Intervention de Françoise Parly

Réunion du mardi 12 octobre 2021 à 21h00
Commission des affaires étrangères

Françoise Parly, ministre des armées :

Votre hommage à la mémoire d'Hubert Germain n'aurait pu être plus juste. Il était à la fois exact pour décrire ses immenses qualités, et sensible. En attendant de lui rendre hommage officiellement, je m'y associe pleinement et je vous remercie de l'avoir fait publiquement.

Je commencerai par rappeler les faits, car nous avons tous lu et entendu beaucoup de déclarations, dont certaines contestables. Cette affaire mérite de la clarté. En décembre 2016, un accord intergouvernemental est signé par la France et l'Australie en vue de renforcer la coopération bilatérale de défense, en particulier pour accompagner l'Australie dans la création de sa propre industrie navale. Cet accord, conclu pour une période initiale de trente ans, prévoit le développement et la construction par Naval Group de douze sous-marins de classe Attack, version conventionnelle de nos sous-marins à propulsion nucléaire Barracuda.

À l'époque, le contexte stratégique n'est pas fondamentalement différent de celui d'aujourd'hui : une montée en puissance rapide, et dans tous les domaines, de la Chine, notamment en Indopacifique. Si Naval Group a remporté la compétition pour remplacer les sous-marins Collins face aux Allemands et aux Japonais, c'est parce que l'offre française répondait à la demande des Australiens de se doter d'un sous-marin capable d'aller loin et, selon l'appel à candidatures australien, « régionalement supérieur » – autrement dit, un sous-marin océanique, pleinement souverain – opéré et entretenu par les Australiens – et, enfin, à propulsion classique. C'est ainsi que Naval Group a développé une version conventionnelle dérivée du modèle à propulsion nucléaire Barracuda.

L'opinion publique australienne est très opposée à l'énergie nucléaire. Dès 2009, la volonté d'opter pour des sous-marins à propulsion conventionnelle avait été exprimée dans le Defence White Paper australien, l'équivalent de notre Livre blanc, qui excluait explicitement la possibilité d'une propulsion nucléaire. Cette décision de 2009 a été confirmée de façon répétée par les Livres blancs de la défense de 2013, adopté sous majorité travailliste, puis de 2016, adopté sous majorité libérale.

De ce fait, lorsqu'en novembre 2019, nous prenons connaissance des propos de Mme Reynolds, ministre de la défense de l'époque, devant le Sénat australien, nous ne sommes pas étonnés. Je la cite en anglais : « I can confirm that the nuclear powered submarine is not being considered as an option for the Attack class submarine » (« Je peux confirmer qu'un sous-marin à propulsion nucléaire n'est pas une option que nous considérons pour la classe Attack »).

La France n'était pas le seul fournisseur : l'entreprise française Naval Group s'était associée avec l'industriel américain Lockheed Martin, chargé du système de combat du sous-marin. Il s'agissait donc, dès le départ, d'un partenariat industriel avec les États-Unis, qui appuyait le partenariat stratégique bilatéral franco-australien. Dans ce contexte, il est donc extrêmement choquant que Washington n'ait pas jugé nécessaire de nous consulter sur ce qui se tramait à l'initiative des Australiens. Alors que nous évoquions régulièrement l'importance du programme de sous-marins, les occasions étaient nombreuses, comme cela vous a été indiqué lors de précédentes auditions.

Cette organisation du programme, Naval Group étant chargé de la plateforme propulsée – de la coque des sous-marins –, et Lockheed Martin, du système de combat, de l'intégration des armements et des sonars, garantissait pleinement la souveraineté de l'Australie. En effet, lorsque la France élaborait avec l'Australie le dessin du sous-marin, elle ne savait pas ce que les États-Unis proposaient pour la partie qui leur incombait, et la réciproque était vraie. La seule partie omnisciente dans ce programme d'armement, et responsable de sa conduite de bout en bout, c'était bien l'Australie. J'insiste sur ce point. Cette rupture de contrat, ce n'est pas l'échec de la France, c'est l'échec, industriel et diplomatique, de l'Australie.

Je ne reviendrai pas sur la chronologie complète des faits, car vous avez déjà auditionné plusieurs personnes éminentes. J'insisterai plutôt sur le rôle joué par la France pour assurer le succès de ce programme. L'effort d'accompagnement que nous avons consenti était d'une ampleur et d'un niveau exceptionnels, à la hauteur de la nature et des enjeux du partenariat conclu entre la France et l'Australie. Nous avons donc mis en place un pilotage très serré du contrat.

