Intervention de Clément Beaune

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Clément Beaune, secrétaire d'État :

Monsieur Mbaye, concernant les nouvelles ressources propres, j'ai déjà détaillé le calendrier envisagé dans la feuille de route agréée par le Parlement européen. Pour ce qui est du respect de l'État de droit, il y a eu une bataille de communication politique mais le mieux est d'en revenir aux faits. Pour la première fois, un mécanisme lie le budget européen et le respect de l'État de droit. Ce mécanisme est-il parfait ? Non. Marque-t-il une rupture ? Oui. C'est d'ailleurs pour cette raison que la Hongrie et la Pologne, une fois le règlement adopté, se sont fortement mobilisées : elles ont bien pris conscience de la portée politique de ce lien de conditionnalité.

Au Conseil européen de décembre dernier, nous n'avons en rien revu les dispositions du règlement relatives à l'État de droit.

Qu'est-ce qui est permis par ce règlement ? Il faudra établir un lien suffisamment direct entre la violation de l'État de droit et l'utilisation des fonds européens, ce qui peut aller assez loin. Ainsi, on pourra considérer qu'il a été porté atteinte à l'indépendance de la justice si l'utilisation des fonds européens a été entachée de fraude ou de corruption. On sait que ce n'est pas un cas d'école dans certains pays européens. Tout dépendra également de la manière dont les juges nationaux et ceux de la Cour de justice de l'Union européenne interpréteront ce mécanisme mais, en tout cas, il faudra un lien avec l'utilisation des fonds européens. Ce n'est pas un outil de nature budgétaire qui viserait à sanctionner tout accès aux fonds européens pour toute violation de l'État de droit. Ce lien sera défini par la jurisprudence. La Commission européenne évaluera si les conditions sont réunies. Le Conseil européen se prononcera par un vote à la majorité qualifiée. Deux pays – au hasard – ne pourraient bloquer, seuls, l'application de la décision que la Commission proposerait au Conseil. Ce mécanisme complète l'arsenal juridique destiné à faire respecter l'État de droit et qui a été renforcé ces dernières années. Nous devrons aller plus loin. L'article 7 du Traité sur l'Union européenne, de nature essentiellement politique, est important. Il enclenche une procédure d'explications qui peuvent aller jusqu'à la sanction. Deux pays ont déjà été visés par cette procédure, la Hongrie et la Pologne. N'oublions pas, plus généralement, l'action de la Cour de justice de l'Union européenne : lorsqu'elle a identifié des violations de principes liés à l'État de droit, consacrés par l'article 2 de ce même traité, elle les a sanctionnées. Elle a ainsi sanctionné, au titre de la liberté académique consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l'Union, la fermeture d'universités européennes, que l'on peut considérer comme une forme d'atteinte à des principes fondamentaux ou liés à l'État de droit. Nous disposons d'un mécanisme politique, quelque peu tribunitien, osons le dire, avec l'article 7, d'un mécanisme juridique par le respect des principes européens garantis par la Cour de justice et, à présent, d'un mécanisme de nature budgétaire qui crée, pour la première fois, un lien de conditionnalité entre la perception des fonds européens et le respect de ces valeurs essentielles.

Pour ce qui est du délai, présenté par certains gouvernements comme un changement, j'y insiste – et je vous renvoie aux conclusions du sommet européen de décembre dernier : le contenu de la législation n'a pas été modifié. Ce qui est verbalisé dans les conclusions, c'est un droit déjà existant : celui pour chaque pays – M. Dupont-Aignan devrait s'en féliciter –, de contester devant la Cour de justice toute législation d'un pays de l'Union qui ne serait pas conforme au Traité, pour ce qui est tant de la procédure que du fond. Les gouvernements de la Pologne et de la Hongrie veulent intenter un recours devant la Cour de justice contre cet instrument législatif, mais ce n'est pas un droit que nous avons créé : il existait déjà. En revanche, et c'est là qu'il y a un engagement politique, la Commission a déclaré qu'elle attendrait que la Cour de justice constate une violation de l'État de droit pour proposer une sanction dans le cadre de ce mécanisme. Rien n'empêche la Commission, elle l'a assuré, de lancer dès le 1er janvier une investigation si on lui signale des fraudes graves liées à l'État de droit dans l'utilisation des fonds européens. Elle a simplement choisi d'attendre la décision de la Cour de justice pour proposer une sanction au Conseil. Soyons clairs, l'activation de ce mécanisme prendra, de toute façon, plusieurs mois. Je ne crois pas que l'on ait perdu du temps avec cette sorte de délai d'opportunité que la Commission souhaite utiliser.

