Intervention de Florence Parly

Réunion du mardi 12 octobre 2021 à 21h00
Commission des affaires étrangères

Florence Parly, ministre des armées :

Quelle rationalité peut sous-tendre la décision australienne ? Il est difficile de faire des suppositions à la place des Australiens. Nous pouvons lire ce changement de pied comme un alignement politique pur et simple de l'Australie sur les États-Unis. On peut s'interroger à l'infini sur les raisons de cet alignement. Je ne veux pas en faire l'exégèse puisque nous ne sommes pas australiens, mais nous avons la possibilité échanger avec les Australiens nos visions des défis et des menaces qui pèsent sur l'Indopacifique. N'oublions pas qu'il y a quelques années, l'Australie a choisi de diversifier ses partenariats après qu'il avait fait le choix historique d'un partenariat plus que profond avec les États-Unis. Faut-il l'interpréter comme le retour à la situation antérieure ? Je vous soumets la question.

L'autre élément qui apparaît clairement est le renoncement australien à sa souveraineté. En lançant le programme aujourd'hui remis en cause, les autorités australiennes avaient la volonté forte de se doter d'un outil souverain, c'est-à-dire d'une capacité à construire, à opérer et à entretenir de façon autonome une sous-marinade. Nous avons répondu à cet appel en proposant, pour la partie qui nous incombait, un bateau construit dans des chantiers australiens par des salariés australiens, avec de l'acier australien, en formant des ingénieurs et des techniciens australiens capables d'en assurer la maintenance. C'est ce que j'appelle un programme de souveraineté.

Y ont-ils totalement renoncé ? À vrai dire, on ne le sait pas, puisque, comme l'a bien exprimé le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, c'est un saut dans l'inconnu. Peut-être savent-ils ce qu'ils vont acquérir, mais je crois avoir entendu les principaux intéressés évoquer une étude de dix-huit mois. Quand on lance une étude, on ne sait pas encore quel objet en résultera. J'ai donc beaucoup de mal à répondre à votre question. Les Australiens doivent d'abord s'interroger eux-mêmes, tandis que nous devons tirer les conséquences de leur volonté exprimée de manière brutale. Nous allons poursuivre avec beaucoup d'énergie l'approfondissement de nos partenariats avec d'autres pays de l'Indopacifique et nous allons revoir, à l'aune des derniers événements, la nature de notre coopération dans le domaine militaire.

Vous devez être absolument convaincus que nous avons déjà réaffirmé notre nature de nation indopacifique, puisque, vendredi dernier, dans le cadre du Forum des îles du Pacifique (FIP), j'ai eu l'occasion de dire aux ministres de la défense de Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tonga et Fidji, que nous étions toujours pleinement investis dans les enjeux que constituent la menace chinoise, mais aussi le changement climatique ou les risques environnementaux. Nous avons beaucoup en commun. Pour l'anecdote, mon homologue, le ministre australien de la défense, participait, lui aussi, à cette réunion. Pour la première fois, j'ai donc eu l'occasion de réaffirmer avec force non seulement que nous étions légitimes dans ces forums de discussion, mais que nous avions des intérêts et des ambitions pour la coopération dans la région.

Avec l'Australie, nous sommes en train de réexaminer les choses. Je précise que le ministre de l‘Europe et des affaires étrangères a annoncé le retour de l'ambassadeur de France en Australie il y a moins de quarante-huit heures. Il aura notamment pour mission d'évaluer les conditions dans lesquelles nous pourrons, ou pas, rebâtir la confiance qui a été si significativement atteinte.

Vous avez été plusieurs à m'interroger sur l'existence éventuelle de signaux faibles et à me demander comment nous avions pu passer à côté d'une pareille trahison. Il y a eu, bien sûr, des signaux faibles, ici ou là, mais il y a surtout eu des signaux forts, voire très forts, que l'Australie ne voulait pas de propulsion nucléaire. Il faut sans cesse le répéter, même si cela a été dit, dit et redit de façon explicite et officielle : il est très compliqué de faire dire quelque chose à une personne ou à un État, alors même qu'il vous dit le contraire.

Un programme de sous-marins et d'armement est toujours très complexe et ne se déroule jamais exactement comme prévu. D'où l'importance de mécanismes de pilotage pour remettre le programme sur de bons rails et résoudre les problèmes qu'on n'avait pas suffisamment anticipés. Un plan B ne pouvait être envisagé qu'au cas où le programme ne se serait pas bien déroulé, mais les Australiens disaient que le programme se déroulait bien !

