Monsieur le président, chers collègues, nous examinons aujourd'hui l'article 18 du projet de loi de finances pour 2022, qui évalue le prélèvement sur recettes de l'État au profit du budget de l'Union européenne.
Il s'élève cette année à 26,4 milliards, soit presque le même montant que celui voté en projet de loi de finances rectificative pour 2021. Cette stabilité s'explique par le fait qu'il s'agit de la deuxième année du cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui a été adopté l'année dernière et qui marque, sur le plan budgétaire, un véritable tournant pour l'Union, pour plusieurs raisons.
D'abord, l'accord historique du Conseil européen de juillet 2020 a permis d'établir un budget européen inédit par sa nature et son ampleur : le plan de relance Next Generation EU, doté de 750 milliards, dont 390 milliards de subventions et 360 milliards de prêts, est financé par un emprunt commun qui abonde le budget de l'Union. Ces crédits s'ajoutent à un cadre financier pluriannuel renforcé, s'élevant à 1 074 milliards. Au total, le cadre financier pluriannuel et Next Generation EU représentent 1 824 milliards d'euros, soit 1,8 % du revenu national brut (RNB) de l'Union, alors que, dans le cadre financier pluriannuel précédent, de nombreux États membres refusaient catégoriquement de dépasser le seuil symbolique de 1 %.
S'agissant du cadre financier pluriannuel en tant que tel, il maintient un équilibre entre les politiques dites traditionnelles et les nouvelles priorités. Même si nous aurions espéré davantage de moyens pour ces programmes, plusieurs priorités françaises ont été satisfaites : préservation du budget de la politique agricole commune (PAC) ; augmentation de la politique de cohésion, notamment dans les outre-mer ; création d'un Fonds européen de défense ; augmentation d'un tiers du budget spatial. Au titre des nouveautés, il convient de saluer le nouveau programme dédié à l'Europe de la santé. En outre, pour la première fois, 30 % des dépenses du budget européen sont consacrés à la transition climatique.
S'agissant du plan de relance européen, il est d'ores et déjà opérationnel et les premiers financements ont commencé à être versés aux États membres. Ainsi, début octobre 2021, vingt-deux des vingt-cinq plans de relance nationaux soumis à la Commission ont été approuvés. Les quatre premières levées de fonds effectuées par la Commission ont été un vrai succès auprès des investisseurs et lui ont permis de lever 54 milliards à des conditions très favorables, ce qui prouve la pertinence économique et financière du modèle européen. La Commission avait versé 51,5 milliards de préfinancement à seize États membres.
Le plan de relance français a été adopté en juillet dernier. La France a déjà reçu un préfinancement de 5,1 milliards et fera une deuxième demande de préfinancement à la fin de l'année 2021. Il s'agit d'une contribution essentielle au plan de relance français : sur les 100 milliards prévus pour le plan France relance, 40 milliards, soit 40 %, proviendront de Next Generation EU. Sur ces 40 milliards de financements européens, 20 milliards seront affectés à des projets favorisant la transition verte, comme le dispositif MaPrimeRénov', dont la quasi-totalité sera financée par le plan de relance européen ; 10 milliards serviront à financer la transition numérique, avec des projets comme la couverture des zones blanches ; 10 milliards financeront le volet « Cohésion sociale » du plan de relance, qui comprend notamment des mesures relatives à la formation professionnelle ou à l'accompagnement au retour à l'emploi.
En outre, la montée en puissance du budget européen s'est accompagnée d'une réaffirmation des valeurs de l'Union avec la création, en 2020, d'un mécanisme inédit de conditionnalité des fonds européens au respect de l'État de droit. La Pologne et la Hongrie ont introduit un recours en annulation contre le règlement instaurant ce mécanisme, mais la Commission prévoit de lancer les premières procédures dès cet automne, après la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), attendue en octobre 2021.