Sur le plan technique, la direction générale de l'armement (DGA) a défini une organisation de travail comprenant une équipe dédiée, pour accompagner le client australien.

Sur le plan militaire, nous avons accompagné ce contrat d'une présence inédite en zone indopacifique, prévoyant un rapprochement de nos marines et de nos armées de l'air. Le point culminant fut la mission Marianne, à la fin de l'année 2020, c'est-à-dire l'envoi depuis la France d'un sous-marin nucléaire d'attaque, l' Émeraude, jusqu'en mer de Chine, après une escale à Perth, en Australie.

Sur le plan politique, les échanges au niveau ministériel ont eu lieu à un rythme bien plus soutenu qu'initialement prévu dans l'accord entre la France et l'Australie. Au total, trente-cinq entretiens bilatéraux ont eu lieu avec mes quatre homologues depuis 2017, ainsi que deux déplacements en Australie, sans compter les nombreuses visites de délégations australiennes en France, tout cela s'étant arrêté en raison de la crise sanitaire. J'ai notamment assisté à Canberra, en février 2019, à la signature du contrat-cadre ou Strategic partnering agreement (SPE) entre Naval Group et le gouvernement australien.

Au cours de ces échanges réguliers, à la fin de l'année 2019, c'est-à-dire moins d'un an après la signature du contrat-cadre, il est apparu que le gouvernement australien subissait des attaques de la part de l'opposition, et par presse interposée, à propos de l'insuffisance de participation de l'industrie australienne au programme. Face à ces critiques, mon homologue, Mme Linda Reynolds, m'avait signalé en février 2020 qu'une absence rapide de réponse de Naval Group mettrait le programme en risque.

En mars 2020, Naval Group change de président-directeur général. Je fixe immédiatement à M. Pommellet, le nouveau P.-D.G., sa feuille de route, en particulier concernant la montée en puissance de l'industrie australienne au sein du Futur submarine programme (FSP). Ce programme doit constituer la priorité absolue pour le groupe, au regard de sa dimension stratégique et, pour cette raison, il est urgent de répondre aux demandes australiennes formulées un mois plus tôt par la ministre, Mme Reynolds. Des négociations s'engagent en pleine pandémie, alors qu'il est impossible de se déplacer en Australie jusqu'au début de l'année 2021, le pays ayant totalement fermé ses frontières. Elles sont encadrées par six échanges téléphoniques avec mon homologue, par des échanges réguliers entre la DGA et l'équipe de programme australienne et par un déplacement en Australie, en février 2021, pour un mois, du nouveau P.-D.G. de Naval Group, M. Pommellet, afin de finaliser les discussions.

Ces négociations, sur lesquelles je m'arrête un peu, car elles sont éclairantes, ont d'abord conduit, en septembre 2020, à la décision de concevoir une partie du sous-marin en Australie, alors que nous parlions initialement de transférer la seule production en Australie. Nous avons donc ouvert un nouveau champ de discussion sur la conception d'une partie du sous‑marin. Ces négociations ont abouti, en mars 2021, à l'intégration dans le contrat-cadre entre Naval Group et le gouvernement australien d'une clause – acceptable pour tous –, qui prévoyait que 60 % de la valeur du contrat seraient réalisés en Australie. Je rappelle que cette demande ne figurait pas dans l'accord initial, mais était devenue centrale pour garantir la poursuite du programme dans les meilleures conditions. J'observe d'ailleurs que l'entreprise Lockheed Martin, fournisseur du système de combat, n'a jamais eu à prendre d'engagement comparable.

Je voulais, à travers cet exemple, montrer que nous avons toujours fait le nécessaire pour trouver des solutions afin de répondre aux besoins du client. Grâce à la mobilisation de l'équipe France, cet irritant politique majeur a été résolu en mars 2021. Depuis ma prise de fonctions, la même méthode nous a permis de résoudre les autres points irritants concernant les modalités détaillées du programme, à savoir les coûts et le planning, ce qui a fait dire à la cour d'audit australienne, en mars 2021, que le programme de sous-marins français était « on budget and on time » (« dans les budgets et dans le respect du calendrier »). Ceci a conduit également mon nouvel homologue, M. Peter Dutton, à dire le 11 juin 2021 que le programme était « back on track », c'est-à-dire remis sur les rails. Je peux vous dire qu'au rythme où les ministres de la défense ont changé en Australie, cela n'a pas été une sinécure.

