Je suis surtout engagé depuis mes jeunes années en faveur de l'Antarctique et de l'Arctique ! C'est pourquoi j'étais particulièrement motivé par ce rapport, d'autant que nous avons très peu d'occasions de parler de ces continents, alors même que l'Antarctique, en particulier, conditionne la vie de milliards de personnes. La fonte de la frange de la banquise du côté est de la péninsule antarctique ferait augmenter le niveau des eaux de 6 mètres ; celle de la frange antarctique du côté ouest, de 9 mètres ; et le début du dégorgement de la calotte, de 50 mètres. La menace est totale, surtout que, même si l'on pense connaître cet environnement, en réalité, on le connaît peu. L'enjeu de la présence scientifique française en Antarctique est important.
L'Antarctique ne dépend pas des Nations unies ; il est géré de façon spécifique par un traité, signé le 1er décembre 1959 à Washington. Cet accord avait été une forme de divine surprise en pleine guerre froide, en entraînant le gel des revendications territoriales, alors que beaucoup de puissances commençaient à s'y intéresser de près. Il a permis de consolider la notion d'un continent voué à la recherche et devant être protégé sur le plan de l'environnement.
Mais c'est le Protocole au Traité sur l'Antarctique relatif à l'environnement signé en 1991, qui est le pilier de sa protection. À cette époque, Michel Rocard était Premier ministre, ce qui lui a permis d'accéder ensuite à la grande fonction d'ambassadeur des pôles. Ce texte a consacré l'Antarctique comme une réserve naturelle dédiée à la paix et à la science. En outre, il a instauré un régime interdisant toute activité liée à la défense, ainsi qu'à l'exploitation des ressources minérales. Toute activité susceptible d'affecter l'environnement doit être soumise à autorisation préalable.
Ce protocole est accompagné de six annexes. Les annexes I à IV ont été adoptées conjointement avec le Protocole de Madrid en 1991. L'annexe V, relative aux déchets notamment, a été adoptée séparément la même année. Enfin, l'annexe VI est celle qui a posé le plus de difficultés aux États, dans la mesure où elle constitue le point de départ d'un principe de responsabilité environnementale. Si ce sujet ne paraissait pas forcément très urgent en 1991, ce que l'on voit aujourd'hui en matière d'impact du réchauffement climatique, d'atteintes à la biodiversité, d'invasion de nouvelles espèces, de fonte des glaces, de glissement de certains glaciers, d'appauvrissement de la faune sous-marine autour de l'Antarctique montre que le danger est bien réel.
L'annexe VI, signée en 2005, vise à prévenir au mieux et à traiter les situations critiques pour l'environnement en Antarctique imputables à certaines activités. Le texte instaure un régime de responsabilité spécifique et impose aux États parties de mettre à la charge des opérateurs, privés ou étatiques, des mesures de prévention, des plans d'urgence et des souscriptions d'assurances.
Comme nos collègues Éric Girardin et Meyer Habib, rapporteurs de la mission d'information sur la problématique des pôles, l'ont récemment relevé dans leurs travaux, le développement du tourisme dans la zone du Traité, qui voit un accroissement exponentiel du nombre de visiteurs depuis deux décennies et une diversification des activités, constitue l'une des préoccupations majeures du moment en Antarctique. Si le nombre de 50 000 touristes est en soi ridiculement petit, la fréquentation se concentre sur très peu d'endroits. Ainsi, 95 % des visites ont lieu sur quelques sites de la péninsule. J'ai rejoint cette terre plusieurs fois en voilier et l'on se rend compte que, sur une surface de littoral grande comme la Bretagne, il n'y a pas plus de quatre ou cinq zones de mouillage, forcément vulnérables, dans la mesure où il y a de la terre et, partant, de la faune.
L'impact du tourisme est aujourd'hui très limité, du fait d'un coût d'entrée très important – seize à dix-huit jours de mer entre la Nouvelle-Zélande et Ross Ice Shelf, trois à quatre jours entre la péninsule Antarctique et Ushuaïa – et d'un nombre de gens potentiellement intéressés peu important. Mais dès lors que l'on pourra développer des bases aériennes et diminuer le coût d'accès, il peut prendre de l'ampleur. Il faut anticiper, pour éviter les problèmes le jour où l'accès à l'Antarctique ne sera plus réservé à quelques très riches ou très sportifs, et mettre en place des mécanismes permettant de concilier tourisme et préservation des écosystèmes. Notons que l'annexe VI est déjà, en réalité, la référence pour les opérateurs de tourisme qui se sont regroupés au sein d'une association professionnelle.
