Intervention de Clément Beaune

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Clément Beaune, secrétaire d'État :

Monsieur Anglade, je vais être clair : les conditions politiques ne sont pas réunies pour élaborer un deuxième plan de relance européen. Faut-il pour autant exclure d'en défendre l'idée ou d'obtenir un accord sur ce point ? Non. Mais nous avons, pour le moment, une première étape à franchir. Il nous faut ratifier la décision sur les ressources propres afin de procéder à l'endettement commun et de mettre en œuvre le plan de relance, dont je rappelle qu'il est très ambitieux puisqu'il se compose de près de 400 milliards d'aides directes aux États et de 360 milliards de prêts disponibles.

N'oublions pas, avant d'évoquer un possible nouvel abondement, que d'autres dispositifs européens, qui ne sont pas tous utilisés ou « saturés », sont à la disposition des États membres. Je pense au renforcement de l'action de la Banque européenne d'investissement, décidé par les ministres des finances au mois d'avril dernier, qui lui permet d'accorder des prêts supplémentaires, pour un montant total de 200 milliards d'euros. Je pense également au plan Support to mitigate Unemployment Risks (SURE), qui permet de financer l'assurance chômage européenne par des prêts à taux très favorables – plus intéressants, pour ce qui est des dernières émissions, que ceux dont bénéficient la plupart des États européens. Ce dispositif permet à un pays comme l'Italie, par exemple, de réaliser plusieurs centaines de millions d'économies dans le cadre du financement de son activité partielle.

Tout n'est pas parfait, loin de moi cette idée. Mais le plan de relance a été difficile à négocier politiquement : appliquons-le et accélérons sa mise en œuvre. J'ajoute, car j'ai omis de le préciser dans mon propos introductif, qu'il comporte un mécanisme de préfinancement qui permettra à chaque État membre de disposer dès le printemps, avant même la finalisation des procédures, d'une part, qui peut atteindre 10 %, de l'enveloppe à laquelle il a droit.

Je suis favorable à une accélération et, éventuellement, à la prise en compte de certaines mesures d'urgence, destinées à répondre immédiatement à la crise, dans les financements européens. À ce propos, je précise que sont prises en compte au titre des dépenses éligibles au financement du plan de relance celles qui ont été réalisées dès février 2020. Ainsi les États membres qui ont financé, dès le début de la crise sanitaire, certains dispositifs d'investissement ou de soutien, tels que l'assurance chômage, peuvent les soumettre à un financement européen.

Cependant, il ne faut pas exclure que la réponse européenne soit amplifiée et se prolonge. Mais beaucoup d'États membres s'étant opposés au principe même d'un plan de relance et d'une dette commune et a fortiori au montant ambitieux de 750 milliards, il faut faire la démonstration que ces financements européens peuvent être rapidement opérationnels et qu'ils sont utiles à la relance de nos économies. Cela relève de la responsabilité de l'ensemble des États membres, notamment de ceux, dont la France, qui ont défendu l'idée d'un plan de relance.

S'agissant des nouvelles ressources propres, plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le calendrier. Je veux, à cet égard, souligner à nouveau le rôle du Parlement européen qui, au-delà de l'accord du 21 juillet sur le principe de nouvelles ressources propres, a souhaité que la feuille de route soit précisée. Il a ainsi obtenu une présentation rapide des actes législatifs relatifs à deux ressources – sur lesquelles le consensus me semble plus fort que sur d'autres –, à savoir la taxe sur les entreprises numériques et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ce dernier consiste, je le rappelle, à faire payer aux entreprises qui exportent vers l'Union européenne et qui ne sont pas soumises aux mêmes exigences environnementales que les nôtres le prix du carbone dont ces dernières s'acquittent. Force est de reconnaître, au-delà des différences de sensibilité politique, qu'une telle mesure est juste, efficace et qu'elle contribue au financement du budget de l'Union européenne en faisant payer les acteurs internationaux qui profitent de notre marché sans y contribuer.

Sur ces deux ressources, qui obéissent à une logique identique et qui constituent une priorité, notamment de la prochaine présidence française de l'Union européenne, la Commission a pris l'engagement – et il sera tenu, car le Parlement l'a exigé et nous y veillerons – de présenter les textes législatifs au premier semestre 2021. Le Parlement européen et le Conseil se sont quant à eux engagés à aboutir à un accord législatif d'ici à la fin du premier semestre 2022 afin que les textes entrent en application au plus tard le 1er janvier 2023.

