Intervention de Michèle Tabarot

Réunion du mardi 19 octobre 2021 à 18h25
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Tabarot, rapporteure pour avis :

Ce budget n'est pas le dernier de la LPM, dont l'un des objectifs est de porter l'effort de défense à 2 % du PIB en 2025, mais il est le dernier du quinquennat.

En 2019, Didier Quentin estimait dans son rapport sur le premier budget de la LPM que le Gouvernement avait tenu ses engagements. En 2020, la crise sanitaire aurait pu faire dévier la trajectoire mais les économies induites par la crise ont permis de compenser les dépenses nouvelles. L'an dernier, Guy Teissier s'est inquiété du fait que la défense était la grande oubliée du plan de relance, avec 0,2 % seulement des 100 milliards d'euros prévus, alors qu'elle devrait être concernée par les investissements d'avenir.

Pour l'année 2021, l'exécution budgétaire globale devrait à nouveau être conforme à la prévision. Par ailleurs, une échéance majeure était prévue pour le Parlement : l'actualisation de la LPM. Contrairement aux engagements du Gouvernement, celle-ci n'a pas fait l'objet d'une loi, mais d'un simple débat. Sur le fond, elle est restée très en deçà de ce qui était attendu, puisque le Gouvernement a inscrit un ajustement de 1 milliard d'euros à enveloppe constante. De ce fait, plusieurs programmes prendront du retard et certains objectifs ne seront pas tenus.

Ce renoncement n'est qu'une petite part des déconvenues à venir. L'actualisation de la LPM ne tient compte ni de certains surcoûts passés, ni des surcoûts futurs, notamment ceux qu'induira le renforcement de la préparation aux conflits de haute intensité. Le Sénat a estimé le périmètre de l'actualisation à 8,6 milliards d'euros. Le Gouvernement l'a donc sous-évalué, remettant les décisions difficiles à l'après 2022.

Dernier point de vigilance : les ventes d'équipements majeurs. Les contrats conclus récemment avec nos partenaires de confiance européens sont de très bonnes nouvelles, mais je regrette que nous devions déposséder nos armées pour les honorer. Les douze Rafale d'occasion cédés à la Croatie ne seront pas compensés dans l'immédiat. Une nouvelle commande a été annoncée, mais pas encore passée. En 2025, l'armée de l'air et de l'espace devrait disposer de 117 Rafale au lieu des 129 attendus. De même, deux des frégates vendues à la Grèce seront prélevées parmi celles destinées à la marine nationale, dont le calendrier de livraison est décalé de plusieurs mois. Ces décisions pèsent sur le respect de la LPM et sur notre souveraineté. Nous demandons de la clarté à ce sujet.

Le budget de la défense pour 2022 comporte plusieurs points positifs, notamment la hausse des crédits de 1,7 milliard, conformément à la LPM, l'accélération des recrutements dans le cyber – un enjeu majeur –, la priorité accordée à l'entretien programmé des matériels (EPM) et le milliard d'euros consacré aux études amont. Toutefois, ce projet de budget ne lève pas toutes les inquiétudes : persistance d'un surcoût net des opérations extérieures (OPEX) systématiquement absorbé par le budget des armées, contrairement à ce que prévoit la LPM ; situation du service de santé des armées (SSA), qui affronte une pénurie de médecins ; retards de livraison de petits équipements qui participent directement à la sécurité des soldats.

Que se passera-t-il après 2022 ? À partir de 2023, la LPM 2019-2025 prévoit une hausse annuelle des crédits, non de 1,7 milliard, mais de 3 milliards. L'essentiel de l'effort prévu relèvera donc de la prochaine majorité. Celle-ci devra être d'autant plus vigilante que la crise sanitaire a fait reculer la richesse nationale et qu'il n'est pas acquis que la proportion de 2 % du PIB équivaudra à 50 milliards en 2025. Je considère que la trajectoire de la LPM doit être fixée en valeur et non en pourcentage et que cette évolution devrait faire l'objet d'un projet de loi d'actualisation.

J'ai consacré la partie thématique de mon rapport à l'opération Corymbe, dans le golfe de Guinée. Son budget, de l'ordre de 10 à 15 millions, est modeste, mais les enjeux sont substantiels, ne serait-ce que pour les 80 000 Français présents dans cette zone. D'après le chef d'état-major de la marine (CEMM), le golfe de Guinée est devenu la zone maritime la plus dangereuse du monde. Les trafics, la pêche illégale, la piraterie ainsi que les kidnappings y ont atteint des niveaux alarmants. Cela a des conséquences directes sur nos intérêts, au premier rang desquels le transport maritime depuis et vers l'Europe.

Face à cette menace, qui s'étend et se durcit, la marine nationale joue un rôle déterminant. Elle œuvre à la sécurité maritime dans cette région plus de 330 jours par an et soutient le renforcement des marines des États riverains, qui aspirent à maîtriser seuls la piraterie au large de leurs côtes. Je salue les efforts de la France pour former et soutenir les capacités de ces pays. Je tiens à souligner le travail remarquable du centre d'information, de coopération et de vigilance maritimes (MICA Center) de Brest, qui évalue en permanence la situation et alerte les navires en cas de danger.

Par ailleurs, l'Union européenne, dont nous savons qu'elle est peu visible sur la scène internationale, a pris de nombreuses initiatives dans le golfe de Guinée, par le biais de programmes visant à soutenir les capacités autonomes des États. J'espère que cet effort suscitera d'autres initiatives démontrant enfin que l'Europe a sa place dans la sécurité du monde.

Dans ce cadre, la marine française est amenée à jouer un rôle de plus en plus fédérateur dans la région. Plusieurs points peuvent être améliorés.

Tout d'abord, il faut amener les États côtiers à accepter la présence d'équipes de protection privée à bord des navires, conformément au souhait des armateurs. Il faut mener un effort diplomatique, voire en faire une condition des aides. En Somalie, cette solution a fait partie de la réponse.

Ensuite, il faut simplifier et mieux coordonner les actions. Sur le plan international, c'est l'objectif de la présence maritime coordonnée (PMC) dans le golfe de Guinée, conformément au concept élaboré par l'UE. Sur le plan régional, il faut assurer le partage des informations et le développement des moyens de sécurité maritime.

Enfin, à défaut d'une opération internationale, il faut renforcer Corymbe, en privilégiant le déploiement de navires dotés de moyens aéroportés, capables d'intervenir en urgence en cas d'attaque. Alors même que nous allégeons notre dispositif au Sahel, il est fort à craindre, hélas, que nous entendions de plus en plus parler de cette région.

Je m'abstiendrai sur ce budget, car trop d'incertitudes l'entourent.

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