Tout opérateur, privé ou étatique, ayant une activité en Antarctique, se doit de réduire le risque d'atteinte à l'environnement que génère son activité. La vérification du respect de cette exigence est assurée par « la Partie de l'opérateur » – la collectivité des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) pour notre pays. Cette vérification est assez efficace pour ce qui est des plans d'action, des matériels de sauvetage ou de la lutte contre la pollution.
En revanche, s'agissant des réponses opérationnelles en cas de pollution, l'efficacité de l'annexe VI paraît plus incertaine, et le texte me semble sur ce point plus virtuel. On sait à peu près gérer une petite fuite de carburant, mais pas l'échouage d'un mini-cargo avec une réserve de pétrole prévue pour deux stations. Imaginer qu'il serait possible d'envoyer à 5 000 kilomètres de toute terre des équipes pour récupérer le pétrole en temps réel est assez illusoire. La terre Adélie est loin de tout, en particulier de toute terre touristique, et nous n'avons qu'un seul bateau, L'Astrolabe, qui est déjà à la limite de la saturation, puisqu'il doit être prêt cent vingt jours par an pour les TAAF et le reste du temps pour surveiller les pêches. Je ne veux pas penser au jour où nous aurons un problème avec ce bateau... L'Institut polaire français (IPF) a appelé à mutualiser les démarches avec ceux qui sont présents sur le terrain. On pourrait ainsi concevoir de partager un brise-glace avec nos amis australiens.
L'annexe VI impose, en outre, aux opérateurs de souscrire une assurance ou de disposer d'une garantie financière adéquate leur permettant de couvrir leur responsabilité. Ces opérateurs peuvent trouver des assureurs pour leur cargaison et les dommages causés aux tiers, les protection and indemnity clubs, qui ne sont pas spécifiques à l'Antarctique. Cela étant, l'assurance ne couvre pas les activités terrestres. Que l'on pense au jet-ski, à la randonnée ou au parapente, qui peuvent avoir des conséquences négatives sur l'environnement, y aura-t-il un marché pour les assurer ?
S'agissant du régime de responsabilité, l'annexe VI précise, dès son préambule, qu'elle constitue seulement « une étape vers l'instauration d'un régime de responsabilité ». Cette responsabilité est en réalité très limitée, puisque ce qui compte ce sont simplement les coûts que les opérateurs auraient dû engager pour limiter l'impact environnemental – coûts de sauvetage ou d'assurances –, non le coût environnemental. Il ne s'agit en rien d'un régime général de responsabilité sur les impacts environnementaux. Le coût ne concerne que l'organisation des secours.
Le dispositif prévoit un fonds. Mais il ne vise pas tant à protéger l'environnement qu'à imposer à un opérateur étatique, qui aurait causé un dommage environnemental et n'aurait pas engagé l'argent nécessaire à l'intervention, de donner au fonds qui permettra d'agir, selon des modalités encore floues. L'opérateur privé peut, quant à lui, soit rembourser l'État, soit financer le fonds constitué. C'est donc un fonds un peu bâtard, pas très opérationnel, qui intervient ex post et ne signifie en rien qu'il sera possible de réparer les atteintes à l'environnement. Le fonds est plafonné, tout comme la responsabilité, sauf si la faute a été intentionnelle. Cela emporte des conséquences pratiques : il faudra probablement organiser des capacités de rétention supplémentaires autour des réservoirs de Dumont d'Urville, avec un système de double coque et des signaux en cas de fuite, et prévoir de nouveaux équipements pour encadrer en périphérie une fuite de L'Astrolabe. Mais cela ne révolutionnera pas l'environnement.
À ce jour, onze parties consultatives au Traité sur l'Antarctique doivent encore approuver l'annexe VI. La Belgique et le Chili auraient, comme la France, récemment entrepris les démarches nécessaires, contrairement aux États-Unis, à la Chine, au Japon ou à l'Inde. Cela est assez inquiétant, d'autant que commence cette année la négociation sur la fameuse protection complémentaire et le régime général de responsabilité. Dans la mesure où l'on a mis douze ans à instaurer le régime restreint lié aux interventions d'urgence, on peut imaginer qu'il faudra attendre un moment avant un régime général, d'autant plus au vu du comportement moins coopératif de la Chine et de la Russie.
Il est important d'envoyer un signal positif aujourd'hui, pour lancer la dynamique, alors que la France vient de présider la Conférence des parties au Traité sur l'Antarctique. Je vous invite à voter sans réserve en faveur de l'approbation de cet accord.