Indépendamment de cet instrument, la Commission utilise le levier financier pour agir contre les atteintes à l'État de droit en Pologne et en Hongrie. Celles-ci sont de plus en plus préoccupantes, comme en témoigne le refus du tribunal constitutionnel polonais de reconnaître la primauté du droit européen, dans un arrêt rendu jeudi dernier. Elle n'a toujours pas validé les plans nationaux hongrois et polonais qui doivent, comme tous les autres, respecter les recommandations par pays définies dans le cadre du semestre européen : en l'espèce, elles concernent notamment l'indépendance de la justice et la lutte contre la corruption.
Enfin, la création de nouvelles ressources propres est essentielle, non seulement pour rembourser l'emprunt, mais aussi pour sortir de la logique du « juste retour », du raisonnement à courte vue selon lequel chacun devrait recevoir de l'Union européenne à peu près ce qu'il lui verse. Les institutions européennes se sont donné une feuille de route ambitieuse prévoyant de créer cinq nouvelles ressources propres. Parmi celles-ci, trois doivent être appliquées dès 2023 : la taxe numérique, une ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission (ETS) et un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). À partir de 2026 sont prévues une taxe sur les transactions financières, ainsi qu'une contribution financière liée au secteur des entreprises ou une nouvelle assiette commune pour l'impôt sur les sociétés.
Outre le frein institutionnel constitué par la règle de l'unanimité pour les mesures à caractère fiscal, beaucoup d'obstacles restent à lever pour parvenir à un accord sur chacune de ces ressources. Initialement prévue mi-juillet 2021, la publication par la Commission du paquet ressources propres visant à introduire la redevance numérique, le MACF et la révision du système ETS a été repoussée à l'automne 2021. Ce report s'explique notamment par la volonté de ne pas interférer avec les discussions en cours au sein de l'OCDE sur la taxation des entreprises multinationales.
Il n'en reste pas moins que le remboursement du plan de relance européen implique de dégager de nouvelles ressources d'environ 15 milliards par an de 2028 à 2058, et qu'aucun État membre ne souhaite voir augmenter sa contribution nationale. Il existe donc un vrai consensus sur la nécessité d'avancer sur ce chantier des nouvelles ressources propres.
Des avancées majeures ont eu lieu dans le cadre des négociations de l'OCDE sur la fiscalité des multinationales. La semaine dernière, les trois derniers pays européens qui refusaient l'accord – l'Irlande, l'Estonie et la Hongrie – ont décidé de le soutenir : c'est une étape majeure dans les négociations. S'agissant des recettes potentielles, le secrétaire d'État Clément Beaune a indiqué récemment, devant la commission des affaires européennes de notre assemblée, qu'un tel accord rapporterait 150 milliards de ressources fiscales mondiales supplémentaires, dont 50 milliards dans l'ensemble de l'Union européenne et 5 milliards pour la France. Tout ou partie de cette ressource pourrait contribuer au remboursement du plan de relance et abonder le budget européen dans les années qui viennent.
De surcroît, les ressources propres à caractère environnemental offrent un potentiel de rendement important dans l'absolu et sont cohérentes avec les priorités françaises et européennes en matière de protection de l'environnement. La mise en place de ressources propres environnementales reste cependant tributaire des réformes sectorielles finalement retenues et de l'affectation au budget de l'Union d'une part suffisante des recettes générées.
En conclusion, trois verrous budgétaires ont sauté l'année dernière, à la faveur du Conseil européen de juillet 2020 : la limitation du budget européen à 1 % du PIB européen, l'équilibre entre les dépenses et les recettes, et le gel de toute nouvelle ressource propre. Il convient désormais de transformer l'essai, en faisant aboutir les négociations sur les ressources propres. Ce sera l'un des enjeux fondamentaux de la présidence française de l'Union européenne (PFUE).
À la faveur de toutes ces remarques, je vous invite à vous prononcer en faveur de l'adoption de l'article 18 du projet de loi de finances pour 2022.