Madame Krimi, il ne me revient pas de juger s'il est opportun ou non de traiter tel ou tel sujet. L'immigration est indéniablement un sujet important, pour une raison très simple : selon les chiffres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 10 % de la population française est considérée comme immigrée. Autrement dit, en France, 6,5 millions de personnes sont nées étrangères à l'étranger. Vous m'avez accusé de présenter mon rapport sur le mode « yakafokon », et vous avez expliqué que la présidence française de l'UE sera l'occasion pour notre pays de défendre une vraie ambition européenne dans ce domaine. Nous y sommes évidemment tous favorables : il faudra effectivement harmoniser les taux de protection des différents pays européens, de même que les procédures applicables.
Pourquoi certains pays obtiennent-ils de bien meilleurs résultats, alors qu'ils sont soumis aux mêmes règlements au sein du même espace européen ? Pourquoi, en France, une personne déboutée de sa demande d'asile ne se voit-elle pas directement signifier une OQTF, alors qu'une telle notification est automatique en Allemagne ? Pourquoi 13 % seulement des mesures d'éloignement prononcées ont-elles été exécutées en 2019 en France, contre 53 % en Allemagne et 89 % au Royaume-Uni ? Ces questions sont légitimes. Peut-être nos voisins ont-ils trouvé des solutions que nous n'appliquons pas. Ils ne font pas d'affichage politique en augmentant le nombre d'obligations de quitter le territoire délivrées lorsqu'ils savent que ces dernières ne pourront être suivies d'effet. Une telle pratique ne peut que désespérer les différents acteurs de la chaîne juridictionnelle, les préfectures et les étrangers, quel que soit leur statut. Elle augmente en outre les possibilités de séjour clandestin.
Vous avez évoqué des suppressions de postes opérées lors d'un précédent quinquennat. Sans vouloir faire de politique politicienne, je rappellerai que le monde a connu moins de tensions entre 2007 et 2012 qu'entre 2012 et 2017. Après la guerre en Syrie, nous assistons désormais au retour au pouvoir des talibans en Afghanistan : ne comparez donc pas des situations qui n'ont rien à voir ! D'ailleurs, si nous étudiions les taux de crimes commis et élucidés entre 2007 et 2012 et depuis 2012, je ne suis pas sûr que la comparaison serait à la faveur du gouvernement que vous soutenez. Quand le taux de criminalité est moins élevé – ce qui était le cas lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy –, on peut faire mieux avec moins.
Comme vous, j'ai toujours été très favorable à l'augmentation du nombre de places en CADA – tous mes avis budgétaires vous le montreront. Je rappelle toutefois que 15 % des places existantes sont indûment occupées par des personnes qui n'ont rien à faire dans des CADA : des réfugiés ayant obtenu le statut mais qui ne trouvent pas de toit ou des étrangers déboutés de leur demande d'asile qu'on ne peut placer en CRA. Cela empêche les demandeurs d'asile éligibles d'accéder à ces établissements spécifiquement créés pour eux ; ils doivent alors chercher une place dans le parc privé ou dormir sous des ponts, à moins qu'ils ne tombent à la merci de passeurs ou de marchands de sommeil. La situation est donc liée à un problème d'expulsion.
Tous les gouvernements ont cherché à réduire les délais de décision de l'OFPRA puis de la CNDA afin que les personnes éligibles au droit d'asile soient rapidement protégées et que celles qui ne peuvent pas en bénéficier soient rapidement déboutées de leur demande, soit pour solliciter autre chose qu'une protection internationale – un titre de séjour, par exemple –, soit pour être expulsées avant qu'on ne perde leur trace. Or, après avoir bénéficié d'une très forte augmentation du nombre d'emplois dans le PLF de 2020 et mené à bien les recrutements correspondants pendant la crise, l'OFPRA n'obtient, dans ce PLF pour 2022, aucun ETP supplémentaire. Je disais tout à l'heure que l'Office avait reçu 12 000 demandes d'asile en septembre 2021 et, par là même, atteint un seuil de saturation : au-delà de cette limite, les dossiers en stock vont augmenter – ils sont aujourd'hui au nombre de 54 000 – et les délais vont s'allonger.