Plus important encore : l'absence d'effet suspensif. Dès le 1er janvier de cette année, pour le budget 2021-2027 et pour le plan de relance, toute violation de l'État de droit qui serait constatée peut donner lieu à sanction, quelle que soit la date à laquelle la Commission constate cette violation et la signale au Conseil. Qu'une procédure soit en cours, au même moment, devant la Cour de justice, n'y changera et ne retardera rien. Le mécanisme a démarré le 1er janvier, à zéro heure. Si un État membre violait l'État de droit cette semaine, il n'échapperait pas à la sanction sous prétexte qu'une procédure est en cours devant la Cour de justice. Cela vaut pour tout le nouveau budget 2021-2027, depuis le premier jour, pour tout le plan de relance mais pas pour l'ancien budget en raison du principe de non-rétroactivité, sans que cela ait un rapport avec un recours éventuel devant la Cour de justice.

Le mécanisme est très certainement perfectible mais il est innovant et crée, pour la première fois, un lien réel et politique important entre le bénéfice des fonds européens et le respect des valeurs fondamentales. C'est essentiel. Monsieur Dupont-Aignan, il est légitime que la France soit une contributrice nette au budget de l'Union européenne car on a en a pour notre argent, mais elle peut poser des conditions, par rapport au détachement ou au respect des valeurs politiques. On ne peut pas bénéficier des largesses de l'Union sans respecter un socle essentiel qui nous relie. Les valeurs politiques en font partie.

Mme Le Peih m'a interrogé au sujet du Pacte vert. En effet, 30 %, voire 37 %, des dépenses du plan de relance et du budget seront attribuées à la lutte contre le réchauffement climatique. Concernant la taxe plastique, attention à la dénomination qui pourrait prêter à confusion : il ne s'agit pas d'une taxe ni d'une ressource propre au sens strict mais d'un mode de calcul de la contribution actuelle des États membres, qui ne change quasiment rien aux sommes en jeu. Les États les plus vertueux dans le recyclage du plastique paient un peu moins, les moins vertueux paient un peu plus. En revanche, la refonte du système des ETS, l'instauration d'une taxe carbone aux frontières et d'une taxe sur les services numériques permettront de dégager de nouvelles ressources propres.

Pourquoi voulons-nous ajuster la taxe carbone aux frontières européennes en étendant le dispositif aux entreprises étrangères ou aux importateurs vers l'Union ? Sans entrer dans les détails, ce serait la solution la plus robuste juridiquement, au regard des règles européennes et internationales. Elle nous éviterait d'engager un débat interminable pour réformer l'Organisation mondiale du commerce. Surtout, la même règle s'appliquerait aux entreprises européennes et non européennes. Il n'y a pas de raison pour que nos entreprises, qui subissent une concurrence internationale impitoyable, dans les secteurs de l'automobile, de l'acier ou du ciment par exemple, soient soumises à des contraintes écologiques que ne supporteraient pas les Chinois, les Indiens, les Américains, qui pourraient continuer à produire comme avant et à exporter leurs produits chez nous ! Ce serait injuste, inacceptable et inefficace pour le climat. Nous devons donc créer un mécanisme d'équivalence ou d'ajustement entre les obligations que nous faisons supporter à nos entreprises et celles qui pèsent sur les entreprises non-européennes.

