L'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et le Japon, signé le 17 juillet 2018, vise à donner un cadre juridique englobant et contraignant à une relation bilatérale dense et dynamique, qui s'appuyait jusqu'à présent sur un plan d'action conjoint adopté en 2001, que l'accord a vocation à remplacer. Signe de la vitalité de la relation bilatérale, un sommet a lieu chaque année entre l'Union européenne et le Japon, afin d'aborder les différents domaines de coopération – le prochain devrait avoir lieu dès que les conditions sanitaires le permettront.
Le présent accord doit être distingué de l'accord de partenariat économique, signé le même jour et entré en vigueur dès le début de l'année 2019. Il s'agit des deux piliers de la relation bilatérale souhaitée pour les prochaines années entre l'Union européenne et le Japon. Leurs approches sont complémentaires. L'accord que nous examinons ne contient que de rares dispositions sur les questions économiques et commerciales, et n'est pas un accord de libre-échange. Les exportations de la France vers le Japon ont augmenté de 18 % en 2019 après l'entrée en vigueur de l'accord. Cette dynamique pourrait favoriser un rééquilibrage des relations commerciales avec le Japon, pour la France comme pour l'Union européenne.
L'accord de partenariat stratégique, qui compte 51 articles, couvre de très nombreuses thématiques, allant de l'éducation et la culture à la politique de développement, en passant par la coopération judiciaire et la promotion de la paix et de la sécurité. Dans ses premiers articles, il met l'accent sur la promotion des valeurs communes, notamment dans les enceintes internationales. L'ambassadeur du Japon en France que j'ai rencontré lors de mes travaux préparatoires a insisté sur ce point : ces valeurs communes, qu'il s'agisse de la démocratie ou de l'État de droit, doivent d'autant plus nous mobiliser qu'elles sont partout menacées. L'accord de partenariat stratégique se présente comme un accord facilitateur, qui doit favoriser la réalisation de projets concrets et la conclusion de nouveaux accords bilatéraux, plus ciblés. Comme le Japon, nous serons libres de proposer des coopérations dans tel ou tel domaine. Certains font déjà l'objet d'une attention particulière. C'est le cas de la sécurité et de la défense, d'une part, et de l'environnement et de la lutte contre le changement climatique, d'autre part. Ces dernières années, le Japon, sixième émetteur mondial de gaz à effet de serre, et signataire de l'accord de Paris sur le climat, a mené dans ce domaine une politique jugée peu ambitieuse. À l'automne 2020, l'actuel Premier ministre, Yoshihide Suga, issu de la même formation politique que son prédécesseur Shinzō Abe, a toutefois présenté une politique plus volontariste, qui fixe un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. La mise en œuvre de l'accord de partenariat pourra permettre d'avancer ensemble sur ce sujet : un projet d'alliance verte entre l'Union européenne et le Japon est déjà en cours d'élaboration.
Concernant la sécurité et la défense, la constitution que le Japon a adoptée à l'issue de la Seconde guerre mondiale prévoit dans son article 9 le renoncement du peuple japonais à la guerre et à l'usage de la force. L'interprétation de cet article a toutefois beaucoup évolué. Depuis 2015, la loi admet que les forces japonaises d'autodéfense peuvent contribuer à la légitime défense collective en venant en aide à leurs alliés, tant qu'elles n'utilisent pas la force létale. Dans ce contexte, l'Union européenne aimerait mettre à profit l'accord de partenariat pour favoriser une participation du Japon aux missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), comme cela a déjà pu se faire lors de l'opération Atalante de lutte contre la piraterie.
Enfin, l'accord fait de la lutte contre la prolifération nucléaire un objectif commun. Le Japon est très engagé sur ce sujet du fait de son histoire : les catastrophes nucléaires de Hiroshima et de Nagasaki, ainsi que l'accident de la centrale de Fukushima il y a dix ans, restent très présents dans la mémoire collective, et permettent de comprendre la forte opposition de la population à l'arme nucléaire. Chaque année depuis 1994, le Japon présente une résolution sur le désarmement nucléaire devant l'Assemblée générale des Nations unies. Conscient d'être entouré de puissances nucléaires et de dépendre de la protection américaine, il adopte une position pragmatique en la matière. Comme la France, il a fait le choix de ne pas signer le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires de 2017.
L'accord de partenariat stratégique s'inscrit aussi dans la politique régionale que mène l'Union européenne en Asie-Pacifique. D'abord perçue comme un acteur commercial, l'Union cherche à faire évoluer son image dans la région, au profit d'une coopération politique et sécuritaire. L'Asie-Pacifique, notamment la région indo-pacifique, suscite un intérêt grandissant de la part de l'Union européenne, dans le sillage des États-Unis. Dans la logique du Brexit, le Royaume-Uni cherche également à se tourner de plus en plus vers la région. S'il a signé l'accord en tant que membre de l'Union européenne en juillet 2018, il ne l'a pas ratifié et n'est plus fondé à le faire depuis sa sortie de l'Union européenne.
