C'est donc à moi qu'il revient de vous présenter cet accord de coopération dans un domaine beaucoup plus consensuel que le précédent. La Suisse l'a ratifié en février 2019. Nous devons à notre tour, après le Sénat, approuver ce texte pour mener à son terme le processus de ratification.
Carole Bureau-Bonnard vous présentera ensuite l'avis de la commission de la défense nationale ; je l'en remercie. Cela permettra de vous éclairer sur les aspects les plus techniques.
La France est liée à de très nombreux pays par des accords de défense. Il n'est pas inutile, pour commencer, de rappeler à quoi servent ces accords.
L'objet de ce type d'accords est d'ouvrir des champs de coopération avec les forces armées d'un autre État. Très concrètement, ils listent les domaines concernés – comme l'armement, l'instruction et la planification en matière de défense – sur lesquels les parties s'entendent pour coopérer. Selon la nature du partenaire et notre degré de proximité, le champ ouvert à la coopération n'est pas le même : nous irons plus loin avec certains pays qu'avec d'autres. Ces dispositions concernant l'étendue de la coopération sont complétées par toute une série de règles relatives par exemple au financement, au statut des personnels et à ce qui se passe en cas d'accident : grâce à un accord de défense, ces questions sont traitées une fois pour toutes, ce qui évite de renégocier par la suite les termes de la coopération à chaque activité nouvelle.
La spécificité de l'accord dont nous sommes saisis tient moins à ses dispositions – assez classiques – qu'à l'identité du partenaire. Ce matin encore, on me demandait : « La Suisse a donc une armée ? » En raison de sa neutralité, on s'imagine souvent que la Suisse n'a pas d'armée. Certes, celle-ci est relativement limitée, mais elle n'en existe pas moins.
D'une part, la Suisse est un pays qui nous est voisin et partage un certain nombre de nos valeurs, ce qui milite en faveur d'une coopération aussi étroite que possible. D'autre part, sa neutralité limite l'étendue possible de cette coopération.
Depuis le XIXe siècle au moins – vous avez évoqué le XVIe siècle, monsieur le président, mais je ne remonterai pas aussi loin –, la politique extérieure de la Suisse se caractérise par la neutralité, les bons offices, l'attachement au droit international humanitaire. Elle conduit ainsi des missions de médiation. Toutefois, elle s'interdit de participer à des opérations militaires, sauf dans le cadre de l'Organisation des nations unies (ONU) – son principal déploiement se trouve dans les Balkans, dont l'instabilité l'inquiète compte tenu des risques migratoires ; c'est d'ailleurs une question qui occupe l'esprit des dirigeants du sud de l'Europe.
Cette politique de neutralité et de retenue militaire a pour conséquence une forte dissymétrie entre nos deux modèles d'armée. Alors que l'armée française est tournée vers des opérations extérieures, l'armée suisse est orientée vers la protection de son territoire et l'appui aux autorités en cas de crise. L'armée suisse fonctionne de manière très différente de la nôtre : elle ne compte qu'un petit nombre de soldats professionnels – environ 3 000 –, mais les citoyens suisses sont soumis à un service militaire et, même à l'issue de cette période, restent incorporés dans un réservoir d'effectifs de l'armée pendant une dizaine d'années.
La Suisse, située au cœur de l'Europe, entourée d'États de droit, jouit d'une situation privilégiée du point de vue de la sécurité. Toutefois, notre voisin n'est pas insensible à l'instabilité qui émerge à la périphérie de l'Europe. C'est la raison pour laquelle les autorités helvétiques ont entrepris d'augmenter le budget de la défense, qui atteint 0,7 % du produit intérieur brut, et d'engager un renouvellement capacitaire de l'armée, ce qui intéresse la France au premier chef, notamment son industrie.
Quelle place peut-il y avoir, du point de vue des armées françaises, pour la coopération avec la Suisse ? Cela ne va pas de soi. Dès lors que ce pays refuse le principe d'un engagement extérieur, la coopération ne peut pas porter sur l'activité opérationnelle. Elle se limite donc à un champ très précis : l'instruction et l'entraînement militaire.
Cette coopération repose sur deux accords, signés en 1997 et en 2003, qui ont permis le développement d'une relation dense et régulière. Les deux parties s'en disent satisfaites. Le nombre d'activités entreprises en coopération était même en croissance avant la pandémie. C'est dans le domaine aérien que cette coopération est la plus développée : dans la police du ciel, d'une part, ce qui se manifeste par des échanges d'informations quotidiens et des exercices de protection de l'espace aérien, et dans la formation des pilotes, d'autre part, dans un contexte où la France a décidé, pour la formation de ses chasseurs, d'acquérir un appareil de fabrication suisse. Nous bénéficions également de l'expertise suisse, notamment dans le domaine du vol en haute montagne.
Que vient donc changer le nouvel accord, signé en 2018, dont l'objet est de remplacer les accords de 1997 et de 2003 ? Il ne remet pas en cause les limites de la coopération, qui exclut toujours le champ opérationnel. L'article 2 rappelle ainsi qu'il « ne couvre ni la planification, ni la préparation, ni l'exécution d'opérations de combat ou d'autres opérations militaires ». Les choses restent donc claires : avec les Suisses, nous ne faisons que de la formation, des exercices et de l'entraînement.
Toutefois, le nouvel accord élargit considérablement le champ de la coopération dans ce domaine limité qu'est l'instruction militaire. Il couvre tous les champs de la guerre, y compris ceux qui touchent au cœur de la souveraineté, comme la cyberdéfense, le spatial ou le renseignement militaire et la protection contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Une clause prévoit également la possibilité d'aller plus loin sans nécessité de réviser l'accord, ce qui est assez classique dans les traités internationaux.
Le second grand apport du texte consiste à accompagner la tendance au rapprochement capacitaire entre la France et la Suisse. C'est un point très important : plus les capacités militaires se rapprochent, plus la formation, les échanges et les retours d'expérience peuvent être nombreux.
La Suisse est engagée dans un grand programme de modernisation capacitaire qui se traduit par d'importantes perspectives à l'export pour les industriels français. Ces perspectives concernent les matériels terrestres, notamment les missiles de moyenne portée. À court terme, les perspectives principales concernent le renouvellement des systèmes de défense sol-air et, bien sûr, le nouvel avion de combat : une votation populaire a donné une très courte majorité au projet de remplacement des quarante avions composant la flotte suisse. Le Rafale est bien placé dans la compétition avec le F-35 et l'Eurofighter. Si cet appel d'offres – ou un autre – se concrétise en faveur de nos industriels, cela ouvrira la perspective d'une coopération encore plus intégrée avec nos voisins suisses.
Compte tenu des bénéfices dont l'accord est porteur, j'invite la commission à en autoriser la ratification.