Notre méthode a permis, pas à pas, de lever tous les obstacles qui ont émaillé la vie de ce programme, à l'image de ce que nous faisons pour tous les grands programmes complexes d'armement que nous conduisons pour nous-mêmes.

À ceux qui seraient tentés de dire que les Australiens songeaient ouvertement à élaborer un plan B, je citerai les propos de M. Greg Moriarty, numéro deux du ministère de la défense, propos souvent tronqués et sortis de leur contexte. S'exprimant le 3 juin 2021, il parlait de planification de précaution et disait : « nous sommes très engagés pour conduire à son terme le programme Attack, mais il est approprié de regarder des alternatives pour le cas où nous ne serions pas en mesure d'avancer ». Mon homologue australien, M. Dutton, ne m'a pas dit autre chose quelques jours plus tard, au téléphone. Deux jours après, le 11 juin, le même M. Dutton disait, comme je viens de vous l'indiquer, que le programme était remis sur les rails.

D'ailleurs, au cours de l'été 2021, tous les échanges politiques intervenus ont permis de constater que la partie australienne n'adressait aucun reproche d'ordre technique au projet industriel lui-même, au contraire. Je pense en particulier à cette réunion du 30 août en format 2+2, ministres de la défense et des affaires étrangères des deux pays réunis, dont mon collègue Jean-Yves Le Drian vous a sans doute parlé. Nous nous sommes quittés en réaffirmant publiquement l'importance du programme des futurs sous-marins. Nous nous préparions donc à l'échéance majeure attendue de septembre, et à la signature du prochain contrat.

C'est par une lettre du 15 septembre, adressée par le client – le gouvernement australien – au fournisseur – Naval Group –, que les Australiens ont annoncé que la System functional review, c'est-à-dire la revue d'évaluation des performances du sous-marin proposé par Naval Group, était « conforme » aux besoins exprimés par l'Australie. Il s'agissait donc bien d'un satisfecit donné à Naval Group sur le travail conduit jusque-là, et cela seulement quelques heures avant l'annonce de la dénonciation du contrat. Car, le même jour, l'Australie annonçait un partenariat stratégique avec les États-Unis et le Royaume-Uni, notamment pour construire des sous-marins à propulsion nucléaire, à rebours des déclarations australiennes précédentes.

Je tiens à redire que l'option d'un sous-marin nucléaire avait été écartée, non seulement des documents stratégiques que j'ai mentionnés, mais qu'elle avait également été écartée d'emblée en 2014, lors du lancement de la compétition. Jamais le paramètre de la propulsion n'a été remis en question lors des échanges avec les Australiens. Comme vous l'a dit le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, il n'y a donc eu de la part de la France, depuis 2016, aucune naïveté, ni aucune légèreté, dans l'accompagnement politique de ce projet majeur, à tous les niveaux – Président de la République, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, moi-même ou administration française.

Quand des difficultés industrielles ou techniques sont apparues, comme ce fut le cas en 2020, nous y avons répondu avec détermination, en lien avec l'industriel, et nous les avons résolues. Quand nos interlocuteurs australiens ont fait état de l'évolution de leur analyse sur leur environnement stratégique, nous avons été immédiatement à leur contact et à celui des Américains, pour en discuter, leur présenter notre vision des choses et faire part de notre disponibilité à y apporter une réponse.

À cet égard, je voudrais préciser la nature de notre dialogue avec les Australiens au cours des dernières semaines. C'est pour répondre à la montée en puissance de l'appareil militaire chinois que le programme des sous-marins australiens avait été lancé et notre partenariat renforcé dès 2016. À l'époque, la demande australienne était claire : pour faire face à la Chine, la marine australienne devait se doter d'une sous-marinade à propulsion conventionnelle de classe océanique, c'est-à-dire lui permettant d'opérer dans un très large rayon d'action, bien au-delà des zones côtières. Or à partir du début de l'été 2021, c'est-à-dire moins de trois mois avant leur décision de sortir du programme, les Australiens émettent pour la première fois devant nous une hésitation de nature stratégique. En substance, ils se demandent si, au regard de la montée en puissance des capacités militaires chinoises, le programme des sous-marins australiens répond à leurs besoins. Ils partagent avec nous une évaluation qui met l'accent sur les progrès technologiques de la Chine, ainsi que la multiplication des moyens chinois. Ils s'interrogent sur la capacité d'un sous-marin conventionnel à opérer en mer de Chine méridionale dans les décennies à venir.

