Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq, rapporteur :

En tant que membre du plus petit groupe de notre commission, je suis souvent le dernier à choisir les rapports. Il restait le rapport sur cette convention : je l'ai pris. Je pouvais aborder le sujet de deux manières : soit je m'opposais au texte, en tant que député du Havre, et j'en faisais un outil de combat contre la politique européenne et la domination des ports du range nord-européen, c'est-à-dire du Benelux ; soit je faisais abstraction de ces combats et je considérais qu'il s'agissait d'un beau chantier, d'un bel investissement utile pour les générations à venir. J'ai choisi cette seconde approche, mais je ne pouvais pas faire totalement abstraction de mon opinion sur l'Europe – Jean-Louis Bourlanges a sans doute bien noté que j'ai évoqué ma prédilection pour l'Europe des projets – et sur la façon dont la France s'inscrit dans la gouvernance européenne – à ce sujet, je partage tout à fait les propos de Christian Hutin.

Avant de lutter contre le canal Seine-Nord, j'ai mené de nombreux combats en faveur de certains projets. Quand Mme Voynet était ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, nous avons discuté non seulement du canal Rhin-Rhône, mais également du canal Seine-Est. Je suis alors allé voir la ministre dans son bureau, avec des acteurs du Havre, pour défendre ce projet. Mme Voynet considérait que ce dernier nécessitait la construction d'un trop grand nombre d'écluses par rapport au canal Seine-Nord, ce qui m'a choqué – ce critère n'est pas suffisant, d'autant que les écluses peuvent aussi s'avérer utiles.

Aujourd'hui, le chantier de la Lys mitoyenne est bien engagé et le canal est même quasiment terminé – la députée de la circonscription le sait bien car elle le voit régulièrement. Je vous invite à vous rendre sur place, monsieur Clément, comme je l'ai fait moi-même. Ce doit être le déplacement qui a coûté le moins cher à la commission des affaires étrangères, et cela a fait plaisir aux gens qui travaillent sur ce chantier : tant les ouvriers que les maîtres d'œuvre de Voies navigables de France ont été flattés de voir débarquer un rapporteur de la commission des affaires étrangères et ont senti que leur travail était valorisé. En me rendant sur place, j'ai aussi compris beaucoup de choses s'agissant du système hydraulique des canaux.

Ce déplacement m'a également fait prendre conscience d'un défi que nous devons tous relever – et je vous invite, monsieur Hutin, à me rejoindre dans ce combat, comme le font les élus des Hauts-de-France, qui ne sont pas mes amis politiques. On relie donc la Seine à l'Escaut. On peut y voir un risque, celui d'offrir la Seine aux ports du Benelux dont nous étendrions l' hinterland à l'Île-de-France. On peut aussi considérer, à l'inverse, qu'on relie la Seine et HAROPA, l'alliance des ports du Havre, de Rouen et de Paris, dont le potentiel est immense, aux pays du Benelux. On peut circuler sur une voie d'eau dans les deux sens ! Il faut soutenir tous les investissements possibles et imaginables pour mettre les infrastructures françaises au niveau – cela passe aussi par un rehaussement des ponts – et connecter les ports français à l' hinterland européen par cette voie d'eau.

Il est urgent et important de le faire car, demain, la question de la facture carbone par conteneur sera posée – tous ceux qui suivent les questions européennes le savent, notamment Jean-Louis Bourlanges car il a déjà eu l'occasion d'en discuter. Il faudra donc se demander à quel endroit il vaudra mieux débarquer les conteneurs, pour que la taxe carbone ne s'applique pas.

Souvent, les bateaux chinois qui arrivent dans la zone font un peu de cabotage, s'arrêtent au Havre – peu de temps –, avant de gagner Rotterdam ou Anvers. La facture carbone des conteneurs qui s'arrêtent au Havre et utilisent la voie d'eau, y compris pour aller vers le cœur de l'Europe, peut-elle concurrencer celle des « bouettes » qui débarquent à Rotterdam ou à Anvers ? Gageons que oui, et agissons pour qu'elle le soit.

De toute manière, nous n'avons pas le choix, sauf à faire exploser tout le système, ce que je propose parfois, sur des questions nationales. La question de la facture carbone, du climat, de l'environnement continuera d'être posée, de manière quasi universelle. C'est pourquoi il vaut mieux investir, tout de suite, fortement, pour lever les ponts sur le canal et développer le transport fluvial.

Vous posiez la question des services : il y en a une multitude à créer. Vous demandiez comment faire pour que le fluvial ait un sens, en France. La préfiguratrice du port d'HAROPA, Mme Rivoallon, lorsqu'elle était acheteuse pour de grands magasins parisiens, avait imposé la livraison par transport fluvial comme critère d'achat. Les acheteurs peuvent, eux aussi, adopter une démarche écologique volontariste. Les logisticiens et les armateurs disent toujours que c'est le client final qui décide. Le jour où il aura en tête d'être totalement écologique dans la livraison de ses produits, il choisira les conteneurs dont la facture carbone sera la moins élevée. Faisons en sorte que les ports français puissent présenter une telle facture. Si les ponts sont levés à partir de Dunkerque, le canal de la Lys mitoyenne devient pleinement crédible, pour décharger à Dunkerque et livrer à Lille, avec une facture carbone la plus basse possible. Si l'on fait le calcul à ce moment, ce sera non pas Le Havre qui aura la facture carbone la plus basse, mais Dunkerque et son secteur, qui peut être large, compte tenu du réseau fluvial considéré.

J'avais donc la possibilité de le prendre mal, de m'opposer au projet. Ma première réaction en débutant le travail sur ce rapport a d'ailleurs été de chercher à rencontrer tous ceux qui étaient contre le projet, par exemple les associations environnementales. Cela a été compliqué : ils n'étaient pas si nombreux, parce qu'il y a eu l'enquête publique, les gens se sont exprimés. Certains projets sont plutôt mieux présentés, y compris au débat public, que d'autres. C'était le cas de celui-ci, qui, bien que compliqué à mettre en œuvre, était bien amené dans le territoire, avec responsabilité et attention. Quand on voit les différents aménagements qui seront réalisés, on sent que les responsables du projet ont été à l'écoute des voisins, des maires, des gens du territoire. Cela se ressent et se vit sur le terrain.

Quant au pilotage de la section française, je connaissais déjà Voies navigables de France. Dans un appel d'offres, surtout pour un projet européen, il n'est pas simple de faire de la préférence locale, si j'ose dire. Il y en a pourtant un peu, ne serait-ce que dans la main d'œuvre qui a été prise en supplément pour faire cette activité. Cela reste limité, mais on sent un projet soutenu par le territoire.

Pour ce qui concerne les vingt ans de retard qu'a évoqués Jean-Claude Bouchet, la France a trop joué la carte des poids lourds. Un lobby a imposé sa politique au détriment du ferroviaire et du fluvial. Aujourd'hui, il est plus compliqué sinon de faire marche arrière, du moins de réorienter l'activité. Les vingt ans de retard sont une réalité. Toutefois, je suis communiste, donc optimiste pour changer les choses. Il faut rester optimiste et se dire que l'avenir nous appartient, ce sont nos décisions qui feront que ce projet et d'autres amélioreront la vie des générations à venir, celles de nos enfants et petits-enfants.

Je vous invite donc à voter pour. J'ai longtemps hésité à vous appeler à un tel vote et à le pratiquer moi-même, mais je le fais quand même au regard d'un tel projet.

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