Intervention de Hervé Berville

Réunion du mardi 2 février 2021 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Berville, rapporteur :

Je me réjouis de cette audition, qui permet enfin de discuter du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Nous y travaillons depuis plus de deux ans et demi. Vous l'avez dit, monsieur le président, ce texte de loi n'a peut-être jamais été si pertinent, mais il n'a peut-être jamais été aussi périlleux de le proposer maintenant. Dire que l'on augmentera les financements, notamment pour permettre aux pays les plus pauvres d'avoir accès à des vaccins, n'est pas très populaire. Après avoir travaillé de manière transpartisane sur ces bancs, nous pouvons être satisfaits que le projet de loi arrive sur la table et que notre commission défende ces mesures, dans le contexte d'un regain de protectionnisme vaccinal et de populisme.

Je remercie le ministre, qui se bat depuis deux ans, en interministériel, malgré les vicissitudes de la vie politique, pour que le texte soit déposé en conseil des ministres. C'est l'aboutissement d'un engagement du Président de la République, de refonder la politique de développement solidaire, pour qu'elle soit plus efficace, afin d'agir contre la pauvreté, les inégalités et le changement climatique, et d'atteindre 0,55 % du revenu national brut (RNB) d'ici à 2022. L'objectif sera vraisemblablement atteint, voire dépassé.

Cela nous invite à nous interroger sur la pertinence de ces indicateurs. Vous le savez, je n'en suis pas un grand partisan. Si nous avions tenu la logique du 0,55 %, la France aurait été dans son droit de diminuer le volume de l'aide. Au contraire, nous l'augmentons. Nous devons donc profiter de ce texte pour interroger la manière dont on quantifie l'aide publique au développement et la pertinence de cette mesure qui date des années 1960, où la vision était sensiblement différente de celle d'aujourd'hui.

Vous l'avez dit, l'aide publique au développement est un pilier de la politique étrangère. Elle doit être pleinement alignée sur l'Agenda 2030, comme sur l'Accord de Paris. Elle est au croisement des cinq « P » des Nations unies – paix, planète, prospérité, population et partenariats. Pour relever les défis globaux et trouver des solutions communes, on ne peut pas se passer d'une politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

Je vous remercie aussi non seulement d'avoir défendu ce sujet, mais d'y avoir mis votre marque, conformément à votre engagement de 2017, avec des dispositions sur le bilatéral, l'augmentation dans les ambassades, l'augmentation des dons, la concentration sur les pays les plus vulnérables ou le réinvestissement dans les secteurs sociaux, de la santé et de l'éducation. En audition, des partenaires tels que l'ONG Action santé mondiale ou Coordination Sud l'ont dit : sans être satisfaits de tout, ils constatent qu'après une décennie perdue de sous-investissement, depuis 2017, la France réinvestit dans les champs de la santé et de l'éducation.

Cela me permet de remercier également de nombreux collègues avec lesquels nous avons travaillé et qui, comme moi, sont satisfaits de voir que la lumière est au bout du tunnel. Nous nous étions engagés pour une stratégie de long terme, claire et lisible – nous ferons le travail parlementaire nécessaire pour qu'elle le soit encore davantage, et que nous soyons collectivement satisfaits de ce qu'elle contient –, sur une trajectoire pluriannuelle, avec de vrais crédits budgétaires – le projet de loi le permet –, et, ce qui tient beaucoup à nos amis sénateurs, sur la préservation d'Expertise France, malgré l'intégration dans le groupe AFD. Nous devrons y veiller, et peut-être renforcer les garanties pour faire en sorte que l'expertise française puisse être mobilisée par les administrations, au-delà de la relation hiérarchique de filiale qu'Expertise France entretient avec l'AFD.

