Intervention de Pierre-Henri Dumont

Réunion du mardi 19 octobre 2021 à 18h25
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis :

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, je me suis penché sur l'efficacité des mesures d'éloignement des étrangers qui n'obtiennent pas de permis de séjour ou ne se voient pas reconnaître la protection internationale. C'est une question d'une particulière actualité. Au vu des décisions récentes du ministre de l'intérieur, il apparaît nécessaire de proposer des pistes d'amélioration de notre système.

Les crédits de paiement (CP) de la mission augmentent légèrement, d'un peu plus de 3 %, pour atteindre 1,9 milliard d'euros, après une hausse de 2 % l'année dernière. Les autorisations d'engagement (AE) augmentent plus nettement, de l'ordre de 14 %, alors qu'elles étaient en baisse en 2021.

Le programme 303 Immigration et asile représente 77 % des crédits de la mission. Les CP augmentent cette année de 3,6 %. Pour l'essentiel, ces financements servent – à hauteur de 1,3 milliard –, à régler les dépenses liées aux demandeurs d'asile : hébergement, allocation, prise en charge médico-psychologique et fonctionnement de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Le programme 104 Intégration et accès à la nationalité française représente 23 % des crédits de la mission. Les CP augmentent cette année de 1,8 %. La majeure partie de ces crédits – soit 257 millions – est consacrée au financement de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui est chargé de l'accueil et de l'intégration des étrangers en situation régulière mais qui exerce aussi des compétences relevant de la politique de l'asile.

D'autres crédits de paiement figurent au sein de la mission Plan de relance, pour un montant de 34,2 millions. Ils ont vocation à financer des places en centres provisoires d'hébergement (CPH), l'accompagnement des réfugiés vers le logement et l'emploi, ainsi que l'externalisation de certaines tâches considérées comme non régaliennes dans les CRA. Ces chiffres montrent le poids financier représenté par la politique de l'asile dans notre budget.

Les crédits de paiement destinés à la lutte contre l'immigration irrégulière sont en augmentation. Ils servent principalement à financer le séjour en CRA et le dispositif de préparation au retour pour ceux qui se déclarent volontaires pour un retour aidé.

Toutefois, avec un montant de seulement 36,5 millions consacré aux frais d'éloignement, contre 34,7 millions en 2021, il n'apparaît pas que le Gouvernement ait pris la mesure des enjeux migratoires auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés.

En effet, après le ralentissement observé au plus fort de la crise sanitaire, l'année 2021 voit un net redémarrage des flux migratoires en direction de l'Union européenne (UE), ainsi que de la demande d'asile. On a dénombré 103 630 franchissements illégaux des frontières extérieures de l'Europe au cours des huit premiers mois de 2021. Ce chiffre est supérieur de 64 % au total des franchissements recensés l'année dernière.

S'agissant de la France, la pression aux frontières est repartie à la hausse de manière très significative. Elle se fait sentir principalement sur la route de la Méditerranée centrale : les arrivées de Libye et de Tunisie sont en augmentation de 83 % par rapport à 2020. La route de la Méditerranée occidentale est également inquiétante, puisque 20 500 personnes l'ont empruntée au cours des huit premiers mois de 2021, ce qui marque une hausse de 50 % par rapport à l'année dernière. Les arrivées maritimes aux Canaries enregistrent de leur côté une progression de 136 % en 2021.

On sait que 600 000 migrants attendent aujourd'hui, en Libye, de pouvoir gagner l'Europe. Plus de 4 millions de réfugiés syriens stationnent en Turquie. Au Liban, les réfugiés syriens représentent plus de 20 % de la population, dans un pays plus instable que jamais. De nombreux Afghans vivent dans des États limitrophes de leur pays, notamment en Iran, où leur nombre est estimé à 5 millions. Les flux migratoires irréguliers, repartis à la hausse ces derniers mois, pourraient prendre beaucoup d'ampleur en peu de temps. Y sommes-nous préparés ? J'en doute, à la lecture du présent budget.

La reprise des flux d'immigration irrégulière a des incidences sur la situation migratoire le long des côtes de la Manche, comme je peux l'observer dans ma circonscription. D'après les données du ministère de l'intérieur britannique, plus de 17 000 migrants ont réussi à rejoindre l'Angleterre en traversant la Manche depuis le début de l'année ; ils sont deux fois plus nombreux que sur l'ensemble de l'année 2020.

La demande d'asile connaît elle aussi un rebond. Sur les neuf premiers mois de l'année, l'OFPRA a reçu 70 888 demandes d'asile, dont 12 000 au mois de septembre, ce qui correspond à sa capacité mensuelle maximum de traitement des demandes. Le chiffre attendu pour octobre devrait également être particulièrement élevé. Quant à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), elle devrait enregistrer, en 2021, entre 65 000 et 75 000 affaires, soit une augmentation comprise entre 10 et 27 % par rapport à 2019.

Dans ce contexte, l'enjeu immense, évoqué rapport après rapport et projet de loi après projet de loi, est celui du devenir des ressortissants étrangers qui n'obtiennent pas de titre de séjour ou ne se voient pas reconnaître une protection internationale. Déjà, dans un rapport de 2015, la Cour des comptes avait estimé à plus de 96 % la proportion des déboutés du droit d'asile qui demeuraient en France malgré le rejet de leur demande. Ce chiffre met en lumière l'absurdité qu'il y a à disposer d'un système complexe et coûteux d'examen de la demande d'asile, s'il aboutit au maintien des déboutés sur le territoire national.

