Je tenais tout de même à dire que nous avons des échanges réguliers sur la question.
Quoi qu'il en soit, sur le fond, vous avez souligné, et je vous en remercie, le caractère historique des avancées obtenues et vous partagez le combat que nous entendons mener dans la perspective des prochaines étapes concernant les ressources propres. À cet égard, j'observe qu'il existe parfois un écart entre les positions défendues par une même famille politique – ce n'est pas le cas de la vôtre – à l'Assemblée nationale et au Parlement européen, monsieur Lecoq, où elle se montre beaucoup plus hostile aux ressources propres. Soyons cohérents jusqu'au bout. Par ailleurs, je sais, monsieur Herbillon, que le combat en faveur des ressources propres et de la réforme du budget européen – qui est, du reste, au-delà des alternances ou sensibilités politiques, conforme à l'intérêt national – est mené depuis longtemps par nombre d'entre vous. Je sais votre engagement personnel de longue date en la matière.
Comment garantir le remboursement ? Par les ressources propres. Si l'on additionne le produit de la taxe sur le numérique, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et la réforme du système ETS, ce sont 10 milliards à 30 milliards de ressources propres supplémentaires qui seront affectées au budget européen, sachant que la contribution française annuelle s'élève à un peu plus de 20 milliards et le remboursement annuel de l'emprunt lié au plan de relance à 17 milliards. Ainsi, même si nous ne disposions que de deux de ces trois ressources propres, nous pourrions largement rembourser chaque annuité du plan de relance à partir de 2028. Au-delà, je crois, comme le disait Jean-Louis Bourlanges, que c'est une bonne logique de financement du budget européen et la seule façon de sortir d'un débat délétère sur le juste retour. Quant au remboursement, il nous appartient d'en définir les paramètres. C'est un combat à mener, je l'admets, mais il est faux d'affirmer que la France devra s'acquitter d'une facture ou d'un impôt caché.
Peut-être pensiez-vous, en évoquant le renforcement de la capacité de contrôle, à une forme de mainmise qu'un État pourrait exercer sur un autre dans le cadre des plans de relance. Permettez-moi donc d'en expliquer la mécanique. Chaque pays va soumettre à l'ensemble des ministres des finances son plan national de relance et de résilience et demander un cofinancement européen. Je mentionnerai deux points importants, à cet égard. Tout d'abord, nous avons refusé tout système de veto, qui aurait conduit à faire de chacun l'otage de son voisin et aurait permis à un pays – du nord de l'Europe, par exemple – de contester tel investissement réalisé par un autre ou de lui recommander telle réforme ; ce type de débat serait malsain. En revanche, il est sain d'avoir une discussion collective pour coordonner nos priorités – 30 % pour le climat, 20 % pour le numérique – tout en permettant à chaque pays de bénéficier de la souplesse nécessaire pour construire son propre plan. Aucune unanimité n'est requise, aucun veto ne permet à un pays du nord de bloquer un pays du sud, pour citer un exemple qui n'est pas qu'un cas d'école.
Ensuite, je m'inscris en faux contre l'idée tant débattue d'une conditionnalité, selon laquelle l'Europe nous imposerait de réaliser telle réforme pour pouvoir bénéficier de l'argent européen. Nos plans de relance sont coordonnés, c'est normal et sain. La France déplore de longue date, toutes majorités confondues, l'insuffisance de la gouvernance économique et de la coordination des politiques économiques ; or, nous avons là un outil pour les renforcer : utilisons-le ! Mais, encore une fois, il n'existe aucune liste, cachée ou non, des réformes qui seraient exigées par Bruxelles ou par tel partenaire en contrepartie de l'argent européen.
Monsieur Bourlanges, vous avez raison, les ressources propres ont tendanciellement baissé au fil du temps parce qu'on n'en a pas créé de nouvelles et qu'on les a, de fait, remplacées en masse par une contribution annuelle des États, laquelle a l'avantage de la simplicité et l'inconvénient de s'inscrire dans une pure logique du juste retour, qui veut que chacun fasse le compte de ce qu'il verse à l'Europe et de ce qu'il en retire immédiatement. Par ailleurs, la France défend la taxe sur les transactions financières, qui est inscrite dans la feuille de route. Quant à l'impôt européen sur les sociétés, il n'est pas pour demain. Encore une fois, il ne s'agit certainement pas de créer un impôt européen – ce serait une folie et un mauvais signal – mais de rapprocher nos fiscalités pour éviter le dumping et, éventuellement, d'affecter à terme une part de ces impôts existants au budget européen.