Enfin, nous considérons comme essentiel de favoriser l'engagement des jeunes et de reconnaître celui de la société civile, des collectivités et des acteurs de la diaspora. Le projet de loi inclut cet aspect. L'ancien ministre Jacques Godfrain m'avait dit qu'il serait satisfait lorsque le volontariat de réciprocité figurerait dans le texte : il y est enfin. Cela fait plus de quinze ans que certains acteurs l'attendaient ! Cela permet d'envoyer un signal à nos partenaires, notamment africains. Il s'agit de dire que cette relation de partenariat ne va pas que dans un sens, que nous avons beaucoup de choses à apprendre de personnes qui vivent dans les pays du Sud, que l'on doit sortir de cette relation sinon néocoloniale, du moins teintée parfois d'un sentiment de supériorité. La disposition sur le volontariat de réciprocité donne à voir que la mobilité circulaire et le partenariat peuvent se faire dans les deux sens. On le voit notamment avec la question de la santé : nous avons beaucoup à apprendre de l'innovation dans ces pays.

Nous voulons tous faire en sorte que ce texte de loi soit le moment de démocratiser la politique de développement, d'en faire l'affaire de tous, de la détechnocratiser et de faire que tous nos concitoyens puissent s'engager à avoir les moyens d'agir dans les pays partenaires, sur les questions relatives au climat, à l'éducation ou à la santé.

Le projet de loi est riche, chacun peut y trouver un élément qui le touche. Ses trois titres et neuf articles montrent bien, comme le ministre l'a dit, que le local et le global sont liés. Le texte traite des objectifs de la politique de développement solidaire, du contrôle du Parlement, de l'inclusion des objectifs de développement durable (ODD), du 1 % transports, qui concerne les autorités de transport, du Conseil national du développement et de solidarité internationale, de la diaspora, du volontariat, du statut de l'AFD, de l'intégration d'Expertise France, de la création de la commission indépendante d'évaluation et de l'accueil des organisations internationales.

Il modifiera tous les pans de cette politique, pour répondre à un triple objectif : lutter pour éradiquer la pauvreté ; combattre les inégalités mondiales ; préserver les biens publics mondiaux et lutter contre les changements climatiques.

S'agissant du pilotage et de la stratégie, une ligne de commandement a été créée, du Conseil présidentiel pour le développement (CPD) au conseil local de développement (CLD). Pouvez-vous préciser quelles garanties juridiques permettent à l'ambassadeur d'être chef de file, sur le terrain ? Il ne faudrait pas que son rôle ne soit que la conséquence de relations interpersonnelles. Le dispositif doit permettre à l'ambassadeur d'être le chef de l'équipe France, d'assurer la cohérence des politiques publiques nécessaire pour être le plus efficace possible et répondre à l'objectif politique. L'ambassadeur rend en effet compte devant le Président de la République.

Pour ce qui concerne le financement et le budget, le texte trace une vraie trajectoire budgétaire. Quel est votre regard sur l'indicateur de 0,7 % du RNB ? Est-il dépassé ? Pouvez-vous préciser si les 100 millions d'euros d'augmentation correspondent au financement d'engagements pris précédemment ou s'ils serviront à financer de nouveaux projets ?

Troisième sujet : la coopération, l'engagement à remettre de l'humain dans cette politique. Quelles dispositions garantissent l'autonomie stratégique d'Expertise France dans son intégration ? Comment pouvez-vous garantir qu'elle ne sera pas le cheval de Troie de l'Agence française de développement pour aller vers d'autres secteurs, qui ne sont pas ceux de l'APD, ou d'autres territoires que ceux définis par le cadre.

Quant aux partenariats, on veut donner plus de place au secteur privé, à la société civile, aux collectivités. Où en sont les discussions sur l'évolution, sur un an, de 1,2 % des dépenses de fonctionnement des collectivités et le fait de ne pas comptabiliser les dépenses relatives à l'aide publique au développement dans leur budget, pour ne pas les pénaliser ?

Enfin, s'agissant de l'innovation et du soutien aux petits projets, pouvez-vous revenir sur le lancement du Fonds d'innovation pour le développement ? En quoi symbolise-t-il ou non les ambitions nouvelles de faire mieux et plus envers nos partenaires, pour éradiquer la pauvreté, lutter contre les inégalités et préserver les biens publics mondiaux ?

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