Il est un fait que les mesures d'éloignement, en particulier les OQTF, demeurent très largement inexécutées. Leur taux d'exécution, compris entre 13 et 15 % entre 2015 et 2019, a été de seulement 6 % en 2020, une année particulière.

Non seulement l'État perd toute autorité et toute crédibilité en se montrant incapable de faire exécuter ses propres décisions, mais il ne respecte pas les ressortissants étrangers qui présentent des éléments justifiant leur protection ou qui sollicitent et obtiennent un titre de séjour sur l'un des fondements prévus par la loi.

Ainsi, un nombre élevé de personnes en situation irrégulière demeurent sur le territoire. Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale de l'État (AME) constitue un premier indice pour évaluer cette population : ils étaient près de 370 000 au 30 septembre 2020, chiffre en hausse de 10 % par rapport à l'année précédente. Mais le nombre des étrangers en situation irrégulière est évidemment plus élevé, puisqu'une certaine proportion ne recourt pas au dispositif par crainte d'être identifiés. Par ailleurs, ce chiffre n'inclut pas les étrangers en situation irrégulière recevant des soins à Mayotte, le centre hospitalier de Mayotte n'étant pas soumis à la tarification à l'activité. On l'oublie souvent lorsqu'on évoque le coût financier et le nombre de bénéficiaires de l'AME, alors que, dans ce département, près d'un tiers des habitants est en situation irrégulière.

Quelques raisons conjoncturelles peuvent expliquer cette incapacité de l'État à éloigner les étrangers en situation irrégulière : de nombreuses personnes refusent d'effectuer un test PCR, un résultat négatif étant exigé à l'embarquement.

Mais il y a surtout des raisons structurelles. Les personnes concernées détruisent généralement tout moyen d'identifier leur nationalité et nombre d'États étrangers sont réticents à reconnaître leurs ressortissants et à délivrer les laissez-passer consulaires. Il est indispensable d'adopter vis-à-vis de ces États une attitude ferme, sans naïveté. Réduire l'octroi des visas est une réponse ; dénoncer l'accord dérogatoire qui régit actuellement le séjour des ressortissants algériens en France en est une autre. Je propose dans mon rapport une mesure qui faciliterait l'identification des ressortissants étrangers retenus dans le cadre de la vérification du droit de circulation et de séjour : elle consisterait à permettre à l'officier de police judiciaire d'effectuer une inspection des supports numériques.

D'autres raisons sont moins connues. Toute la chaîne administrative est sous pression et sous-dimensionnée pour traiter la question de l'éloignement. Les services préfectoraux sont débordés par le nombre de décisions à rédiger, qui sont de plus en plus longues et complexes. Devant le faible taux d'exécution des OQTF, les agents préfectoraux ont d'ailleurs un profond sentiment d'inutilité de leur travail.

Si la durée de la rétention administrative a été allongée et le nombre de places augmenté au sein des CRA, la gestion par la police aux frontières (PAF) est de plus en plus difficile. La présence croissante de sortants de prison, voire de personnes enregistrées dans le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), rend le travail des fonctionnaires de police particulièrement éprouvant. De nombreux incidents graves, parmi lesquels des incendies criminels, se sont produits au cours des dernières semaines. Des progrès doivent être accomplis, qui ne paraissent pas hors d'atteinte car il s'agit d'une question d'organisation : il faudrait anticiper davantage la fin de la peine des détenus visés par une procédure d'éloignement afin de préparer en amont la mise en œuvre de celle-ci et d'éviter, ou de limiter, le passage de l'individu dangereux par un CRA.

J'insiste dans mon rapport sur les missions de PAF, qui ne se limitent pas aux aéroports et aux CRA, mais incluent l'investigation et le démantèlement des filières d'immigration irrégulière et de traite des êtres humains. Ces missions sont nombreuses et complexes. Il nous revient de donner à ces services les moyens de les accomplir.

Enfin, l'embolie touche le dispositif juridictionnel lui-même. Le contentieux des étrangers représente plus de 40 % de l'activité des tribunaux administratifs, voire 60 % dans certaines juridictions. Ce poids considérable a un effet d'éviction sur d'autres contentieux, fiscaux ou de l'urbanisme, au détriment du justiciable.

La grande complexité du droit des étrangers rend les jugements de plus en plus longs et détaillés. À l'instar des fonctionnaires des préfectures, les magistrats administratifs s'interrogent sur l'utilité de consacrer 40 % de leur temps – et 40 % du budget de leurs juridictions –, à ce contentieux, si les OQTF dont ils reconnaissent la légalité ne sont pas exécutées. Le Conseil d'État a fait plusieurs propositions pour simplifier et rationaliser ce contentieux. Il recommande ainsi de faire passer le nombre de procédures juridictionnelles de douze à trois.

Si des efforts ont été faits, par exemple pour étendre le parc de rétention, le Gouvernement n'a pas pris conscience de l'ampleur des enjeux migratoires qui nous attendent.

C'est pourquoi j'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration.

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