M. Dupont-Aignan a posé toute une série de questions précises, d'ordre budgétaire ou politique. Je serai très honnête. La dette commune européenne marque une avancée fondamentale. D'ailleurs, vous avez parfois critiqué l'austérité, les positions trop allemandes de l'Europe – je n'emploie peut-être pas le bon vocabulaire mais vous reconnaîtrez vos positions. Nous avons fait progresser la solidarité européenne, c'est important. Que serait-il advenu si nous n'avions pas créé cette dette commune ni prévu un plan de relance européen de cette envergure ? Je ne parlerai pas de la France, pour décentrer le débat, mais de l'Italie. Un partenaire comme l'Italie n'aurait pas pu financer immédiatement sa réponse économique à la crise. Regardez ses taux d'intérêt sur les marchés financiers internationaux ! Ce sont de grands méchants, certes, mais quand on en dépend, il faut faire avec. À court terme, l'Italie n'aurait pas pu emprunter. La dette européenne n'est pas une construction de fédéralistes dingues mais un soutien immédiat pour nos partenaires européens. Ce n'est pas neutre pour la France, d'ailleurs ! Quand on réalise 50 % de ses exportations vers le marché intérieur, ce qui se passe ailleurs est intéressant ! Vous en serez peut-être surpris mais je partage certaines de vos critiques contre l'Europe. C'est vrai, il lui est arrivé d'être naïve, à l'intérieur comme à l'extérieur. Encore aujourd'hui, elle laisse passer des pratiques de dumping intérieur, social ou fiscal. Remontons nos manches et essayons d'améliorer la situation, sans casser un marché intérieur, un projet politique, dont je suis convaincu qu'il nous apporte beaucoup même s'il n'est pas parfait. Nous pouvons d'ailleurs le réformer. Si vous me permettez cette comparaison historique, le Général de Gaulle lui-même a accepté le marché commun, après l'avoir critiqué. Il en a même accéléré la mise en œuvre en échange du soutien de l'Europe à nos agriculteurs, confrontés à une rude concurrence. Or, le marché commun a été instauré entre 1957 et 1958, la politique agricole commune, en 1962. Le Général de Gaulle avait fait le pari que le combat continuerait et que la France gagnerait. Pour ma part, je n'ai pas l'esprit de défaite. Si cet esprit de défaite nous avait guidés, nous n'aurions eu ni plan de relance, ni vaccins. Ce vaccin que l'on achète en Europe est non seulement sûr mais aussi moins cher car nous nous sommes mis à vingt-sept pour le commander. Cet aspect de la politique vaccinale est critiqué mais je la défends bec et ongles car j'y crois dur comme fer. Elle concrétise l'efficacité de la coopération européenne. Dernier argument auquel vous serez sans doute sensible : l'Union européenne paie les vaccins deux fois moins cher que nos amis britanniques. Rien que cette économie-là se chiffre à plusieurs milliards d'euros pour la France, l'Allemagne et nos partenaires européens. Autre exemple : je sais que vous n'aimez pas beaucoup la monnaie unique mais l'euro permet à la France de réduire de près de 30 milliards chaque année la charge de la dette, soit une fois et demie notre contribution au budget européen. Avant la monnaie unique, la charge de la dette s'élevait à 37 milliards environ. Elle est la même aujourd'hui, alors que la part de la dette dans le PIB a doublé. Vous voyez que votre logique du juste retour – je paie, je reçois – est simpliste. Nous devons élargir le débat. Beaucoup de questions légitimes se posent. Je suis d'accord avec vous : il n'est pas normal qu'une usine reçoive des subventions pour s'installer en Pologne. Portons ce combat, celui de l'ajustement carbone aux frontières, mais ne parlons pas de défaut existentiel de l'Union européenne, comme si l'on se réjouissait de quelques faiblesses de cette Union, que l'on pourrait corriger à condition d'y croire et de se battre. Le plan de relance en est la meilleure preuve. Qui croyait au plan de relance, il y a un an ? Qui croyait que l'Allemagne accepterait la dette commune européenne, que la Banque centrale européenne nous ferait économiser des centaines de milliards d'euros grâce à des taux de financement plus favorables ? Sans la Banque centrale européenne, nous n'aurions pas pu instaurer le dispositif de l'activité partielle ni aider les entreprises comme nous l'avons fait. Elle a su sortir d'une orthodoxie qu'on a pu lui reprocher pour devenir extrêmement pro-croissance et soutenir les entreprises face à la crise.

Je ne suis pas un Européen béat pour qui tout va bien mais je ne me sens pas résigné. Nous pouvons nous battre ! C'est en tout cas l'état d'esprit qui a dominé chez tous les Présidents de la République depuis 1958.

Concernant le Mercosur, la position de la France est très claire et je ne vois pas ce que vous entendez par « double langage ». Ne mélangeons pas tout, il y a des procédures à respecter. La Commission européenne négocie, puis elle rend compte. Elle a ainsi conclu, à son niveau, un accord avec les pays du Mercosur, mais cet accord n'est pas encore entré en vigueur. Il ne le sera qu'une fois achevées les procédures de ratification respectives de chaque État membre. En d'autres termes, le Parlement européen doit approuver cet accord ainsi que tous les États membres, à l'unanimité. En l'espèce, je ne crois pas que vous aurez l'occasion de vous opposer à ce traité car le Président de la République a écrit à Jean-Claude Junker, en 2019, que la France n'approuvait pas cet accord. S'il est entièrement renégocié, nous verrons. Pour l'heure, les normes sanitaires et alimentaires ne sont pas suffisamment garanties, les engagements pour la déforestation sont insuffisants, ce qui est particulièrement inquiétant quand on voit l'état de l'Amazonie brésilienne. Quant à l'Accord de Paris, son respect n'est pas assuré. En l'état, cet accord avec le Mercosur n'est pas acceptable, même si les négociations durent depuis des années. Renseignez-vous auprès de nos partenaires européens : ils ont bien compris le message. Nous ne sommes pas seuls, d'ailleurs, puisque les parlements néerlandais, autrichien et irlandais partagent nos réticences.

