Intervention de Christophe Di Pompeo

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Di Pompeo, rapporteur pour avis :

Il me revient, pour la deuxième année consécutive, de vous présenter une partie du budget du Quai d'Orsay, à savoir le programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde pour ce qui concerne sa composante diplomatique et le programme 151 Français à l'étranger et affaires consulaires pour sa composante consulaire.

La pandémie mondiale a mis à nu la situation du ministère des affaires étrangères, auquel trop d'efforts ont été demandés, avec aujourd'hui un risque de fragilisation durable. Dans ce contexte, le budget pour 2021 avait mis fin à l'hémorragie vieille de vingt ans dont souffrait le ministère.

Le budget pour 2022, tout en s'inscrivant dans la continuité du précédent, a une ambition plus structurante : il s'agit de remédier aux fragilités accumulées depuis des années. Il reflète le fait que le ministre a non seulement réfléchi au monde d'après mais également à ce que doit être le ministère après cette crise.

Les crédits de la mission Action extérieure de l'État, c'est-à-dire les crédits du Quai d'Orsay hors aide publique au développement (APD), sont restés stables sur toute la durée du quinquennat. En 2022, ils enregistrent une légère hausse de 50 millions d'euros pour atteindre 3 milliards d'euros.

Le programme 105 traduit notamment un effort de rattrapage important sur les soutiens de l'action diplomatique et consulaire qui ont été laissés en déshérence depuis des années.

C'est le cas sur le numérique, avec la poursuite d'une stratégie pluriannuelle dont j'avais souligné l'importance l'année dernière.

C'est le cas également sur la sécurité, avec la poursuite du plan de sécurisation de nos postes face à une menace grandissante.

Et c'est le cas sur l'immobilier, sur lequel je reviendrai plus longuement.

Le programme 151 continuera d'appuyer le soutien aux communautés françaises de l'étranger face aux conséquences de la crise.

Le plan de soutien exceptionnel que nous avions voté en juillet 2020 a pu connaître un retard à l'allumage, mais sa mise en œuvre est aujourd'hui bien engagée. Chaque mois, ce sont plus d'un million d'euros qui sont versés aux Français de l'étranger au titre des aides sociales. Ce plan s'est par ailleurs doublé d'un volet dédié à la vaccination : des dizaines de milliers de doses de vaccins ont ainsi été envoyées à travers le réseau.

Même si la situation s'améliore en France, la crise continue de produire ses effets dans le monde. Nous aurions donc tort de baisser la garde et de diminuer l'aide aux Français en difficulté à l'étranger : c'est pourquoi le budget reconduit les montants votés en 2021 au titre de l'aide à la scolarité et de l'aide sociale.

Je souhaite par ailleurs que les 10 millions de crédits d'aide sociale exceptionnelle qui n'auront pas été consommés fin 2021 puissent être reportés en 2022.

Après les crédits, j'en viens à la question des effectifs. La plus grande surprise de ce budget, c'est la réforme des ressources humaines (RH) annoncée par le ministre. La question des RH sera vraisemblablement la grande priorité des prochaines années.

Si la crise sanitaire n'a montré qu'une chose, c'est que les efforts demandés au ministère en la matière pendant toutes ces années étaient déraisonnables. Dans ce contexte, nous pouvons nous réjouir d'une bonne nouvelle : le programme Action publique 2022 est arrêté. Il faut maintenant envisager le rebond car bon nombre de personnels – je pense en particulier aux secrétaires généraux d'ambassade et aux agents consulaires – sont fatigués et usés par leur charge de travail.

Pour faire un premier pas dans la bonne direction, je propose de rattacher au Quai d'Orsay, de façon pérenne, les quatre-vingt-dix équivalents temps plein (ETP) affectés à la conduite de la présidence française de l'Union européenne une fois celle-ci terminée.

À côté de la question du volume des effectifs, il y a toutes les réflexions qui entourent la gestion des RH. Vous le savez, la réforme de la haute fonction publique a suscité des inquiétudes assez fortes au sein du corps des diplomates.

L'objectif de la réforme, qui consiste à renforcer la parité, la diversité et l'ouverture du ministère, me paraît assez peu contestable. Je crois cependant qu'il faut maintenir un corps de diplomates distinct du reste de la fonction publique de l'État. Être diplomate, ce n'est pas seulement exercer un métier, c'est accepter que ce métier, en raison de toutes les sujétions qu'il comporte, façonne une grande partie de votre vie. C'est d'ailleurs ainsi que tous nos partenaires l'ont considéré, y compris ceux qui, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, sont les plus allergiques à la notion de corps.

Mais cela ne doit pas nous empêcher d'avancer sur d'autres aspects : par exemple, la coexistence de deux corps de catégorie A au sein du ministère ne me paraît pas justifiée.

En parallèle, le Quai d'Orsay a lancé sa propre réforme des RH qui, si elle met de côté la question des corps, poursuit peu ou prou les mêmes objectifs. Ainsi, 30 millions d'euros sont prévus en 2022 pour harmoniser les rémunérations des personnels, renforcer la mobilité et créer une nouvelle école diplomatique et consulaire.