Cette hésitation stratégique nous surprend mais nous ne restons pas inactifs. Tout au long de l'été, nous multiplions les échanges avec les Australiens à tous les niveaux pour comprendre leur raisonnement et apporter des réponses à leur questionnement. Mais, à aucun moment, ils ne nous disent avoir pris une décision d'abandon du programme FST ni, a fortiori, envisagé de basculer vers un programme de développement d'une sous-marinade à propulsion nucléaire.

En outre, fin août, nous envoyons un émissaire en Australie. Cet ancien haut responsable de notre force océanique stratégique, l'amiral Bernard-Antoine Morio de l'Isle, fin connaisseur du programme Barracuda, se soumet à une quatorzaine avant de rencontrer, début septembre, plusieurs hauts responsables, dont le ministre Dutton, le chef d'état-major des armées australien et le chef d'état-major de la marine australienne. Sa mission est simple : comprendre et expliquer. En s'appuyant sur le retour d'expérience de la mission Marianne, il établit les réalités opérationnelles des performances du futur sous-marin, notamment en matière d'autonomie et de discrétion. Sa conclusion est sans appel : le sous-marin de classe Attack sera encore très performant contre la menace chinoise à l'horizon 2050.

L'engagement du Gouvernement a été total et constant. Nous avons abordé chaque difficulté soulevée par les Australiens, qu'elles soient politiques, stratégiques ou techniques, avec méthode et sérieux. Enfin, je ne voudrais pas vous laisser l'impression que notre approche aurait été purement défensive ou réactive. Nous avons fait vivre de façon proactive notre partenariat avec l'Australie. Celui-ci s'est considérablement densifié dans les dernières années. Je citais l'accueil du sous-marin nucléaire d'attaque Émeraude en novembre 2020 en Australie, mais il y eut aussi de très nombreuses interactions entre nos marines, lors de l'exercice La Pérouse, dans le golfe du Bengale, ou encore le transit conjoint de nos bâtiments en mer de Chine méridionale, en avril et en mai 2021. Tous ces exercices ont été les marqueurs les plus spectaculaires de l'approfondissement de nos relations militaires. À cela s'ajoute la participation régulière de nos armées à des exercices tels que Pitch black ou Croix-du-Sud.

J'espère que vous avez bien conscience que l'Australie a joué double jeu. Aurions-nous pu empêcher cette rupture, ou plutôt aurions-nous pu la prévoir ? Pouvait-on imaginer que l'Australie renoncerait à sa souveraineté ? Pouvait-on imaginer qu'elle renoncerait à des sous-marins capables d'agir et d'être entretenus de façon autonome ? Évidemment, non, puisqu'il s'agissait justement des objectifs fondamentaux qui l'avaient amenée à lancer le programme FST.

Nos services de renseignement auraient-ils pu l'anticiper ? Ce que je peux vous dire, c'est qu'entre très proches partenaires – ce qui était le cas de la France et de l'Australie –, les rapports doivent être fondés a priori sur la confiance et non pas sur la mise en doute de la parole donnée ; ce n'est pas de la naïveté que de le rappeler. La confiance est au cœur des relations entre alliés et partenaires stratégiques. Or le partenariat AUKUS a été négocié dans le plus grand secret et seules quelques personnes semblent avoir été au courant. Il m'a d'ailleurs été rapporté que le choc a été tellement fort pour les équipes du ministère australien chargées du programme FST qu'une cellule d'assistance psychologique a été mise en place pour accompagner les personnels désemparés par l'annonce de la fin du programme. Vous aurez remarqué qu'il n'y a eu absolument aucune fuite, ce qui, en soi, est assez exceptionnel. C'est bien la preuve qu'il s'agissait d'un secret d'État.

Avant d'en venir aux conséquences pour Naval Group et notre industrie, je tiens à redire haut et fort que l'excellence de notre industrie et de Naval Group n'est pas en cause dans cette rupture, pas plus que la qualité de nos équipements. Le programme était dans les temps, respectait ses coûts et les exigences techniques fixées par le client. La phase suivante était prête à être contractualisée. La lettre du 15 septembre indiquait que tous les feux étaient au vert pour passer à la phase suivante. Je précise que ce n'est pas toujours le cas – je pense en particulier au programme des frégates britanniques qui doivent être construites pour les Australiens.