D'autres ressources figurent dans la feuille de route. Deux d'entre elles ont été évoquées par plusieurs d'entre vous : la taxe sur les transactions financières – je pourrai y revenir –, et l'ACCISS. Cette dernière a pour objet, j'y insiste, non pas d'augmenter la pression fiscale, mais d'harmoniser nos impôts sur les sociétés dans la perspective d'affecter ultérieurement cette ressource à l'Union. S'agissant de ces deux mesures, l'engagement a été pris de présenter les textes en 2024, pour une mise en œuvre d'ici au 1er janvier 2026.

Le calendrier est certes plus long, car le débat politique, qui soulève des questions plus lourdes, est technique et beaucoup moins avancé. Mais il se veut ambitieux puisque l'objectif est bien de disposer d'une série de ressources propres supplémentaires pour le prochain cadre budgétaire, lorsque débutera le remboursement de l'emprunt. Je rappelle en effet que la dette destinée à financer le plan de relance ne sera pas remboursée pendant la période 2021-2027. Cette décision relève, non pas de l'irresponsabilité, mais d'une bonne gestion économique : nous empruntons et investissons pendant la crise et nous commencerons à rembourser lorsque la reprise sera là et que nous disposerons de ressources propres supplémentaires. Ce remboursement s'étalera – là encore, j'y insiste – sur trente années. J'ajoute que le montant du remboursement annuel collectif de cet emprunt est évalué aux alentours de 17 milliards, soit environ 10 % d'une annuité du budget européen.

La question des rabais est très importante. Nous nous sommes battus pour obtenir leur disparition. Certes, nous n'avons pas gagné. Mais nous avons obtenu une avancée majeure sur la dette commune et, même si elle reste à finaliser, sur les ressources propres. Le prochain combat sera celui de la refondation du système de financement, qui implique la suppression des rabais. En tout état de cause, je crois, je le dis franchement, que nous ne pouvions pas, d'un point de vue politique, obtenir également satisfaction sur ce point dans le cadre de cette négociation.

Nous n'avons pas, je le rappelle, créer les rabais lors de la négociation du cadre financier pour la période 2021-2027. Celui dont bénéficiait le Royaume-Uni existait depuis 1984 – je n'en rappelle pas l'histoire, bien connue ; quant aux quatre autres, ils existent depuis 1999. Ils ont, c'est vrai, augmenté pour plusieurs pays. Mais, je tiens à le préciser, sans entrer moi-même dans la logique du juste retour, nous avons bien négocié, du point de vue de l'intérêt financier du pays. De fait, la contribution nette de nos grands partenaires a nettement plus augmenté, à la suite du Brexit, que celle de la France. Pour l'Allemagne, par exemple, cette augmentation est deux fois plus importante que pour notre pays, lequel est, en revenu par habitant, le huitième contributeur net au budget de l'Union européenne. Je ne veux pas multiplier ces chiffres, car je ne souhaite pas que l'on s'en tienne à une logique du juste retour – ce serait une vision étriquée et fausse de l'apport de l'Union européenne –, mais il est légitime que vous ayez connaissance de ces éléments budgétaires.

Par ailleurs, pour la France, le coût des rabais a diminué à la suite du Brexit. Leur coût annuel total était, jusqu'à la fin de l'année de 2020, de 2 milliards, dont la moitié était imputable aux Britanniques ; il est désormais légèrement inférieur à 1,5 milliard. Le rappel de ces ordres de grandeur n'a pas pour objet de légitimer ces rabais, mais d'éclairer notre débat sur cette question.

Monsieur Holroyd, j'ai évoqué les travaux d'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Cette mesure peut paraître technique, mais elle est le préalable absolu à toute harmonisation de cet impôt et un outil nécessaire si nous voulons encadrer ses taux et lutter contre un dumping fiscal européen qui existe dans ce domaine, comme en témoignent les taux extrêmement agressifs appliqués par certains de nos partenaires.

Je ne reviendrai pas en détail sur la question de l'État de droit, dont j'ai dit, devant votre assemblée et devant le Sénat, combien elle était importante. Nous ne comptions céder ni sur le plan de relance, en le retardant ou en le rabotant, ni sur la protection des valeurs. La décision qui a été prise marque une avancée politique, au sens noble du terme, importante. J'assume le fait que la France contribue au budget de l'Union européenne, car elle y trouve des avantages. En revanche, je n'assumerais pas devant vous le fait que des États membres qui ne respecteraient pas des valeurs essentielles bénéficient de notre solidarité financière. Je parle là, non pas de points secondaires ou de choix politiques qui relèvent de chaque parlement et de chaque gouvernement, mais de valeurs essentielles qui nous relient et qui figurent dans nos traités. Chacun serait choqué que la solidarité s'exerce au bénéfice de pays qui ne respecteraient pas ces contreparties minimales.