Monsieur le président, je ne sais pas si on peut aller jusqu'à employer le terme de « perversité », mais il était très difficile de percevoir la moindre évolution, compte tenu des signaux très forts, et des questions que nous avions clairement posées. Nous vous donnons peut-être l'impression de ne pas avoir été actifs. Or nous l'avons particulièrement été, par les questions que nous avons posées, non seulement aux Australiens, mais également aux autorités des États-Unis. J'en ai parlé au mois de juillet à mon homologue américain, qui m'a répondu que c'était un problème purement bilatéral entre la France et l'Australie. C'était évidemment faux puisque c'était un partenariat industriel franco-américano-australien.

Si on nous avait sollicités pour fournir un sous-marin nucléaire, qu'aurions-nous fait ? Je le répète, la question ne nous a pas été posée et les Australiens ne nous l'ont pas demandé. S'ils l'avaient fait, je crois pouvoir dire que nous aurions examiné la demande, puisque techniquement, nous aurions pu y répondre. La question se posait en opportunité et aurait mérité une réflexion approfondie, car il s'agit de technologies très sensibles qui, jusqu'au 15 septembre dernier, n'ont jamais été exportées par aucun pays du P5. En conséquence, le partenariat AUKUS brise un tabou, qui plus est, s'agissant de réacteurs nucléaires utilisant de l'uranium hautement enrichi, ce qui n'est pas le cas des sous-marins à propulsion nucléaire français, qui utilisent un uranium faiblement enrichi. Nous devons analyser cette situation nouvelle car il y a un risque de prolifération nucléaire. Je dis bien « un risque » car, à ce stade, nous ne savons rien de ce que pourrait être le programme de sous-marins à propulsion nucléaire destinés à l'Australie défini dans le cadre du partenariat AUKUS. Il est légitime de dire qu'il y a un risque de prolifération nucléaire, ce qui donnera lieu à de très nombreux débats et études. C'est un précédent qui peut avoir des implications lourdes.

Vous avez rappelé les accords de Lancaster House. Le partenariat avec le Royaume-Uni doit, lui aussi, être examiné à l'aune de ce qui vient de se passer. Ce partenariat subissait déjà les conséquences de la situation créée par le Brexit. Nous n'avions pas renoncé à l'entretenir, mais il nous faut examiner comment le projet de missile pour notre marine peut se développer et si les conditions de son développement sont réunies, deux choses tout à fait différentes.

Concernant nos relations avec les États-Unis, je ne suis pas sûre d'avoir grand-chose à vous apprendre. Un échange entre le Président de la République et le président des États-Unis a permis de tracer un chemin pour tenter de rétablir la confiance. Nous savons que le processus sera long. Des sujets ont été identifiés : la nécessité d'une défense européenne plus forte et plus performante, en complémentarité avec l'OTAN ; l'importance stratégique de l'engagement de la France et de l'Union européenne dans la région indopacifique ; l'appui des États-Unis dans les opérations antiterroristes que nous conduisons, notamment au Sahel. Nous verrons quels progrès peuvent être accomplis. Ce n'est que sur la base de ces progrès que, pas à pas, nous pourrons, je l'espère, rebâtir la confiance. Mais on ne peut pas s'appuyer sur un échange téléphonique pour décréter que les choses sont revenues à la situation d'origine.

Je voudrais redire que, ni l'évolution de nos relations avec l'Australie, ni la perspective du référendum en Nouvelle-Calédonie, qu'elle qu'en soit l'issue, ne change quoi que ce soit à notre engagement durable dans la région Pacifique.

Je voudrais également redire devant vous que la présence militaire française en Nouvelle-Calédonie est importante pour au moins trois raisons. D'abord, il s'agit de protéger plus de 270 000 concitoyens, une part significative – 14 % – de notre surface maritime, ainsi que les richesses des océans face aux pillages organisés et à toutes les formes de trafics. Ensuite, la Nouvelle-Calédonie représente un point d'appui majeur pour la projection de forces dans le Pacifique Sud. C'est notamment le cas lors de crises humanitaires, parce que c'est une région où les élongations sont extrêmes. Nous en avons parlé avec les représentants des pays du Pacifique Sud dans le cadre du Forum. Enfin, nous contribuons directement à la sécurité et à la stabilité de ces États insulaires face à un expansionnisme chinois de plus en plus marqué.

Le ministère des armées investit en faveur des forces positionnées en Nouvelle-Calédonie puisque, dans le cadre de la loi de programmation militaire que vous avez adoptée, nous allons renouveler la quasi-totalité de leurs moyens maritimes d'ici à 2025.

La Nouvelle-Calédonie joue un rôle essentiel, sans parler du fait qu'il s'agit d'un territoire français. Je ne peux pas faire de pronostic sur ce qui va se passer. Je peux simplement vous renvoyer aux propos qu'a tenus au Sénat le ministre des outre-mer, qui a rappelé dans quel contexte la Nouvelle-Calédonie se trouvait lorsque le processus de Matignon a été lancé. À l'époque, le leader indépendantiste indiquait que la Nouvelle-Calédonie vivait dans un environnement pacifique où elle n'avait que des amis.

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