Il est possible que certaines ressources soient mobilisées dans le cadre de coopérations renforcées ; c'est le cas actuellement de la taxe sur les transactions financières. C'est un peu compliqué techniquement et juridiquement, mais il n'est pas impossible, si une ressource est créée par quelques États, qu'elle puisse financer leur quote-part du remboursement de l'emprunt collectif après 2027. En tout cas, il ne faut pas exclure cette possibilité, car la coopération renforcée fiscale est un bon outil.
Monsieur Clément, vous avez dit ressentir une certaine aigreur. Cette avancée européenne – que vous ne remettez pas en cause – est, c'est vrai, le produit d'une contrainte, d'une crise. C'est du reste souvent le cas en Europe : nous progressons dans la crise et nous prenons conscience de la nécessité d'une réponse collective lorsque nous sommes confrontés à un problème collectif. C'est du reste plutôt une bonne nouvelle, car tel n'a pas toujours été le cas. Je pense à la crise précédente, celle des dettes, à laquelle nous avons mal répondu, trop peu ou trop tard, au plan européen. Cette fois, nous avons élaboré une réponse solidaire et économique ambitieuse : le plan de relance et la dette commune, que nous ne pouvions pas imaginer il y a quelques mois de cela. Ce n'est donc pas, me semble-t-il, l'aveu d'une faiblesse ou le seul produit d'une contrainte.
Quant au renforcement du poids de certains pays, si vous faisiez allusion au dispositif de contrôle que j'ai évoqué il y a un instant, j'espère vous avoir répondu, tout comme sur la taxe sur les plastiques.
Monsieur Lecoq, je garde également un bon souvenir de notre échange amical au Havre. La question des accords de libre-échange est un vaste débat. Je partage, plus que vous ne l'imaginez, votre réticence sur le contenu de certains de ces accords ou la façon de les négocier. Mais ne mélangeons pas les débats. On ne peut pas mesurer la pertinence de ces accords à la seule aune de la ressource que les droits de douane apporteraient au budget européen. Les nouvelles ressources propres dont nous avons discuté permettent de compenser largement la baisse historique de ces droits qui, je le rappelle, sont, indépendamment de tout accord de libre-échange, très sensibles à la crise. Ainsi, l'augmentation de notre contribution au budget pour 2021 de l'Union européenne est due en grande partie à la baisse des ressources propres traditionnelles, notamment les droits de douane. Ce ne serait pas une bonne chose de soumettre le budget européen à cette logique cyclique. Nous pouvons donc mener ensemble le combat pour des ressources propres qui sécurisent le budget européen, sortent de la logique du juste retour et nous permettent de financer de manière ambitieuse des politiques publiques dont nous avons le souci commun.
La réflexion sur les ports francs s'est ouverte à l'occasion du Brexit. Les Britanniques pourraient en effet décider – nous verrons ce qu'il en est – d'accorder des avantages fiscaux, sociaux ou réglementaires à des zones portuaires. Nous devons donc étudier ensemble cette question, avec nos partenaires Belges ou Néerlandais, car il ne serait pas responsable de laisser les Britanniques agir sans évaluer la compétitivité de nos ports. Il ne s'agit pas de s'inscrire dans une logique de dumping ou de course au moins-disant, mais nous devons nous pencher, indépendamment même du Brexit, sur la compétitivité portuaire. Du reste, sur ce sujet comme sur d'autres, l'accord que nous aurons bientôt définitivement conclu avec le Royaume-Uni nous préserve d'une logique de dumping en prévoyant la possibilité de prendre des mesures de rétorsion. Notre objectif n'est pas de participer à une course vers le bas, si le Royaume-Uni s'y lançait, et nous n'entendons pas subir sans pouvoir réagir une compétitivité accrue, s'il cherchait à la renforcer pour compenser les effets du Brexit.
Enfin, comment les parlementaires peuvent-ils aider le Gouvernement ? En menant, au-delà de leurs différences légitimes de sensibilité politique, le combat sur les ressources propres, ici comme au Parlement européen.