Ces dernières années, l'Union européenne a conclu plusieurs accords de partenariat ou de coopération semblables à celui que nous examinons, notamment avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Notre commission a pu en débattre, en 2018 et en 2020. Pour l'Union européenne, le Japon apparaît comme un partenaire prioritaire pour renforcer sa présence régionale. Depuis quelques années, les autorités japonaises promeuvent leur stratégie pour un Indo-Pacifique libre et ouvert, appuyé sur trois piliers, sur lesquels des coopérations avec l'Europe sont possibles : la promotion de la démocratie et du libre-échange ; la paix, la sécurité et la stabilité ; et la prospérité économique et la connectivité.
Ce dernier domaine a justement fait l'objet d'un partenariat sur la connectivité durable et les infrastructures de qualité, signé en 2019. Tous mes interlocuteurs ont insisté sur l'importance de cet accord, qui vise notamment à proposer une alternative aux nouvelles routes de la soie chinoise, en promouvant une approche de la connectivité fondée sur les valeurs défendues par l'Union européenne. L'accord doit faciliter la mise en œuvre de projets d'infrastructures comme des routes et des chemins de fer, ainsi que le développement d'autres formes de connectivité, par exemple autour de l'éducation. Il s'agit pour le Japon de poursuivre la politique du précédent Premier ministre, Shinzō Abe, afin d'être plus actif sur la scène internationale et de diversifier les partenariats, dans un contexte de montée en puissance de la Chine.
La thématique de l'Indo-Pacifique conduit à aborder l'intérêt qu'aura l'entrée en vigueur du présent accord de partenariat stratégique du point de vue de la France. Comme l'ont confirmé mes interlocuteurs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, il existe un très fort alignement de l'approche européenne et de l'approche française vis-à-vis du Japon. Nous avons avec ce pays une relation bilatérale ancienne, solide et dynamique, qui a été érigée au rang de partenariat d'exception il y a quelques années. Nos échanges s'appuient sur une feuille de route pour la période 2019-2023, qui fixe cinq priorités : le renforcement de la coopération dans l'espace indo-pacifique ; l'approfondissement de la coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense ; la promotion d'une gouvernance mondiale fondée sur le multilatéralisme ; le développement d'un partenariat économique tourné vers l'innovation ; et la création d'une nouvelle dynamique en matière d'échanges humains.
La coopération dans l'espace indo-pacifique fait l'objet d'un partenariat franco-japonais, qui vise à développer des projets concrets autour de quatre piliers – la sécurité maritime ; le climat, l'environnement, la biodiversité ; les infrastructures de qualité ; et la santé. La France, seul pays de l'Union européenne à être activement présent dans le Pacifique depuis le retrait du Royaume-Uni, est le premier État membre à avoir adopté une stratégie nationale pour l'Indo-Pacifique. Elle se distingue par la présence de plus de 1,6 million de concitoyens, répartis sur 7 départements, régions et collectivités d'outre-mer, auxquels s'ajoutent environ 8 000 militaires en mission dans la zone. Notre pays cherche ainsi à donner une impulsion pour l'adoption d'une stratégie européenne pour l'Indo-Pacifique, ce qui fait de la France un partenaire particulièrement important pour le Japon en Europe.
L'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et le Japon, qui s'accompagne d'une série de dialogues thématiques réguliers, fournira davantage d'occasions pour aborder ensemble tout sujet, y compris ceux sur lesquels il existe des différences d'approche, voire des désaccords. Le dialogue pourrait par exemple s'intensifier sur le thème de l'égalité hommes femmes. Il en va de même pour l'épineuse question du statut des enfants binationaux, qui peuvent être privés de leur parent européen en cas de séparation. Le droit japonais ne reconnaît en effet ni le droit de visite ni le partage de l'autorité parentale. Cette situation n'a pas évolué malgré l'adhésion du Japon aux instruments internationaux de référence sur les droits des enfants. Le Parlement européen a adopté une résolution sur ces questions en juillet 2020, et nos collègues du Sénat, en février de la même année. L'Union européenne s'est engagée à suivre le nombre de cas non résolus et à mettre à profit le partenariat stratégique avec le Japon, pour obtenir des avancées sur ce sujet sur lequel nous devrons rester vigilants. Le Japon a récemment fait référence à des réflexions en cours pour faire évoluer la législation japonaise en matière de garde partagée.
Mes chers collègues, malgré ces quelques réserves, je vous invite à voter en faveur de la ratification de cet accord. Le Japon a achevé sa procédure interne de ratification ; du côté européen, seize États membres ont déjà ratifié l'accord. Il pourra entrer en vigueur lorsque tous les États membres en auront fait de même.