Je pense que les objectifs assignés au CIR doivent être beaucoup plus ambitieux. Je pense en particulier à la maîtrise de la langue française, qui est indispensable à l'intégration. Contrairement à de nombreux pays européens, nous n'imposons pas aux étrangers de maîtriser le français ou d'avoir atteint un niveau de langue minimal pour obtenir un titre de séjour, mais leur demandons d'avoir fait preuve d'assiduité aux cours de langue. Nous devrions être beaucoup plus à cheval sur cette question, quitte à ouvrir un plus grand nombre d'heures de cours, comme nous l'avons d'ailleurs déjà fait.
M. Hutin a évoqué la récente déclaration de l'ambassadeur d'Algérie en France. J'évoquerai, pour ma part, la déclaration du président Abdelmadjid Tebboune, qui a exigé de la France le « respect total de l'État algérien ». J'ai peut-être été un peu taquin, dans mon rapport, en réclamant la dénonciation de l'accord franco-algérien de 1968. Dès lors que le président algérien demande que nous traitions son pays de la même façon que les autres États, il n'y a aucune raison de prévoir des règles dérogatoires s'agissant de l'entrée et de l'accueil des Algériens en France ! Je ne suis pas certain que l'ensemble des membres de notre commission approuvent ma proposition ; je considère cependant que ce serait pleinement respecter la volonté de l'État algérien que de dénoncer cet accord.
J'en viens à la question de l'AME. Personne ne propose de priver de couverture santé les personnes présentes sans droit ni titre sur le territoire français si elles sont atteintes, par exemple, de maladies infectieuses. Dans le cas du covid, chacun a admis qu'il fallait soigner, isoler et vacciner les étrangers en situation irrégulière au même titre que les autres personnes présentes dans notre pays. La question porte en réalité sur le panier de soins : l'AME doit-elle concerner tout type de soins ou se limiter aux maladies infectieuses ? Cette question revient chaque année, et chacun connaît ma position.
Il existe un moyen d'accroître les moyens dont dispose la PAF sans trop augmenter les dépenses : expérimenter l'externalisation de certaines missions, comme celle de conduire les étrangers retenus devant un juge. Cela permettrait de déployer davantage d'effectifs dans les CRA ou sur le terrain. Certes, une décision du Conseil constitutionnel remet en cause une partie des externalisations déjà expérimentées, mais il est nécessaire de trouver, dans un dialogue avec les Sages, une manière d'avancer enfin dans ce sens.
Il est vrai que l'ADA est systématiquement sous-budgétisée. Aussi le fait de conditionner l'ouverture de nouvelles places d'hébergement à une limitation des dépenses relatives à l'ADA me semble-t-il tout à fait ubuesque. Il est évident que l'enveloppe dédiée à l'ADA sera dépensée en totalité. À partir du moment où le seuil de saturation de l'OFPRA est atteint, les demandes d'asile non traitées vont s'accumuler et les personnes qui en sont à l'origine continueront de percevoir l'ADA. Dès lors que le Gouvernement a choisi de ne pas augmenter le nombre d'ETP pour l'OFPRA, il y a fort à parier que l'enveloppe dédiée à l'ADA sera entièrement consommée et qu'aucune place d'hébergement supplémentaire ne pourra être créée.
Oui, des avocats protestent devant la CNDA pour dénoncer la dégradation de la justice. Mais les avocats spécialisés en droit des étrangers constituent un petit monde et peuvent se compter sur les doigts d'une main dans certaines juridictions. C'est aussi cette situation oligopolistique, de fait, qui rend moins fluide la présentation des étrangers devant un juge.