Ces mesures RH sont importantes et j'espère qu'elles marquent le début d'une réflexion que le ministère doit poursuivre au cours des prochaines années. Le Quai d'Orsay aura en effet à affronter plusieurs défis : la pérennisation du télétravail, la redéfinition de la politique de conversion des postes de titulaires en postes d'agents de droit local ou encore la mise en place d'une véritable politique d'évaluation des personnels.

Par ailleurs, je souhaite évoquer un autre sujet auquel je consacre ma partie thématique : l'immobilier. Si j'ai décidé de l'approfondir, c'est qu'il est pour nous une source de préoccupation partagée, tous bords politiques confondus. L'année dernière, Christian Hutin avait ainsi souhaité que soit dressé un panorama des besoins immobiliers, ambassade par ambassade – il est en cours. Michel Herbillon avait regretté la politique consistant à vendre les bijoux de famille. Monsieur le président, vous aviez vous-même appelé à la fin de cette hémorragie suicidaire et criminelle, pour reprendre vos mots.

Au préalable, il est important de souligner que le patrimoine immobilier du ministère a ceci de singulier qu'il se trouve pour l'essentiel à l'étranger : c'est tout à fait logique puisqu'il héberge nos 162 ambassades, nos 210 consulats et tout ce que nous comptons d'établissements culturels et scolaires.

Ce parc immobilier a plusieurs caractéristiques, avec une seule et même conséquence : sa gestion ne peut reposer uniquement sur des critères économiques, comme des ratios d'occupation de surface.

D'abord, ce patrimoine n'est pas seulement un outil de travail, c'est aussi un lieu de vie et un outil diplomatique majeur au service de notre influence.

Ensuite, la gestion du parc est entravée par des spécificités locales. On ne peut pas gérer nos biens à l'étranger comme on le ferait en France. Un exemple : le Palais de France à Istanbul, qui résulte d'une donation d'un sultan, a pour particularité d'être incessible. On pourrait vouloir le vendre : il serait automatiquement récupéré par la Turquie.

Enfin, c'est un patrimoine qui a besoin d'être sécurisé. Or, lorsque l'on construit des emprises capables de résister à des explosions, le coût n'est évidemment pas le même.

Malheureusement, le ministère a subi pendant des années une politique immobilière aussi inadaptée qu'insoutenable. Faute d'obtenir les crédits nécessaires, il a en effet dû vendre une partie de son patrimoine pour financer l'entretien et les évolutions d'un parc qui se réduisait comme peau de chagrin. Cette politique a évidemment eu des conséquences néfastes. L'état d'entretien du parc en a énormément souffert. La directrice de l'administration consulaire parle par exemple de délabrement pour évoquer l'état de certains consulats, qui sont souvent la première chose que les étrangers voient de notre pays.

C'est dans ce contexte assez déplorable que le ministre a engagé début 2020 un vaste plan de rattrapage sur l'immobilier. Le retard est estimé aujourd'hui à 400 millions d'euros.

Ce plan se décline en France, avec notamment un chantier de modernisation du site du Quai d'Orsay.

Des dizaines d'opérations sont par ailleurs en cours à l'étranger. Je suis notamment allé à Vienne où une opération évaluée à 4,8 millions d'euros a été lancée. L'idée, dans les grandes lignes, est de rassembler, sur un même site, différents services actuellement dispersés dans la ville afin de renforcer les synergies entre eux.

Le ministère a au final beaucoup de retard à rattraper. Mais pour y parvenir, il faudra consolider davantage la politique immobilière, ce qui implique d'améliorer la connaissance du parc à l'étranger : c'est un préalable à toute stratégie.

Il faudra aussi élaborer des schémas de stratégie immobilière pays par pays, qui sont d'autant plus intéressants et utiles que le ministère a récupéré récemment l'ensemble du patrimoine de l'État à l'étranger.

Il faudra également professionnaliser la fonction immobilière. Une opération aussi lourde que celle envisagée à Vienne ne peut se faire sans un accompagnement professionnel sur place qui fait la plupart du temps défaut aux ambassades.

Le nerf de la guerre, ce sera néanmoins la capacité à maintenir l'augmentation des moyens consacrés à l'immobilier. S'ils ont augmenté ces dernières années, ils n'atteignent pas encore le niveau des besoins identifiés par le ministère à 80 millions d'euros chaque année pendant cinq ans pour rattraper le retard.

De ce point de vue, le projet de budget pour 2022 est une source de satisfaction : les moyens consacrés à l'entretien lourd augmentent de 36 millions d'euros pour atteindre 77 millions d'euros. Nous ne sommes donc plus très loin des 80 millions d'euros nécessaires.

La seule déception, et je sais que celle-ci est partagée par le ministère lui-même, est que les autorisations d'engagement (AE) aient été fixées en équivalence avec les crédits de paiement (CP). C'est méconnaître le caractère intrinsèquement pluriannuel de la politique immobilière.

Or, ce n'est qu'en renouant avec une vision de long terme que le ministère pourra retrouver un immobilier à la fois digne pour les personnes qui y travaillent et fidèle à l'image que notre pays souhaite renvoyer à l'étranger.

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