Les rabais sont liés à chaque décision concernant les ressources propres. Ils ont été reconduits dans le cadre de la dernière décision ; je le déplore, mais cette reconduction participe d'un équilibre politique qui est en définitive très favorable à nos ambitions européennes et à nos intérêts. En tout état de cause, ils seront rediscutés dans le cadre de la prochaine décision sur les ressources propres – les pays concernés le savent : c'est la nouvelle frontière, si je puis dire. À ce propos, d'aucuns font des calculs en comparant le bénéfice que chacun tirera du plan de relance et la contribution qu'il y apportera, mais un tel calcul n'est pas possible puisque personne ne connaît la prochaine décision relative aux ressources propres. Et, lorsqu'elle interviendra, il sera dans l'intérêt de la France de défendre une remise à plat du système de financement, remise à plat qui n'est pas impossible puisque nous avons obtenu des avancées très importantes sur le système de ressources propres et le financement par la dette commune. Il est donc faux de dire que les choses sont figées, définitivement écrites. Si des réticences s'exprimaient sur de nouvelles ressources ou sur certains paramètres, nous aurions, nous aussi, les moyens d'imposer que ceux-ci soient redéfinis. Les rabais ne sont pas un droit historique garanti aux pays qui en bénéficient encore pour les sept années qui viennent.

S'agissant de la contribution liée au recyclage des déchets en plastique, je vous propose, pour ne pas être trop long, de vous communiquer quelques éléments chiffrés, notamment sur le prix de la tonne pris en compte pour le calcul de cette contribution. Je précise, c'est un point important, qu'il ne s'agit pas – on peut le regretter ou s'en réjouir – d'une ressource propre au sens strict, et encore moins d'une taxe. Il s'agit d'un système de bonus-malus qui, pour être tout à fait honnête, porte sur de petits montants. C'est vrai, Jean-Michel Clément l'a dit, il n'y a pas de double dividende en la matière : plus on recyclera de matière plastique, plus cette ressource diminuera. Mais ce système ne contribue pas significativement au budget européen ; c'est un signal positif, mais il ne faut pas accorder une importance excessive à cette ressource. Mieux vaut concentrer le combat sur les véritables ressources propres qui peuvent être mobilisées dans les mois qui viennent. J'ajoute que, pour la France, le coût annuel lié à ce système de bonus-malus est, non pas de 1 milliard, comme je l'ai entendu dire – ce chiffre correspond à l'assiette globale –, mais de 60 millions, sachant, je le rappelle, que le montant total de notre une contribution dépasse 20 milliards.

Monsieur Masséglia, vous m'avez interrogé sur les contraintes et les risques liés à ces nouvelles ressources propres. Je l'ai indiqué de la manière la plus honnête possible : pour la première fois, leur principe et leur nature font l'objet d'un accord. Quant à leur contenu, leur montant et leur calendrier, ils doivent encore – même si j'ai rappelé les engagements politiques qui ont été pris en la matière – faire l'objet d'un débat législatif, national et européen. Jamais le principe de la création de nouvelles ressources propres n'a fait l'objet d'un consensus politique européen aussi fort. Les pays qui étaient le plus réticents – Pays-Bas, Autriche, Suède – ont beaucoup évolué sur cette question, notamment sur le volet environnemental, non seulement parce que la préoccupation climatique est plus forte mais aussi parce qu'ils perçoivent bien l'enjeu budgétaire, auquel ils sont parfois plus sensibles que nous. Après 2027, le budget européen ne pourra pas se dispenser de nouvelles ressources, quand bien même ces pays dits frugaux renonceraient-ils à leurs rabais. De fait, avec le plan de relance – certains le déplorent, je m'en félicite –, nous franchissons une étape supplémentaire vers une solidarité budgétaire européenne. Face au choix d'augmenter leur contribution nationale et de renoncer à leur rabais ou de créer de nouvelles ressources propres, leur priorité, je crois, sera claire. La Suède ou les Pays-Bas, par exemple, longtemps hostiles par principe à de nouvelles ressources propres, défendent désormais certaines d'entre elles, notamment la réforme du système d'échange de quotas d'émission (ETS) ou la taxe carbone aux frontières. Il reste du travail, nous avons un combat à mener, et j'espère que nous serons le plus nombreux possible, ici comme au Parlement européen.

Monsieur Herbillon, s'agissant des délais d'examen du projet de loi, on peut, certes, toujours faire mieux. Mais je m'efforce toujours de répondre au plus grand nombre de questions possible, par écrit ou par oral, devant les deux assemblées. Je me suis exprimé pour la première fois devant l'Assemblée nationale sur l'accord budgétaire, plus précisément sur la question des ressources et de la dette, le 28 juillet, lors des questions au Gouvernement. Quant à la décision relative aux ressources propres dont nous discutons aujourd'hui, elle est connue depuis plusieurs mois et nous avons répondu à de nombreuses questions sur le sujet.

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