrait d'organiser et de renforcer ce secteur. Franck Dhersin, vice-président de la région Hauts-de-France chargé des transports et des infrastructures de transport, que j'ai auditionné, a souligné cet enjeu, auquel je souscris. Vous l'aurez compris, il est urgent de créer un écosystème et une véritable politique économique autour du secteur fluvial.

Enfin, la plus grande vigilance doit être de mise s'agissant des plateformes multimodales. Les pays du nord de l'Europe disposent d'un écosystème très puissant et rachètent des plateformes afin d'organiser au mieux l' hinterland des ports du Benelux, qui s'étend jusqu'à la France. Nous ne devons pas perdre ces véritables clés de voûte logistiques. C'est tout le sens de l'action positive menée par la région Hauts-de-France. Il faut maîtriser le foncier et disposer d'opérateurs de réseau multimodaux puissants ; ce n'est pas encore le cas, mais j'espère que cela s'améliorera.

Pour résumer, un travail de planification associant les acteurs publics et privés, des élus et des professionnels de ce secteur doit être mené au niveau de l'État – je m'adresse ici au Mouvement démocrate, puisque son président est haut-commissaire au plan. Notre mobilisation autour de ce chantier d'avenir doit être à la hauteur des enjeux.

Mes chers collègues, il m'a semblé très important de mettre ce sujet en évidence pour que vous connaissiez les enjeux qui se cachent derrière un petit canal de 16,5 kilomètres entre la France, la Wallonie et la Flandre. Je vous propose d'approuver cette convention.

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