L'incidence économique de la rupture de ce contrat est limitée, en raison de son architecture. Il ne s'agissait pas d'un contrat d'un seul bloc, mais d'un contrat par tranche qui se négocie étape par étape. On est donc très loin des montants fantasmés ces dernières semaines, notamment dans la presse. La tranche du contrat dans laquelle nous étions engagés concernait les études devant aboutir au dessin industriel du sous-marin. Depuis le début du programme, ce sont près de 900 millions d'euros que le gouvernement australien a versés à Naval Group. Les études ont été réalisées et elles seront donc payées jusqu'au dernier centime. Le ministère des armées sera là pour soutenir Naval Group.

L'Australie a dénoncé son contrat avec Naval Group non pour faute de l'industriel, mais pour convenance. L'accord passé entre Naval Group et le gouvernement australien contient des clauses qui seront invoquées pour protéger au mieux les intérêts de Naval Group, ainsi que de ses fournisseurs, qui sont aussi les intérêts de la France. Nous allons soutenir Naval Group, ses fournisseurs, de même que les fournisseurs français de Lockheed Martin, pour qu'ils soient, a minima, remboursés des frais qu'ils ont engagés.

Le ministère est également mobilisé, avec les élus des territoires concernés et Naval Group, pour trouver des solutions et assurer le maintien des compétences. Les programmes français, qu'il s'agisse du sous-marin nucléaire lanceur d'engins de troisième génération dont j'ai annoncé le lancement en février 2021 ou de la poursuite du programme Barracuda, y contribueront.

Nous avons d'ailleurs rebondi très rapidement, ce qui prouve la solidité de notre industrie et de Naval Group, puisque le 28 septembre dernier, avec le ministre grec de la défense et les P.-D.G. de Naval Group et de MBDA, nous avons signé un traité historique : nous construirons trois frégates de défense et d'intervention, une quatrième étant en option ; nous assurerons leur maintenance et fournirons les armements correspondants. Le choix de la Grèce confirme que l'industrie navale française est à même de proposer une offre au meilleur standard mondial, mais aussi que notre industrie de défense est un moteur de l'économie et de la vitalité de nos territoires.

La crise implique, bien sûr, de revisiter notre relation bilatérale avec l'Australie. Il faudra du temps pour reconstruire cette relation, tant la confiance a été abîmée. Nous avons également engagé un dialogue avec les États-Unis pour tirer toutes les conséquences de cette rupture de confiance entre alliés. Le plus malheureux, dans cette affaire, c'est que de tels comportements nous affaiblissent tous collectivement – ils affaiblissent des alliés, qui défendent le multilatéralisme, et nous savons tous à qui profite cet affaiblissement.

Après l'Afghanistan, le cas de l'Australie montre que nous devons redoubler d'efforts pour construire une Europe de la défense qui nous permette d'agir partout où nos intérêts sont en jeu, comme en Indopacifique. Ne vous y trompez pas, l'annulation de ce contrat n'invalide pas notre stratégie. Certains laissent entendre que la France se serait égarée en Indopacifique, qu'elle y aurait des ambitions déplacées. Je ne partage pas du tout cette vision minimaliste du rôle de notre pays, car la France a des intérêts à défendre et un rôle à jouer dans cette zone. Ce que nous proposons aux acteurs de la région, c'est une stratégie claire visant à défendre notre vision de cet espace comme un espace de droit, à ne faire preuve d'aucune naïveté sur les intentions chinoises, mais aussi à refuser d'être l'otage de la rivalité entre la Chine et les États-Unis.

Nous sommes une nation souveraine de l'Indopacifique, du fait de la présence dans la région de près de deux millions de Français, de plus de 7 000 militaires et de 93 % de notre zone économique exclusive. Notre présence est non seulement légitime, mais elle nous oblige. Nous avons toutes les raisons d'y jouer un rôle à la hauteur de nos responsabilités et de nos intérêts, et la rupture de ce contrat n'y changera rien.

En outre, nous ne sommes pas seuls en Indopacifique. Nous avons des partenariats importants avec les pays importants – l'Inde, le Japon, Singapour, la Malaisie et l'Indonésie. En étroite coordination avec nos partenaires européens, nous resterons pleinement engagés dans la région, car nous y avons des intérêts essentiels, et nous continuerons à y promouvoir le multilatéralisme, nécessaire à la stabilité régionale. Avec l'Union européenne, nous soutiendrons l'ambition d'une région indopacifique ouverte, inclusive, porteuse des intérêts légitimes de tous ses acteurs.

Nous poursuivrons la construction de l'Europe de la défense. Je pense en particulier à la boussole stratégique, premier Livre blanc de la défense européenne, et l'une des priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au premier semestre prochain.

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