Je vous remercie et suis heureux que l'énergie polaire vous ait touchés, d'autant que la mission de l'ambassadeur des pôles est beaucoup moins visible depuis qu'il doit travailler derrière un écran.
L'annexe ne reprend pas le principe pollueur-payeur, mais prévoit que le pollueur doit limiter son impact et, s'il ne fait rien, indemniser l'État pour le coût des secours. Elle ne prévoit donc pas de dédommagement pour les atteintes à l'environnement. La réparation du préjudice écologique relève d'une autre annexe, qui sera négociée dans les prochaines années. Cela risque malheureusement de prendre du temps.
Vous m'avez interrogé sur les raisons du délai très long entre l'adoption de l'annexe et sa ratification. L'administration en charge de la ratification, que je connais bien, a ses propres turpitudes et le reconnaît. Mais, en outre, il s'agit de sujets techniques, assez virtuels, sans enjeux immédiats, et il faut malgré tout constituer une étude d'impact. Enfin, le Trésor, omniprésent en France, est en l'espèce comme une poule face à un couteau : il n'y a ni marché ni opérateur, et il existe déjà des obligations en vertu du droit européen ou du droit commercial. Pourquoi inventer de nouvelles responsabilités ? Quels nouveaux mécanismes de financement imaginer ?
Une illustration de ce particularisme : l'assurance dommages à l'environnement d'un bateau de tourisme d'environ cent mètres de long lui permet de couvrir des dommages de plusieurs centaines de millions, voire d'un milliard d'euros, toutes causes confondues. À l'inverse, l'État est son propre assureur pour L'Astrolabe mais en réalité, il ne s'assure pas et, sur son budget propre, l'IPEV n'est pas capable de se protéger comme le ferait la Compagnie du Ponant. Le marché est donc à la fois en avance et à côté de ce qu'est le besoin. C'est toute la difficulté pour les acteurs administratifs.
Le traité risque-t-il d'être remis en cause, notamment en 2048 ? Il s'agit d'un traité permanent et les possibilités de révision sont donc très encadrées. Si des ajustements ou des modifications marginales sont possibles, la probabilité de changements majeurs – comme l'autorisation de l'exploitation minière – est très faible.
En revanche, le traité n'engage que ceux qui l'ont signé. C'est pourquoi le consensus de 1959 est fondamental – on aurait du mal à l'atteindre aujourd'hui… Pourquoi alors ne pas aller vers la sanctuarisation, pour laquelle certains d'entre vous plaident ? On n'en est pas très loin en l'état actuel du droit puisque toute nouvelle activité doit faire l'objet d'une autorisation préalable de la part des parties, si on exclut le cas du tourisme, sur lequel je vais revenir. En outre, il s'agit d'un sujet particulièrement sensible à l'heure où, au sein de la CCAMLR, la Russie et la Chine empêchent la création de nouvelles réserves marines, malgré les efforts très importants de la France. En plaidant pour la sanctuarisation, il ne faudrait pas fragiliser le consensus et contribuer à la sortie de la Chine.
Cela dit, les parlementaires peuvent agir. Marielle de Sarnez était d'ailleurs particulièrement intéressée par le sujet puisqu'elle a coprésidé le groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes et antarctiques françaises – droit des grands fonds. Elle m'avait demandé de la représenter à la première conférence interparlementaire des parlements parties au traité à Londres en 2019. Il s'agissait alors pour les parlements de commencer à s'approprier le sujet. Il est fondamental que la discussion sur l'Antarctique entre scientifiques, parlementaires et politiques au sens large ne soit pas le monopole des Anglo-saxons comme c'est le cas actuellement. La recherche française est sur la défensive du fait de son manque de moyens. Dans les années qui viennent, nous pourrions utilement accueillir une conférence interparlementaire sur l'Antarctique, comme les Anglais l'ont fait en 2019.
Comment réguler le tourisme ? Il en existe trois catégories en Antarctique. La première, et la plus ancienne, concerne dix bateaux deux fois par an. À chaque fois, une dizaine de personnes embarquent pour six à huit semaines dans des conditions très difficiles. L'impact environnemental est nul et le marché, très majoritairement français, sans perspectives de développement.
Un deuxième marché, plus récent, se développe vite. C'est celui dont on parle le plus. Il concerne de petits paquebots de moins de deux cents personnes. L'Association internationale des voyagistes antarctiques (ou International Association of Antarctica Tour Operators – IAATO), très inquiète à l'idée que l'on pourrait remettre en cause cette activité, a développé une très forte autorégulation, durable, dont je peux donner des exemples précis. Dans les endroits les plus sensibles, comme l'île de la Déception – île de débarquement quand on vient d'Ushuaia –, il ne peut y avoir plus d'un bateau toutes les trente-six heures. En outre, les bateaux avancent à moins de dix nœuds dans la zone antarctique pour préserver les baleines et ils ne peuvent pas débarquer plus de cent personnes au même endroit. Enfin, les parcours à terre sont balisés, afin que les touristes ne dérangent pas les manchots. De nouveaux acteurs, chinois ou russes, commencent à montrer le bout de leur nez. Si l'autorégulation de l'IAATO ne suffit plus et si de gros paquebots polluants commencent à défiler, comme à Venise, il faudra alors peut-être réguler.
Le plus gros danger est lié au réchauffement climatique qui pourrait permettre le développement d'une troisième forme de tourisme. Actuellement, les terres ne sont accessibles que deux ou trois mois par an et, durant l'hiver antarctique, on n'accède pas au continent, la mer de glace mesurant plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de kilomètres, quand les animaux sont en hibernation. Mais, d'ici à dix à quinze ans, les touristes pourront débarquer sur une période plus importante, en beaucoup plus d'endroits, et en avion. Va-t-on anticiper ou agir après coup ?