Madame Tanguy, je vous remercie pour votre invitation. J'ai récemment accompagné le ministre des affaires étrangères, Lorientais notoire, dans le Morbihan. Je viendrai aussi dans le Finistère, où j'ai des attaches.

Les ressources propres seront l'une des batailles de la présidence française de l'Union européenne et j'espère que nous pourrons faire avancer les dossiers de la taxe sur les services numériques ainsi que de la taxation carbone à nos frontières. Menons ce combat ensemble plutôt que de partir battus d'avance.

Madame Genetet, pour la première fois, le budget consacre l'existence d'un programme de santé européen qui sera doté d'une enveloppe de 5 milliards, voire 5,7 milliards si l'on tient compte de l'inflation. C'est vrai, nous aurions pu aller plus loin, mais de nombreuses lignes augmentent et l'une d'elle consacre l'Europe de la santé. C'est déjà beaucoup. D'ailleurs, le budget ne résume pas tout ce que l'on fait pour la santé au niveau européen. Ainsi, 2 milliards d'euros ont été consacrés à l'achat commun des vaccins, indépendamment du budget. L'Europe de la santé se développe sous diverses formes, sans se limiter à l'octroi d'un budget de 5,7 milliards d'euros.

Monsieur Nadot, je ne comparerai pas la situation en Pologne ou en Hongrie, où se pose la question du droit à l'avortement ou de l'indépendance de la justice, avec celle en Espagne. Chacun pense ce qu'il veut des événements de Catalogne mais l'Espagne n'a pas géré cette crise en violant des principes démocratiques. Elle dispose d'un ordre constitutionnel et juridique, que je ne jugerai pas, qui lui permet de garantir l'application des décisions nationales et européennes. Des procédures restent en cours, vous le savez. Le Gouvernement espagnol, face à la crise, n'a pas remis en cause son cadre constitutionnel et juridique, ni violé l'État de droit. Ce n'est pas un commentaire diplomatique, je le pense sincèrement. Les voies de recours restent ouvertes aux personnes en cause, y compris au niveau européen.

M. Berville, votre question s'inscrit dans un très vaste débat. Le sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine, qui devait se tenir en octobre, a été reporté en raison de la crise sanitaire. Il se tiendra sans doute sous la présidence portugaise, qui a commencé le 1er janvier dernier. Plusieurs débats sont en cours. La France organisera un sommet pour un financement plus équitable de l'économie africaine. Nous lui donnerons bien évidemment une dimension européenne. L'architecture européenne des banques de développement est un autre sujet que la présidence française de l'Union pourrait porter. L'une de nos compatriotes est à la tête de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. La Banque européenne d'investissement, qui a augmenté le nombre de ses interventions extérieures, partage bon nombre de priorités avec l'Agence française de développement, notamment pour la préservation du climat. Tout un paysage de financements et développements se profile à l'horizon et mérite d'être amélioré. Ces sujets posent la question de la souveraineté. L'Union européenne est le premier investisseur et le premier partenaire, en Afrique. Notre influence est-elle à la hauteur de cette relation ? Non. D'autres pays, en particulier la Chine, par des actions symboliques, ciblées ou qui créent une relation de dépendance, nous concurrencent. Nous devons reconstruire cette relation, en mutualisant nos efforts plutôt qu'en allant planter chacun notre petit drapeau. Enfin, l'Europe, à la demande de la France et de l'Allemagne, s'est donné la possibilité de réserver, dans ses achats de doses de vaccins, une part qui pourra être donnée à l'Afrique – sachant que la quantité achetée suffira largement à couvrir progressivement les besoins en Europe. Nous l'avons fait par solidarité et humanité, bien sûr, mais aussi dans notre propre intérêt car il serait illusoire de croire que nous pourrions nous en sortir sans que le monde entier ait vaincu la pandémie par la vaccination. La France et l'Europe, en tout cas, soutiennent ces initiatives internationales comme COVAX ou ACT Accelerator. Voilà quelques éléments des relations entre la France et l'Afrique, auxquelles le Président de la République tient particulièrement.

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